« La profession vétérinaire devrait s’emparer davantage du droit animalier » - La Semaine Vétérinaire n° 1989 du 12/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1989 du 12/05/2023

Législation

ENTREPRISE

Auteur(s) : Propos recueillis par Lorenza Richard

La loi du 30 novembre 2021 a renforcé les sanctions en cas de maltraitance animale et instauré, notamment, une levée partielle du secret professionnel pour les vétérinaires signalant des actes graves. Jean-Pierre Marguénaud, juriste, professeur, instigateur du droit animalier et créateur du premier diplôme universitaire de droit animalier1, nous invite à nous saisir de ces textes en tant qu’acteurs de la protection animale.

Qu’est-ce que le droit animalier ?

Tout d’abord, il convient de distinguer le droit animalier du droit animal, expression traduite de l’anglais animal law mais qui ne convient pas. En effet, cela renvoie à un adjectif : le droit serait animal, comme il serait bête, par exemple. De plus, nous parlons d’art animal lorsque ce sont les animaux eux-mêmes qui pratiquent un art, et parler de droit animal signifierait que les animaux font eux-mêmes leur droit. D’ailleurs, un article de la Revue trimestrielle de droit civil2 a développé l’hypothèse d’un pré-droit animal, ce qui est passionnant mais limité. Le droit animalier est en revanche l’ensemble des règles établies par l’humain qui concerne les animaux, que ce soit pour les défendre ou se défendre contre eux. Elles sont réparties dans plusieurs codes : Code rural et de la pêche maritime, Code civil, Code pénal, Code de l’environnement… Elles sont regroupées depuis 2018 dans un officieux code de l’animal3.

En quoi les vétérinaires sont-ils concernés par le droit animalier ?

La profession vétérinaire devrait s’emparer davantage du droit animalier. Les vétérinaires sont déjà des acteurs essentiels de la protection animale, et leur code de déontologie reprend une partie des règles qui s’appliquent aux animaux. Cependant, il semble qu’ils aient du mal à prendre conscience que la levée du secret professionnel, qui a été opéré en vertu de la loi du 30 novembre 2021, est un changement majeur et qu’ils peuvent se l’approprier. Une nouvelle disposition figure en effet à l’article 226-14 du Code pénal (voir encadré). Elle prévoit que le vétérinaire peut signaler au procureur de la République des actes graves de maltraitance dont il a connaissance dans le cadre de son exercice professionnel, sans être soumis aux peines prévues à l’article 226-13 du Code pénal. Les actes visés sont les sévices graves, les actes de cruauté et les actes de nature sexuelle, qui figurent aux articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal. Le signalement n’est pas obligatoire, contrairement à celui prévu pour le vétérinaire sanitaire à l’article L203-6 du Code rural et de la pêche maritime. Il serait pourtant essentiel que les vétérinaires se saisissent de cette disposition, qui est une petite révolution, car elle leur permet de devenir des acteurs de l’application concrète et effective du droit pénal animalier sans risquer d’être poursuivis.

La crainte des représailles pourrait-elle être une limite aux signalements ?

C’est en effet au vétérinaire d’apprécier, en fonction de ses relations avec les propriétaires, les retentissements qu’un signalement au procureur pourrait avoir. C’est pourquoi il serait nécessaire que la profession prenne position sur l’utilisation de cet outil de droit pénal : à quelle condition, selon quels critères… Un encadrement par la profession pourrait ainsi tranquilliser ceux qui oseraient passer le pas.

Les vétérinaires pourraient-ils faire évoluer le droit animalier ?

Pour cela, et pour que la protection animale devienne de plus en plus effective, on devrait se préparer à l’idée que les animaux soient parfois représentés par les vétérinaires sur la scène juridique, plutôt que par leurs propriétaires. Par exemple, en cas d’abandon, le praticien pourrait agir contre le propriétaire pour faire valoir les droits civils de l’animal.

En effet, pour améliorer la protection animale, faire évoluer ce droit pénal animalier est essentiel, cependant il conviendrait de faire évoluer aussi le droit civil, notamment par la reconnaissance d’une personnalité juridique aux animaux. La réflexion est en cours. D’une façon générale, lorsqu’on pose des questions graves qui touchent l’animal, comme la mort ou la liberté, par exemple, on pose aussi des questions qui touchent les humains. Voir comment ces interrogations sont résolues quand elles se rapportent aux animaux donne un éclairage sur la façon dont elles sont traitées quand elles concernent les humains. En droit, lorsqu’une problématique donnée est examinée, le réflexe est d’analyser comment elle était résolue naguère, par l’étude de l’histoire du droit, et comment elle est résolue ailleurs, dans d’autres systèmes juridiques, par l’étude du droit comparé. Une troisième façon serait désormais nécessaire : comment une question qui se pose pour les humains, comme l’euthanasie, la douleur ou les conditions de détention, est-elle résolue pour les autres êtres vivants doués de sensibilité4 ?

Articles de droit animalier

• Article 226-13 du Code pénal :

La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

• Article 226-14 du Code pénal :

L’article 226-13 n’est pas applicable : […] 5° Au vétérinaire qui porte à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, à un acte de cruauté ou à une atteinte sexuelle sur un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-1 et toute information relative à des mauvais traitements sur un animal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel. Cette information ne lève pas l’obligation du vétérinaire sanitaire prévue à l’article L. 203-6 du Code rural et de la pêche maritime.

• Article L. 203-6 du Code rural et de la pêche maritime :

Sans préjudice des autres obligations déclaratives que leur impose le présent livre, les vétérinaires sanitaires informent sans délai l’autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu’ils constatent dans les lieux au sein desquels ils exercent leurs missions si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux.

• Article 521-1 du Code pénal :

Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. […] Lorsque les faits ont entraîné la mort de l’animal, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. […] Est également puni des mêmes peines l’abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité […].

• Article 521-1-1 du Code pénal :

Les atteintes sexuelles sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

  • 1. Diplôme d’université en droit animalier, campus universitaire de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), université de Limoges (Haute-Vienne).
  • 2. Jestaz P. Existe-t-il un pré-droit animal ? Revue trimestrielle de droit civil. 2022:81-8.
  • 3. Marguénaud J.-P., Leroy J. (dir.). Code de l’animal. Paris: LexisNexis; 2019.
  • 4. L’article 515-14 du Code civil reconnaît les animaux comme « des êtres vivants doués de sensibilité […] soumis au régime des biens ».
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