Maladie infectieuse
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Une trentaine de cas ont été identifiés dans le courant de l’été. Si la situation semble être en cours de résolution, l’origine des contaminations reste toujours inconnue. Jusqu’à présent, dans le monde, seules des infections sporadiques, félines mais aussi canines, avaient été rapportées.
L’épisode est inédit. Cet été, la Pologne a connu une flambée d’infections félines à l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), sous-type H5N1 de clade 2.3.4.4b. On savait que les souches virales circulantes actuellement étaient capables de franchir la barrière d’espèces. Depuis 2021, il y a un nombre croissant de descriptions d’infections chez des mammifères terrestres et aquatiques. Du côté de nos carnivores domestiques, en décembre 2022, un premier cas officiel d’infection féline1 avec le clade circulant actuellement dans le monde2, avait été confirmé en France dans le département des Deux-Sèvres, le chat en question vivant à proximité d’un élevage de canards confirmés positifs pour l’IAHP. Par la suite, d’autres pays, comme les États-Unis, avaient rapporté des cas, s'agissant à chaque fois d’évènements sporadiques. Cinq chiens avaient aussi été confirmés positifs au virus en Italie, ainsi qu'un au Canada. Mais avec l’épisode polonais, c’est la première fois que sont identifiés un nombre aussi élevé de chats positifs : 61 au 17 juillet (dont 1 caracal) selon les dernières données officielles3 dévoilées par les autorités vétérinaires du pays, qui indiquent aussi que le nombre de nouveaux cas est sensiblement en baisse. Une autre particularité est que ces derniers ne sont absolument pas regroupés : les détections ont été faites dans plusieurs zones géographiques du pays pouvant être très éloignées les unes des autres (voir carte). Par ailleurs, tous les chats touchés n’avaient pas accès à l’extérieur4, certains vivant en intérieur strict et d’autres allant dehors occasionnellement.
Des mutations d’adaptation aux mammifères
Les investigations sont en cours pour déterminer l’origine des contaminations. Si rien n’a pu être confirmé avec certitude pour l’instant, on en sait un peu plus sur les souches virales en cause, grâce à deux études rendues publiques sur le site Eurosurveillance5. Les analyses génomiques révèlent que les souches virales correspondent au virus H5N1 de génotype CH (H5N1_A/Eurasian_Wigeon/Netherlands/3/2022-like). Toutes les séquences analysées (n=19) sont proches les unes des autres ainsi que d’un virus détecté chez une cigogne au début du mois de juin, dans le district de Tarnów. En Pologne, ce génotype a été responsable de 58 % des cas chez les oiseaux domestiques et de 30 % chez les oiseaux sauvages, suite à sa première identification en décembre 2022. À partir de février 2023, il était toutefois devenu sporadique, avec un remplacement par le génotype BB.
Le séquençage des souches virales a aussi révélé la présence de mutations adaptatives aux mammifères, dont la mutation PB2-K526R qui a été associée à des cas d’infection humaine pour certains virus influenza aviaire (H5N1 et H7N9). L’autre mutation PB2-E627K avait été identifiée dans la souche virale de la cigogne. La présence de ces deux mutations simultanées n’a été retrouvée qu’au niveau des souches virales associées aux infections félines.
Une possible source alimentaire
Étant donné l’étendue géographique des détections, et le fait que des chats d’intérieur soient aussi touchés, l’hypothèse d’une transmission directe via des oiseaux est apparue moins probable. Dans ce contexte, l’hypothèse privilégiée est celle d’une contamination par de la nourriture contaminée, par exemple de la viande de volaille. Cela a été exploré avec une première série d’analyses sur des échantillons de viande congelée envoyés par des propriétaires de chats malades. Sur 5 échantillons, seul 1 est revenu positif : il s’agissait de viande de poulet ayant été achetée fraîche pour la consommation humaine le 9 juin 2023. Le séquençage a montré des similarités avec les souches virales incriminées dans les infections félines. Ce résultat est toutefois à interpréter avec précaution étant donné que cet échantillon était associé avec un chat malade, mais dont l’infection à H5N1 n’a pas pu être confirmée de manière concluante. De plus, il est aussi rapporté que certains chats étaient nourris avec un aliment spécifique a priori, sans contact de plus avec l’extérieur. Dans le cadre d’une hypothèse de viande contaminée, on ne peut pas exclure que des foyers en élevage causés par le génotype CH n’aient pas été détectés. Il est aussi à noter que la Pologne importe de la viande de volailles d’autres pays. Les deux mutations, identifiées chez les souches virales des chats infectés, ont aussi été trouvées dans la souche virale de la viande de poulet.
La question d’une contamination de petits mammifères terrestres, comme les campagnols (dont se nourrit aussi la cigogne) est aussi posée par les scientifiques.
Rester vigilant
À ce stade, cette flambée de cas ne remet pas en cause le risque pour l’humain. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le risque d’infection pour la population générale5 reste faible (communiqué du mois de juillet), et faible à modéré pour les propriétaires de chats et les personnes exposées dans un cadre professionnel comme les vétérinaires en l’absence d’équipement de protection individuelle approprié. Pour l’OMS, ce risque est également faible au niveau local. Mais cet épisode montre une nouvelle fois l’importance de la surveillance pour détecter toute évolution du virus, et des autres mesures générales de santé publique. Du côté de l’Autorité européenne de sécurité des aliments6 (European Food Safety Authority, Efsa), dans son dernier rapport de situation publiée en juillet, le constat était le même. L’Agence émettait aussi des recommandations générales pour limiter le risque d’infection des carnivores domestiques : pas d’exposition à des animaux (oiseaux et mammifères) morts ou malades, les tenir en laisse dans les zones de forte circulation virale, pas d’alimentation à base d’abats et viande crue. Outre-Atlantique, les experts7 des centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for disease control and prevention, CDC) avaient aussi communiqué en juillet sur le fait que les premiers résultats de séquençage des virus chez les chats infectés avaient montré une correspondance avec un candidat virus-vaccinal mis au point en 2022, permettant si besoin d’offrir une bonne protection contre ces souches virales. Contactée, la direction générale de l'Alimentation n'a pas encore répondu à nos questions.
Une maladie mortelle d’évolution fulgurante
Les infections félines en Pologne se caractérisent par des signes cliniques aigus, qui se manifestent à tout âge. Selon une étude1 menée sur 25 chats, l’évolution de la maladie a été similaire pour tous les animaux : perte d’appétit, apathie, hypersalivation, fièvre, dyspnée, abdomen dur, rougeur des muqueuses, trismus, parfois incontinence urinaire, suivis de signes nerveux (crises convulsives, hypertension musculaire, raideur des membres). Dans la majorité des cas, il y a une dégradation de l’état général amenant à une décision d’euthanasie. Des détails cliniques supplémentaires sont aussi fournis par une autre publication2 qui décrit les trois cas d’infection féline ayant été identifiés aux États-Unis. Les signes cliniques rapportés sont respiratoires et neurologiques. Deux des chats ont dû être euthanasiés le lendemain de la première consultation vétérinaire, au vu de leur très mauvais état général et de leur détérioration rapide. Le troisième a survécu 10 jours avant son euthanasie. Pour l'un des cas, a été rapporté le décès, dans les deux semaines qui ont suivi, de quatre autres chats vivant avec lui, mais ils n’ont fait l’objet d’aucune évaluation. Les deux publications détaillent aussi les lésions organiques observables à l’examen nécropsique. De manière générale, il y a de nombreuses lésions organiques.
Une infection subclinique possible ?
À noter qu’en Italie3, des éléments suggèrent la possibilité d’une infection subclinique, chez un chat, mais aussi chez cinq chiens d’une ferme touchée par la maladie (H5N1, génotype BB). Une recherche virale avait été effectuée chez toutes les personnes et animaux en lien épidémiologique avec le foyer. Bien que le chat et les chiens n’aient jamais manifesté de signes cliniques, les analyses sérologiques se sont révélées positives, avec des titres en anticorps suggérant une vraie infection plutôt qu’une exposition selon les scientifiques. Ces constats ont amené les autorités sanitaires italiennes à élaborer des plans de surveillance spécifiques en cas d’apparition d’un foyer, pour les personnes et animaux exposés.
Cet épisode italien est associé aussi à un autre élément de taille : la découverte d’un marqueur d’adaptation aux mammifères chez les souches virales circulantes des poules. C’est la première fois que cette mutation est détectée chez les virus H5Nx du clade 2.3.4.4b analysés chez les oiseaux en Europe depuis 2020. Jusqu’à présent, elle n’avait été détectée que chez certaines souches de mammifères.
1. Chats âgés de 6 semaines à 12 ans, de différentes races et sexes. urlz.fr/nu1j
2. urlz.fr/nu2P