Les cannabinoïdes : une opportunité pour la santé animale ? - La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023

EXPRESSION

Auteur(s) : Propos recueillis par Tanit Halfon

L’offre de produits à base de cannabinoïdes1 est en plein essor pour les animaux. À ce stade de développement, les produits disponibles visent le marché du « bien-être », et leur positionnement dans la santé reste encore à définir. La gestion de la douleur arthrosique est une des pistes prometteuses pour l’usage de ces produits.

Antoine Bouvresse (A 05)

Vétérinaire comportementaliste DIE à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine)

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« Des effets sur l’anxiété et la douleur »

J’en utilise déjà dans ma pratique, les premières données scientifiques montrant des effets prometteurs dans la gestion de la douleur et de l’anxiété chez le chien. Je peux prescrire du cannabidiol (CBD) de manière ponctuelle pour aider à passer une situation stressante chez l’animal. Le CBD peut être également intégré dans une thérapie comportementale : il s’agit typiquement du vieux chien anxieux et douloureux, avec un sommeil altéré. N’oublions pas non plus que le premier facteur de l’agressivité d’un animal est la sensation douloureuse, d’où le potentiel de ces molécules en médecine du comportement. L’immense majorité des produits commercialisés ne présentent cependant pas une concentration suffisante pour obtenir un effet clinique, ce qui nécessite de passer par un reconditionnement. Par ailleurs, du fait d’un effet mode, on assiste à un essor incontrôlé des produits à base de cannabinoïdes. Dans ce contexte, l’automédication est monnaie courante, avec des produits dont on ne connaît ni l’origine et souvent très peu dosés en molécules actives. Cela peut retarder certaines prises en charge médicales et décrédibiliser la démarche scientifique. Pourtant, bien prescrits, à une dose adaptée, les cannabinoïdes peuvent vraiment être intéressants.

Matthias Kohlhauer (A 12)

Professeur de pharmacologie clinique à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne). A dirigé une thèse2 sur le sujet.

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« Des données encore manquantes »

À l’heure actuelle, nous disposons de peu de données, que ce soit sur la pharmacocinétique ou sur les effets de ces produits. Dans les essais cliniques en cours, la gestion de la douleur arthrosique et la prévention des crises convulsives sont les deux grands axes explorés. Pour la première, l’effet du cannabidiol semble présent mais modéré ; si on envisage son utilisation, une surveillance rapprochée, avec un scoring de la douleur, est indispensable afin d’adapter son approche de soins. Je ne le recommanderais pas en première intention, sans autre thérapeutique classique de gestion de la douleur. Les données sont moins claires concernant l’épilepsie. Côté pharmacocinétique, la démonstration de sa bonne absorption intestinale n’a pas encore été clairement établie, sachant qu’il y a de plus une variabilité suivant les individus. Le système endocannibinoïde est très complexe à appréhender. Il n’y a toutefois pas à ce jour de problème rapporté de tolérance ni de dépendance. Je pense que c’est l’évolution du cadre réglementaire en médecine humaine qui permettra vraiment d’avancer et de faciliter les recherches pour aller vers le développement de médicaments vétérinaires.

Jeanne Blagny (CEU Cardenal Herrera [Espagne] 2020)

Praticienne canine à Montaigu-Vendée (Vendée)

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« Un outil d’avenir »

Cela fait deux années que j’ai intégré les cannabinoïdes à ma pratique, surtout en médecine féline. Je les ai d’abord surtout utilisés comme aide à la gestion du stress chez le chat, de manière ponctuelle ou sous forme de cure. Par exemple, dans un contexte de changement d’environnement ou lors de marquage urinaire. Progressivement, je les ai testés pour un usage plus médical, en complément des traitements conventionnels, dans des cas d’épilepsie, ou encore chez un chat présentant une alopécie psychogène. Sur la quarantaine de chats qui ont en reçu, les retours sont positifs voire très positifs. Par exemple, les patients épileptiques semblent mieux stabilisés avec l’ajout de cannabinoïdes. De plus, les effets secondaires sont rares : je n’ai eu que deux cas de chats avec des vomissements qui ont rétrocédé à l’arrêt du produit. J’ai moins d’expérience avec le chien. S’il manque encore des données pour conforter leur bénéfice, les cannabinoïdes me semblent une solution d’avenir et ont toute leur place dans le cadre d’une stratégie thérapeutique multimodale.

  • 1. Dans les cannabinoïdes (ou phytocannabinoïdes), on trouve entre autres le cannabidiol (CBD) et le tétrahydrocannabidiol (THC). Les produits à base de cannabinoïdes disponibles sur le marché ne sont pas aujourd’hui des médicaments, et ne peuvent donc pas revendiquer des allégations thérapeutiques.
  • 2. Machat F. Les cannabinoïdes en pharmacologie vétérinaire. Thèse d’exercice [Médecine vétérinaire]. Maisons-Alfort: École nationale vétérinaire d’Alfort; 2022. bit.ly/3VYYGz1.
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