L’ablation par micro-ondes fait ses premiers pas en médecine vétérinaire - La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023

Cancérologie

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Depuis 2021, la clinique Occitanie et l’unité d’expertise en oncologie ONCOnseil à Toulouse évaluent une nouvelle technique mini-invasive d’ablation tumorale, basée sur le traitement thermique des tumeurs. Elle montre déjà son intérêt comme alternative à certaines chirurgies lourdes, comme l’amputation. Les premières données sont en cours d’évaluation mais ouvrent la voie à de nouveaux standards thérapeutiques.

En cancérologie humaine, les patients ont désormais accès à tout un champ de traitements novateurs grâce à l’oncologie interventionnelle (voir encadré). Le principe : accéder localement à une tumeur ou à une métastase pour la détruire ou la contrôler, sous guidage par l’imagerie médicale. Cette approche permet un traitement ciblé et moins invasif que les traitements conventionnels de chirurgie, de chimiothérapie ou de radiothérapie. À Toulouse, les équipes de la clinique Occitanie et de l’unité d’expertise en oncologie ONCOnseil, avec l’appui de médecins du centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy (Val-de-Marne), ont décidé d’adapter cette discipline à la médecine vétérinaire. Le premier traitement expérimenté est la thermo-ablation par micro-ondes, qui est accessible depuis 2021 aux patients de la clinique. C’est une première1 en France. « Le principe est de faire une ablation de la tumeur par la chaleur. En pratique, on insère une ou plusieurs aiguilles spécifiques (ou antennes) au sein du tissu tumoral, qui chauffera à plus de 55 °C grâce à un générateur micro-ondes. En fonction du temps de chauffage (une à douze minutes) et de la puissance associée, on entraînera une sphère d’ablation au niveau de la zone traitée par nécrose de coagulation. Au final, l’ablation par micro-ondes permet une destruction directe du tissu tumoral sans mécanisme de résistance associé », explique David Sayag, spécialiste en cancérologie vétérinaire (European College of Veterinary Internal Medicine-Companion Animals). Le traitement ne fait pas forcément disparaître la masse : elle peut provoquer une fibrose du tissu tumoral et tout l’enjeu sera de pouvoir identifier des critères de suivi pour confirmer l’inactivité de la masse et donc l’efficacité du traitement.

Une approche thérapeutique unique ou multimodale

Le guidage de l’antenne se fait principalement par échographie ou par scanner. « Si elle est envisageable (tumeur située peu en profondeur), l’échographie offre l’avantage de pouvoir de travailler en temps réel, tandis qu’avec le scanner, des temps d’arrêt sont nécessaires pour vérifier le bon placement des aiguilles, puis le résultat du traitement thermique », indique Florence Thierry, spécialiste en imagerie médicale (European College of Veterinary Diagnostic Imaging). De plus, avec le guidage échographique, les ouvertures cutanées sont réduites, permettant vraiment d’avoir une approche mini-invasive. Pas besoin non plus d’hospitaliser l’animal. Pour les tumeurs plus difficilement accessibles par l’imagerie, il peut être nécessaire de programmer une voie d’abord chirurgicale pour visualiser la masse, par exemple pour les tumeurs osseuses.

À ce jour, 10 animaux, 9 chiens et 1 chat, ont déjà pu bénéficier de cette nouvelle technique de contrôle local des tumeurs. Différents types tumoraux ont été visés : sarcome des cavités nasales (3 cas), ostéosarcome appendiculaire (2), chondrosarcome appendiculaire (1), carcinome médiastinal (1), carcinome pulmonaire (1), phéochromocytome (1), méningiome anaplasique (1). L’ablation par micro-ondes était soit intégrée dans une stratégie multimodale de traitement de cancer, en association avec une chirurgie et/ou une chimiothérapie, et/ou une immunothérapie (7 patients), soit le seul traitement appliqué au malade (2 chiens pour un carcinome médiastinal et un carcinome pulmonaire et 1 chat pour un sarcome des cavités nasales). La seule complication observée a été une légère brûlure au niveau de site de l’antenne.

Une alternative à l’amputation

Si les données sont encore en cours de traitement, le tout premier patient traité en juin 2021 a déjà fait l’objet d’une première publication2. Il s’agissait d’un rottweiler de 10 ans atteint d’ostéosarcome appendiculaire au stade 1, localisé sur le radius droit et pour lequel le détenteur a refusé l’amputation. Il a en revanche accepté d’essayer un traitement alternatif incluant l’ablation par micro-ondes. Pour ce faire, un premier scanner a permis de définir d’abord la voie chirurgicale ; l’antenne d’ablation par micro-ondes a ensuite été insérée au cours de la chirurgie, avec un contrôle de son placement par contrôle tomodensitométrique ; trois cycles de chauffage de cinq minutes à 60 watts ont été réalisés sur une zone de 2 cm, suivis d’une injection de ciment chirurgical au niveau du site d’ablation, toujours sous contrôle tomodensitométrique. Cette première partie de traitement a été associée à six séances de chimiothérapie (carboplatine, vaccination autologue Apavac). Le bilan est favorable : dès 24 heures post-intervention, le chien était moins douloureux. De plus, l’animal a vécu plus de dix-sept mois, soit une survie plus importante qu’avec le traitement de référence (amputation et chimiothérapie). « Cette technique associée à une cimentoplastie a permis de sauvegarder le membre tout en évitant une arthrodèse. Le chien garde ainsi son membre fonctionnel, explique David Jacques, spécialiste en chirurgie des animaux de compagnie (European College of Veterinary Surgeons). On peut espérer également qu’avec cette technique, on pourra améliorer nos marges d’exérèse, par rapport à un acte chirurgical classique, pour les tumeurs à risque de récidive locale. » Il est en effet possible de prévoir, suivant la puissance de chauffe utilisée et le temps d’exposition, la taille de la zone qui sera traitée et donc les marges. De plus, des sondes permettent de contrôler la température au niveau des tissus sains environnants. « La machine s’arrête même automatiquement si on dépasse une certaine température », détaille David Jacques.

De manière générale, sur 8 animaux ayant déjà eu une évaluation objective de la réponse au traitement, 2 ont présenté une réponse partielle, 4 une stabilisation de la maladie et 2 une maladie progressive (critères Recist3). « Le résultat à court terme est satisfaisant, car il y a une absence de vascularisation avérée au niveau du site tumoral au Doppler à intervalle de quelques mois », précise Florence Thierry.

Lever des impasses thérapeutiques

« Il faut voir les techniques d’oncologie interventionnelle comme le quatrième pilier du traitement du cancer », souligne David Sayag. À terme, cette option de traitement pourrait intégrer de nouveaux standards thérapeutiques avec potentiellement des recommandations d’usage en première intention ; mais, pour l’instant, il s’agit de collecter un maximum de données pour conforter son positionnement dans le parcours de soins d’un animal. « À ce stade, la technique d’ablation par micro-ondes peut lever certaines impasses thérapeutiques, c’est typiquement ce qu’il s’est passé pour notre premier patient traité, le détenteur ne souhaitant pas aller vers une amputation, tout en étant demandeur de solutions pour gérer au mieux l’ostéosarcome de son chien. Nous avons aussi utilisé cette technique pour la gestion de récidive de tumeurs intranasales. Dans ce cas, on s’aide de l’ablation par micro-ondes en peropératoire pour être sûr de traiter au mieux les marges, de faciliter le retrait chirurgical, mais aussi de traiter à proximité de la lame criblée, qui est une zone très à risque, tout en préservant le cerveau grâce à la pose d’une sonde de température. Une trop grande distance avec les centres de radiothérapie peut également motiver à avoir recours à cette technique », indique David Sayag.

Côté coût, il faut compter entre 1 500 et 2 000 euros pour une ablation standard, et jusqu’à 3 000 euros si une intervention chirurgicale s’avère nécessaire.

« C’est vraiment un travail d’équipe, multidisciplinaire, et transversal en lien avec nos collègues de médecine humaine. Ensemble, nous avançons pour améliorer nos connaissances et offrir à nos patients les meilleurs soins possibles », conclut David Sayag.

Une technique en plein essor en médecine humaine 

L’oncologie interventionnelle est une sous-discipline de la radiologie interventionnelle. Cette dernière est largement utilisée en médecine, le principe étant d’accéder à une cible par les voies naturelles (voies urinaires, tube digestif, etc.), la vascularisation (après insertion d’un cathéter) ou en percutané. Elle sert aussi bien au diagnostic qu’au traitement (biopsie guidée par l’imagerie, stabilisation de micro-fractures par cimentoplastie, embolisation vasculaire pour contrôler un saignement, traitement tumoral, etc.). L’oncologie interventionnelle est en plein essor, avec l’avantage de proposer aux patients des traitements ciblés et moins invasifs. Plusieurs techniques innovantes se développent : outre l’ablation par micro-ondes, il y a aussi l’ablation tumorale par radiofréquence, par le froid (cryothérapie) ; on peut envisager d’injecter les molécules de chimiothérapie ou des substances radioactives, directement au niveau du site tumoral (chimioembolisation, radioembolisation – dans les cas où la chirurgie est contre-indiquée ou en première intention pour des masses de petite taille). « Au centre de lutte contre le cancer de Gustave-Roussy (Val-de-Marne), l’ablation par micro-ondes était initialement utilisée en palliatif dans la prise en charge des métastases osseuses, notamment vertébrales, et est incluse dans certains standards thérapeutiques pour le traitement de nodules pulmonaires, hépatiques, rénaux et parfois surrénaliens en première intention, indique David Sayag, spécialiste en cancérologie vétérinaire. Notamment pour le foie, pour des nodules type carcinome de moins de 3 cm, c’est considéré actuellement comme le traitement de première intention. On l’utilise aussi en première intention pour l’ablation de nodules bénins thyroïdiens. C’est vraiment considéré comme un acte standard en médecine humaine, par rapport aux autres techniques d’oncologie interventionnelle. »

  • 1. Entre-temps, le centre hospitalier vétérinaire Frégis (Paris 13e) a commencé à expérimenter cette technique. Ailleurs, des premières descriptions de cas utilisant des techniques d’oncologie interventionnelle ont été faites aux États-Unis et au Royaume-Uni. De manière générale, l’oncologie interventionnelle reste encore rare en médecine vétérinaire.
  • 2. Le chien a présenté une fracture au niveau de la zone ostéolytique trois mois après le traitement, gérée favorablement par un bandage Robert-Jones ; puis au bout de sept mois, une ostéomyélite à Staphylococcus pseudintermedius traitée avec succès par antibiothérapie. Il a vécu avec une bonne qualité de vie durant dix-sept mois, et est décédé de la progression de sa maladie (voir Sayag D., Jacques D., Thierry F., et al. CT-guided microwave thermal ablation and cementoplasty as a part of the management of appendicular osteosarcoma in a dog. bit.ly/3LTJvT9).
  • 3. Nguyen S.M., Thamm D.H., Vail D.M., London C.A. Response evaluation criteria for solid tumours in dogs (v1.0): a Veterinary Cooperative Oncology Group (VCOG) consensus document. Vet Comp Oncol. 2015;13(3):176-83.
  • Pour aller plus loin
  • Vidéo : Ablation micro-ondes en oncologie : une nouvelle perspective. bit.ly/3I11hTq
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