Révision de la législation européenne sur le bien-être des animaux de rente : évolution ou révolution ? - La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023

Bien-être animal

DOSSIER

Auteur(s) : Chantal Béraud

La Commission européenne a annoncé une révision « en profondeur » de sa législation sur le bien-être animal. Tout l’enjeu est de savoir si seront effectivement adoptés de réels changements ou pas, et comment et dans quelle mesure les acteurs des filières appliqueront ces potentielles nouvelles conditions d’élevage. Illustration avec un récent débat organisé par les Académies vétérinaire et d’agriculture de France.

En octobre 2022, la Commission européenne a publié un bilan de qualité de la législation européenne sur le bien-être animal (BEA), dans lequel elle reconnaît les avancées et les faiblesses. Côté positif, force est de constater que les conditions d’élevage se sont améliorées – ou du moins n’ont pas empiré – en Europe du fait de l’adoption de normes durant ces vingt dernières années et que des formes d’élevage bien plus intensives ne sont plus pratiquées que dans d’autres parties du monde. Côté négatif, ce bilan révèle que « le BEA des animaux de rente dans l’Union européenne n’a toujours pas atteint un niveau optimal. Notamment parce qu’il n’existe pas de législation ciblée pour toutes les espèces, par exemple les vaches laitières et les poissons d’élevage ». Et même si ladite législation ciblée existe, « elle continue d’autoriser l’élevage de poules pondeuses, de truies et de veaux dans des logements confinés qui limitent considérablement le mouvement de ces animaux et nuisent à leur bien-être ». Ce bilan évoque également « le caractère trop vague de certaines dispositions », ainsi que, « selon les États, des différences substantielles d’ambition dans la transposition des directives ».

De nouveaux avis attendus

Ces faits ont été confirmés par Anne-Marie Vanelle (A 77), lors d’une séance consacrée à la prochaine révision européenne, coorganisée le 8 mars 2023 par les Académies d’agriculture et vétérinaire de France. L’oratrice a même enfoncé le clou en précisant que, « dans certains cas, la loi en vigueur a autorisé des possibilités de dérogation pouvant aller jusqu’à douze ans ». Et d’indiquer que « la législation actuelle, constituée de deux règlements et de cinq directives, ne couvre pas certaines espèces moins courantes, tels les dindes et les lapins… alors que, pour ces derniers, l’Allemagne a déjà interdit leur élevage en cage ». Sur ces questions, l’European Food Safety Authority (Autorité européenne de sécurité des aliments [Efsa]) doit rendre de nouveaux avis scientifiques actualisés. Neuf d’entre eux sont connus à ce jour, dont trois portent sur l’élevage de porcs1, de poulets et de poules pondeuses2, ainsi que sur le BEA pendant le transport3. Le dernier paru concerne les veaux4. « En bref, résume Anne-Marie Vanelle, l’Efsa recommande la fin de l’utilisation des cages (truites gestantes et en lactation, poules pondeuses) et des mutilations d’animaux, ainsi qu’une réduction des densités d’élevage. » Pour donner une idée des avancées ambitieuses conseillées, voici un exemple concret : « Pour les poulets de chair, il est recommandé une limite de 11 kg/m², détaille Anne-Marie Vanelle, alors qu’en 2017 il n’y avait en Europe que 37 % des élevages qui respectaient la densité maximale autorisée de 33 kg/m². Car il y a un système de dérogation qui autorise, sous certaines conditions, jusqu’à 42 kg/m2. »

« N’entraînons pas les filières dans des impasses ! »

La séance a fourni une excellente démonstration de tout l’enjeu du débat sur la révision européenne. À savoir : les acteurs des filières vont-ils essayer de changer le moins possible tant leurs locaux que leurs pratiques d’élevage en se mettant a minima en phase avec la nouvelle réglementation ? Ou vont-ils réfléchir à des changements plus significatifs ? « La fin des cages, ce n’est pas la fin de la contention », a, par exemple, prévenu Yvonnick Rousselière, ingénieur à l’Institut du porc, qui a présenté un scénario de transition grâce notamment à un système qu’il qualifie de « case maternité liberté » pour les truies, mais disposant toujours d’une position de blocage dans une cage, « à utiliser par l’éleveur le moins longtemps possible ». Anne-Marie Vanelle a réagi à cette intervention en lançant à son tour l’avertissement suivant : « Attention à ne pas réitérer l’erreur des cages aménagées pour les poules. Des sommes financières conséquentes ont en effet été investies dans la construction de nouveaux poulaillers avec des cages aménagées, plus grandes, avec perchoirs et nids. En définitive, grâce à l’étiquetage des œufs, le consommateur a clairement majoritairement refusé les élevages en cages, même aménagées, ne laissant alors plus essentiellement à ces produits que des débouchés dans l’industrie agroalimentaire. » En irait-il de même pour les porcs avec un étiquetage sur lequel serait clairement mentionné « sans cage », y compris dans la période actuelle de forte inflation ? À quel prix pour le consommateur ?

Des surcoûts financiers engendrés

Pour une estimation financière d’un changement de modèle d’élevage, reprenons l’exemple d’une « case maternité liberté » pour une truie, telle que décrite par Yvonnick Rousselière : « Une surface élargie de 30 % semble faire consensus sur le terrain. Mais cette surface supplémentaire fait monter le coût de la place (neuve) à 9 000 euros en système liberté, contre 6 500 euros en système bloqué, sur la base des tarifs de janvier 2023 [] Et cela entraînera aussi plus de travail pour l’éleveur, une augmentation du coût de la nutrition ainsi qu’un pourcentage égal ou supérieur de perte de porcelets. » Anne-Marie Vanelle rétorque que « l’Efsa parle clairement d’enclos de mise bas et non de cage de mise bas, avec 7,8 m2 par truie, de manière à lui permettre d’exprimer un comportement maternel et d’avoir de la paille et de la place pour faire son nid. L’Efsa écrit même que les cages temporaires de mise bas ont un effet contraire pour le BEA des truies et ne devraient pas être utilisées comme dispositif de transition. En fait, certains éleveurs ont peur qu’une truie pas complètement entravée n’écrase davantage de porcelets. Or, dans les élevages bio, les truies sont déjà dans des enclos, sans qu’il y ait plus de mortalité chez les porcelets. Cela demande effectivement que les conditions d’élevage soient profondément revues, que le personnel soit formé et en nombre suffisant ».

Qu’attendre de l’Europe ?

« En définitive, conclut Anne-Marie Vanelle, ces avis de l’Efsa ne sont que des recommandations mais qui devraient peser lourd dans la balance car la législation doit s’appuyer sur des bases scientifiques. On ne sait toutefois pas encore ce qu’il en ressortira réellement, ni ce qui pourrait être autorisé au titre d’une transition progressive des élevages… Il faudra assurément que les textes soient rédigés de manière suffisamment fine et pratique pour qu’ils ne laissent pas la place à trop d’interprétations possibles. Les décisions sont en tout cas attendues pour fin 2023-début 2024. » Avant cette date, l’Efsa invite à s’inscrire à une webconférence, qui aura lieu le mardi 23 mai, concernant « les veaux, les vaches laitières, les canards, les oies et les cailles »5.

Entretien

François Courouble

Ancien président de la commission bien-être animal de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires

FrancoisCourouble.jpg

« Je crois en l’éthologie appliquée pour améliorer le BEA »

Vétérinaires et éleveurs sont-ils forcément d’emblée sensibles au bien-être animal ?

De fait, cette relation est compliquée et comporte plusieurs écueils : par exemple, ils peuvent effectivement ne pas y être suffisamment sensibles, ou croire déjà tout connaître sur le sujet. Par ailleurs, quantité de documents ont été édités à ce propos, y compris par la profession vétérinaire, mais, même s’ils ne font que quelques pages, qui les lit vraiment ? À la demande de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires, j’ai organisé la coordination des travaux sur le bien-être animal (BEA) dès 2015 puis présidé la commission BEA pendant plus de cinq ans. Nous avons bien avancé dans la prise en compte du BEA mais, au final, même lorsque des avancées et des ambitions sont affichées, leur mise en pratique sur le terrain est loin d’être évidente.

Il existe pourtant désormais une formation obligatoire de huit heures sur le BEA des volailles et des porcs ?

Voilà justement une bonne illustration de ce que je veux dire. Dans ces formations, il me semble que l’on parle beaucoup de théorie (dont les cinq libertés à respecter) mais peu de leur mise en œuvre concrète en élevage, notamment la nécessité de prendre en charge la douleur.

Alors, il n’existe pas de marge de progression ?

Mon avis, qui n’engage que moi, est qu’il est très intéressant d’apprendre sur ce sujet mais plutôt grâce à des savoirs et à des observations de terrain. Tout vétérinaire rural a la capacité d’être éthologue, et il est très utile de comprendre le comportement des animaux de rente pour savoir bien en prendre soin. Par exemple, il est fondamental de prendre en compte l’existence de la hiérarchie au sein de tout troupeau. Pour faire sortir facilement les vaches d’un pré, la « cheffe » doit accepter de passer en premier, les autres la suivront alors. De même, dans un pré, pour permettre l’accès à toutes les vaches à une bonne nutrition, il faut disposer des bottes de foin dans différents râteliers durant toute la journée, sinon il y en aura toujours deux ou trois qui mangeront bien moins que « la cheffe » et « ses lieutenants » !

Quid d’une amélioration du BEA dans un contexte économique, climatique et sanitaire morose et en mutation ?

Il faudra apprendre à nous adapter ! Un simple exemple à ce propos : en Saône-et-Loire, en raison de la sécheresse, les éleveurs doivent maintenant nourrir leur troupeau durant l’été. Je pense qu’il leur faudrait essayer de faire à nouveau un stock de fourrage pour six mois (ce qu’ils faisaient dans le passé mais plus actuellement), en en répartissant la distribution différemment sur l’année. Enfin, dernières remarques mais pas des moindres : sans contrôles suffisants, il n’y aura pas d’avancées sur le terrain en matière de BEA. Sans rémunération supérieure des éleveurs non plus. Si on laisse les productions européennes sans défense face à la libre concurrence internationale de pays tiers qui ne respectent pas des standards équivalents (en BEA et autres), forcément cela ne pourra pas marcher.

Témoignage

Anne-Marie Vanelle (A 77)

Membre de l’Académie vétérinaire de France

Anne-MarieVanellecopie.jpg

Le meilleur conseiller de l’éleveur est son vétérinaire

Pour l’amélioration du bien-être animal en élevage, c’est le vétérinaire qui peut au mieux conseiller chaque exploitant, progressivement, étape après étape, car il voit où en est chaque élevage, quelles sont les maladies qui y apparaissent, quels traitements ou prévention mettre en œuvre… Un vrai dialogue doit donc être établi entre l’éleveur et son vétérinaire. Dans sa clientèle, il a certainement affaire à des types d’exploitations très différentes les unes des autres. Pour certains éleveurs très « en retard », la situation est compliquée car elle passe obligatoirement par un renouvellement des bâtiments, assorti de demandes d’aides financières. Mais, dans d’autres cas, diverses évolutions utiles peuvent être mises en place. Nombre d’objectifs ne sont pas inatteignables, puisque certains éleveurs français ou d’autres pays s’y conforment déjà.

Témoignage

Laurent Faget (T 04)

Praticien mixte, président du réseau VPlus et du groupement technique vétérinaire de Gironde

LaurentFaget.jpeg

Le problème de fond est celui des marchés

La problématique actuelle, c’est que les textes qui concernent le bien-être animal (BEA) ne sont pas appliqués partout pareillement en Europe, ce qui entraîne des distorsions de concurrence. Je pense donc qu’avant d’ajouter de nouveaux règlements, il serait préférable de mieux discuter de ceux qui existent déjà, en partenariat avec les groupements de défense sanitaire, les éleveurs, les vétérinaires… D’autant plus que les administrations recommandent parfois des solutions qui sont malheureusement trop déconnectées de la réalité du terrain. Par ailleurs, je pense que le problème de fond est celui des marchés. Tant qu’un éleveur ne sera pas rémunéré correctement pour son travail, on aura beau prendre quantité de mesures supplémentaires sur le BEA, rien ne changera sur le terrain. Des solutions provisoires, comme la réduction du cheptel (pour réduire le coût de l’alimentation) ou des progrès zootechniques, peuvent certes améliorer temporairement la situation économique d’une exploitation, mais elles sont souvent insuffisantes pour « sauver » un éleveur trop profondément endetté. Peut-être faudrait-il également rechercher d’autres sources de revenus complémentaires pour les exploitants, mais à condition de faire bien attention. Par exemple, des productions végétales (à but de méthanisation, de biocarburants) peuvent devenir concurrentes de l’élevage, voire le remplacer.

En débat

Amélioration du bien-être animal et rentabilité

« Concernant l’élevage de porcs, si l’on voulait passer à un système de maternité ou de verraterie liberté, le coût total calculé pour la Ferme France s’établirait entre 1,5 et 2,1 milliards d’euros (coût calculé en janvier 2022 sur l’hypothèse d’une non-déconstruction des bâtiments, qui poserait la question du désamiantage) », indique Yvonnick Rousselière, ingénieur à l’Institut du porc. Il certifie également que les économies (de santé et autres) qui en découleraient seraient bien trop insuffisantes pour compenser l’ampleur des coûts engagés. Il est néanmoins convaincu que seuls des changements conséquents dans les pratiques d’élevage peuvent entraîner des modifications importantes dans les coûts de santé engagés. Démonstration par Anne-Marie Vanelle : « D’un point de vue vétérinaire, par exemple, avoir seulement 12 porcelets par truie et pratiquer un sevrage plus tardif à 28 jours (contre 21 habituellement pratiqués aujourd’hui) serait bon pour leur santé. C’est ce que préconise l’European Food Safety Authority. Par ailleurs, un sol en caillebotis, qui laisse passer les émanations d’ammoniac venant des fosses à lisier situées sous l’élevage, provoque des problèmes respiratoires. Une moindre fréquence d’apparition de maladies cardio-respiratoires impliquerait un moindre coût de traitement, notamment d’antibiotiques. Enfin, à l’abattoir, nombre de truies présentent des lésions de décubitus qui sont donc des parties non consommables de la viande. Je ne suis pas assez spécialiste pour chiffrer tout cela, mais ces améliorations sont également financièrement à estimer. »

  • 1. Stratégie « de la ferme à la table » : recommandations de l’Efsa pour améliorer le bien-être des porcs d’élevage. bit.ly/3nVr6xm.
  • 2. Efsa : des alternatives aux cages recommandées pour améliorer le bien-être des poules pondeuses et des poulets de chair. bit.ly/41wQaIA.
  • 3. Plus d’espace, des températures plus basses, des trajets plus courts : les recommandations de l’Efsa pour améliorer le bien-être des animaux pendant le transport. bit.ly/3I0QgkL.
  • 4. Avis de l’Efsa : loger les veaux en petits groupes pour améliorer leur bien-être. bit.ly/3I9qQBF.
  • 5. Inscription : bit.ly/3Mjri2Q.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr