Étude d’Asterès sur les groupes : un rapport au conditionnel - La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1990 du 19/05/2023

Marché

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Marine Neveux

Le Syndicat des groupes d’exercice vétérinaire a dévoilé fin avril une étude économique, réalisée par le cabinet de conseil Asterès, intitulée « Les groupes d’exercice vétérinaire : une empreinte déterminée par l’investissement et la formation ». Décryptage.

Dans quel contexte surgit la récente étude d’Asterès1 ? Dans un média grand public, Les Échosévoquent que « cette analyse intervient alors que deux camps s’affrontent. Le Conseil national de l’ordre des vétérinaires et des groupes s’opposent depuis plusieurs années sur fond d’interprétations divergentes du Code rural ». Plusieurs auditions des parties ont en effet eu lieu ces dernières semaines. La décision du Conseil d’État pourrait être connue avant l’été. Peut-on alors s’interroger sur les objectifs de cette étude, ce qui en a motivé la commande ? Pour Émeric Lemarignier, président du Syndicat des groupes d’exercice vétérinaire (Syngev), « au cours des dernières années, la profession vétérinaire s’est rajeunie et féminisée. Cette nouvelle démographie entraîne une évolution des attentes des professionnels. Alors que l’adhésion à un groupe est un phénomène assez récent, nous souhaitions recueillir des données objectives au sujet de cette dynamique à l’œuvre, afin d’éclairer les débats qui animent la profession ».

Le rapport d’Asterès comporte 36 pages ; il est structuré avec plusieurs thématiques phares : les investissements, la formation, les services, la porte de sortie, la productivité, le bien-être. L’étude n’apporte pas vraiment d’éléments nouveaux et/ou différenciants, si ce n’est que le rapport résume le contexte actuel de l’accélération de la consolidation du marché qui s’opère au sein de la profession vétérinaire. En outre, il confirme que « la revente à un groupe constitue une solution de sortie probablement plus rapide et plus rémunératrice pour les vétérinaires souhaitant prendre leur retraite ». Et globalement, le rapport conclut que… l’on ne peut pas conclure à ce stade.

Conclusion… pas de conclusion

À l’issue de la trentaine de pages, l’étude d’Asterès indique : « L’effet productivité et l’effet conditions de travail invitent à de nouvelles recherches » ; « Les données actuelles ne permettent pas d’établir l’effet “net” des groupes » ; « L’utilisation qui sera faite des probables gains de productivité n’est pas connue, faute de recul et de données ». De quoi rester sur sa faim ? Pas pour Émeric Lemarignier, qui estime : « Cette étude démontre l’amélioration de la qualité des soins prodigués par les vétérinaires qui ont fait le choix de rejoindre un réseau. Cela tient notamment aux investissements dans du matériel médical de pointe et dans la formation. Les économistes d’Asterès ont tiré quelques enseignements sur l’essor des réseaux vétérinaires et il est assez normal, s’agissant d’un phénomène récent, qu’elle ne puisse pas répondre à toutes les questions. Cette étude constitue un premier jalon qui appelle sans doute la conduite de nouvelles recherches au cours des prochaines années. La profession vétérinaire se questionne sur son avenir, et il est salutaire qu’une place importante soit offerte aux débats et à la réflexion. »

Des chiffres et des questions

Le rapport relève 800 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 pour 1 000 cliniques, dont 4 000 vétérinaires. Et 40 millions d’euros en travaux et équipement. Ainsi, rapporté à un vétérinaire, c’est en moyenne 200 000 euros de chiffre d’affaires annuel, et 10 000 euros par vétérinaire de travaux et d’équipement sur un an. Ces chiffres sont-ils élevés au regard de ceux d’autres vétérinaires qui exercent hors groupe ? « Je parlerais plutôt de 10 000 euros d’investissement en une seule année et uniquement sur les locaux et le matériel, c’est-à-dire hors formation, hors accompagnement et soutien, pour un vétérinaire, commente Émeric Lemarignier. Ces données me paraissent refléter une vraie volonté des groupes d’accompagner positivement la transformation de notre profession et d’offrir les meilleures conditions de travail à leurs équipes, et les meilleurs soins aux animaux. »

Le rapport indique que « la plupart des groupes vétérinaires ne publiant pas leurs comptes aux greffes des tribunaux de commerce et la collecte de données financières par clinique ayant été impossible à réaliser, cette étude sera limitée à l’analyse de cette enquête ». Comment les chiffres financiers évoqués dans le rapport ont-ils été établis ? « Les réseaux d’établissements vétérinaires interrogés ont communiqué au cabinet Asterès leurs données financières de façon à évaluer les effets d’entraînement de leurs investissements sur l’économie française. Asterès a ensuite appliqué les méthodes de recherche en économie pour rendre un travail objectif », explique Émeric Lemarignier.

Formation, temps de travail, à creuser

Le rapport note que la fréquence des formations augmente après intégration dans un groupe (passant de 1,1 par an à 1,3). Il ne précise pas si les formations sont majoritairement internes, externes, leurs durées… « Chaque groupe possède sa propre politique de formation interne, il faudrait regarder au sein de chacun d’entre eux les pratiques en vigueur. Cependant, le développement de la formation est vital pour notre profession qui évolue vite. Le constat que leur nombre augmente est une bonne nouvelle ; chacun pourra y trouver ce qu’il cherche », déclare le président du Syngev.

Parmi d’autres mentions de l’étude, « le soutien apporté par les groupes semble réduire le volume horaire moyen des vétérinaires interrogés » (moins une heure par semaine après rachat par un groupe). Comment est établie cette corrélation ? Est-ce une hypothèse au conditionnel ? « C’est une donnée recueillie dans les témoignages des vétérinaires ayant participé à l’enquête, il conviendra de l’objectiver avec les volumes horaires de travail mais cela est, comme vous le savez, difficile à comptabiliser dans notre profession. » En outre, l’observation de la baisse du volume horaire moyen est-elle un indicateur pertinent, notamment d’un mieux-être ou d’une meilleure qualité de travail ? « Les vétérinaires passent beaucoup de temps sur leur lieu de travail. Ainsi, en rejoignant un groupe, ils recherchent et obtiennent un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Ces indicateurs attestent de la démarche vertueuse du développement des réseaux de cliniques vétérinaires. »

Quel regard portez-vous sur la récente étude Asterès ?

Globalement, nous la trouvons empreinte de flou et de beaucoup de conditionnel, à la fois sur la productivité, le mieux-être au travail… Notamment nous ne voyons pas de conclusion sur le bien-être au travail. La deuxième phase des études consécutives au rapport Truchot, qui est un travail académique de très haut niveau, sera éclairante.

Plus précisément, percevez-vous des différences significatives entre l’exercice en groupe ou hors groupe ?

Nous n’observons pas de mieux-disant dans les groupes, malgré les annonces nombreuses dans leur communication sur plusieurs sujets, comme celui de la formation, pour laquelle l’offre est d’ailleurs déjà très large pour les vétérinaires hors groupe (réunions locales, en distanciel, congrès nationaux, internationaux…). Les groupes ne proposent pas mieux que ce que font déjà les indépendants.

Les chiffres évoqués dans cette étude, comme le chiffre d’affaires rapporté aux vétérinaires, se situent dans les fourchettes basses des données de la profession. De même les investissements, rapportés au nombre de vétérinaires, ne paraissent pas différenciants dans leur mode de fonctionnement des cliniques indépendantes : l'investissement serait de 10 000 euros par vétérinaire, ce qui n'est pas énorme. Nous sommes dans une profession où, traditionnellement, on investit beaucoup dans le matériel : les indépendants l'ont toujours fait, et n'ont pas de difficulté à le faire pour des montants de cet ordre en se finançant auprès des banques. 

La rémunération des vétérinaires n’est pas abordée, ni les évolutions de carrière. En outre, en exerçant dans ces groupes, les vétérinaires ne se construisent pas de patrimoine professionnel, ce qui aura un coût en fin de carrière.

Les groupes proposent d'organiser les ressources humaines (RH), si cela peut paraître un fardeau en moins pour les vétérinaires, c'est aussi se priver de choisir l'équipe avec qui l'on travaille tous les jours en étant maître de ses recrutements.

Le point positif, pour les vétérinaires qui prennent leur retraite et qui vendent aujourd’hui leur structure aux groupes, c'est un effet d'aubaine. Mais cet effet est sans doute caduc à l'heure où nous nous parlons. 

Si l'on réfléchit sur le long terme d'une carrière de praticien, le vétérinaire ne sera pas gagnant. Est-ce que les vétérinaires salariés ou collaborateurs libéraux des groupes arriveront à dégager les mêmes niveaux de rémunération que les vétérinaires libéraux associés ? Des études chiffrées seraient intéressantes, or l'étude d’Asterès n'apporte aucun élément sur ce point.

Que retenez-vous au final ?

Il convient de se poser la question de savoir où l’on veut voir aller la valeur ajoutée de son travail. L'étude d’Asterès n'apporte pas d’éléments montrant qu'il y a un mieux significatif à intégrer un groupe pour un vétérinaire en début ou milieu de carrière.

  • 1. Cette enquête a été réalisée auprès des vétérinaires exerçant dans des structures membres du Syngev, c’est-à-dire les groupes Anicura, Argos vétérinaire, IVC Evidensia et Mon véto (les quatre réseaux fondateurs du syndicat) : 329 vétérinaires ont participé à l’enquête (8 % des vétérinaires exerçant au sein d’un groupe). Par ailleurs, le syndicat poursuit son développement et réunit aujourd’hui six réseaux de cliniques vétérinaires, bientôt sept.
  • 2. Weiss B. Vétérinaires : 17 % des cliniques dépendent déjà d’un groupe. Les Échos, 28 avril 2023. bit.ly/3BvA5sg.
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