Enquête sur les allergies dans la profession vétérinaire - La Semaine Vétérinaire n° 1989 du 12/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1989 du 12/05/2023

DOSSIER

Auteur(s) : Par Marine Molina, Geneviève Marignac, Chantal Bailly-Legrand, Delphine Le Roux, Marie-Thérèse Le Cam

Dans le cadre d’un travail de thèse de doctorat vétérinaire, une enquête révèle l’étendue des allergies existantes chez les vétérinaires et qui peuvent avoir un impact majeur sur l’exercice de leur profession. Leur appréhension et leur gestion sont donc essentielles. Décryptage de l’étude.

Le niveau de sensibilisation aux allergènes issus des animaux s’élève à 36 % chez les professionnels qui y sont exposés, contre 10 % dans le groupe contrôle de l’étude de Moghtaderi1 et al. Les vétérinaires sont par ailleurs exposés à de nombreux autres allergènes2. Or, on sait qu’une allergie qui devient trop sévère peut avoir un impact sur l’évolution de carrière3, alors que des adaptations peuvent être mises en place pour diminuer l’exposition aux différents allergènes2.

Le but de la présente étude, qui a étayé une thèse vétérinaire4, était de savoir si l’allergie pouvait avoir un impact sur les études ou sur la carrière des vétérinaires en France. Les objectifs secondaires étaient de répertorier les allergènes pouvant avoir un impact sur la profession et recenser les adaptations que les étudiants ou les vétérinaires avaient pu mettre en œuvre pour continuer à étudier ou à travailler.

Les résultats de l’étude

Description de l’échantillon

Nous avons obtenu 277 réponses d’étudiants et 224 de vétérinaires qui tous se déclarent allergiques, ce qui nous fait conclure, en se basant sur l’Atlas démographique de la profession vétérinaire5, qu’il y a au moins 9 % (277/3 122) d’étudiants vétérinaires allergiques et au moins 1 % (224/19 530) de vétérinaires allergiques.

Réponses de la section « allergie »

Parmi les répondants indiquant des symptômes respiratoires, les pollens sont les plus incriminés, touchant 66 % des étudiants (182/277) et 51 % des
vétérinaires (113/224). Viennent ensuite l’allergie à un animal (61 % des étudiants, soit 168/277, et 63 % des vétérinaires, soit 140/224) puis celle aux acariens (44 % des étudiants, soit 122/277, et 44 % des vétérinaires, soit 99/224) au sein des symptômes respiratoires (voir figure 1).

L’allergie au chat prédomine parmi les allergiques aux animaux, avec 80 % (148/185) des étudiants et 69 % (108/156) des vétérinaires. Les allergies médicamenteuses sont peu incriminées et concernent surtout les pénicillines (11 étudiants, 12 vétérinaires). Il en va de même pour les produits de nettoyage ou de désinfection, par exemple la chlorhexidine est citée par 12 vétérinaires contre seulement 3 étudiants.

Six vétérinaires ont noté une allergie aux « eaux fœtales » dans la réponse libre. L’allergène impliqué est le galactose-α-1,3-galactose (α-Gal) qui est présent dans les glycoprotéines et les glycolipides des mammifères non primates, notamment dans le placenta et dans le liquide amniotique bovin6,7.

Réponses de la section « carrière »

Parmi les vétérinaires qui ont répondu au questionnaire, 14 % (31/216) considèrent que leur statut d’allergique n’est pas compatible avec leur poste actuel. Pourtant, malgré ce constat, la majorité d’entre eux n’envisage ni changement ni adaptation de poste (74 %, soit 23/31). Pour certains, c’est par manque de connaissance sur les alternatives possibles et le refus d’« abandonner le métier [qu’ils ont] toujours voulu faire ». Aucun des 31 répondants n’avait pris en compte l’allergie au moment du choix professionnel initial. Une analyse globale des réponses montre que seulement une vingtaine de vétérinaires et une quinzaine d’étudiants indiquent que l’allergie est un élément déterminant dans leur choix de réorientation. Dans ce cas, il s’agit souvent de quitter l’activité de praticien pour d’autres métiers qui, pour la plupart, restent dans le milieu vétérinaire (voir figure 2). L’allergie peut survenir à tout moment, que ce soit durant les études ou tout au long de la carrière.

Réponses de la section « adaptations »

Pour 24 % (62/256) des étudiants et 22 % (47/209) des vétérinaires, aucune adaptation n’a été mise en place (voir figure 3). Parmi les adaptations proposées, on remarque la réduction du contact avec l’allergène, soit par l’éviction du produit soit par son remplacement par un autre. Il peut s’agir également de la protection des voies d’entrée de l’allergène, par exemple par le port du masque, indiqué par 17 % (44/256) des étudiants et 14 % (29/209) des vétérinaires et/ou le port de gants, noté par 11 % (29/256) des étudiants et 28 % (58/209) des vétérinaires (voir figure 3).

Les allergies aux animaux et cutanées

Dans notre étude, une surreprésentation de l’allergie aux animaux par rapport à celle aux acariens est observée. Cela peut se comprendre parce que le vétérinaire praticien est en effet au contact des animaux, ce qui peut mener à une sensibilisation. En outre, il est envisageable que les personnes allergiques aux animaux aient plus volontiers répondu à ce questionnaire en lien fort avec leur activité professionnelle, par rapport à celles n’associant pas leur allergie à leur métier.

Par ailleurs, l’allergie à la chlorhexidine est davantage citée par les vétérinaires. Il est logique de penser que les praticiens sont plus au contact de ce produit que les étudiants. Pourtant, même si la chlorhexidine peut entraîner des eczémas de contact ou des anaphylaxies8, cette allergie reste rare. Au contraire des parfums et des conservateurs, souvent présents dans les savons nettoyants et désinfectants, qui sont fréquemment à l’origine de réactions allergiques. Dans la mesure où nous n’avons pas demandé de résultats médicaux, il n’est pas possible de savoir si c’est la chlorhexidine ou un excipient qui est impliqué dans ces cas.

Les allergies professionnelles ou environnementales

Il est important de différencier les maladies professionnelles des maladies environnementales car elles n’ont pas les mêmes conséquences sur la prise en charge. Pour la Caisse nationale de l’assurance maladie, « une maladie est dite professionnelle si elle résulte des conditions dans lesquelles le salarié exerce d’une façon habituelle son activité professionnelle qui l’expose à un risque physique, chimique, psychique, ou biologique »9.

On peut inclure dans cette catégorie l’allergie au latex lors du port des gants de chirurgie, l’allergie au galactose-α-1,3-galactose (α-Gal), citée par six vétérinaires, engendrant des réactions d’urticaire localisées ou généralisées, voire de la dyspnée lors d’inhalation du liquide amniotique6,7 durant les vêlages ou les césariennes.

En revanche, les maladies environnementales sont généralement comprises dans les maladies non transmissibles et n’intègrent pas les maladies professionnelles acquises sur le lieu de travail, mais des facteurs environnementaux généraux ou personnels. Dans le secteur vétérinaire, la difficulté provient du fait que les frontières entre maladies environnementales et professionnelles sont floues, notamment en ce qui concerne les allergies aux pneumallergènes courants, tels les pollens et les acariens.

La prise en charge réglementaire sera différente mais les implications dans le métier sont parfois également importantes. Par ailleurs, l’allergie au chat peut être une maladie professionnelle, néanmoins de nombreux vétérinaires allergiques aux chats en possèdent à leur domicile, et il est alors difficile de savoir si l’allergie est réellement professionnelle.

Enfin, certaines allergies médicamenteuses, comme celles liées à la pénicilline, sont apparues le plus souvent sans lien avec la vie professionnelle et n’auront peut-être jamais d’influence professionnelle. Toutefois, on peut légitimement penser que l’allergie, dans ce cas, par l’évitement préventif de contact avec cette substance influence l’activité professionnelle. Or, concernant l’allergie aux pénicillines citées par une vingtaine de répondants, même si la réaction allergique à la suite d’un contact est rare, le contact est fréquent en médecine vétérinaire.

Les adaptations possibles dans l’exercice du vétérinaire praticien

Différentes adaptations existent pour pouvoir continuer à exercer dans de bonnes conditions et, si elles sont insuffisantes, une réorientation peut alors être envisagée.

Il est indispensable de porter un diagnostic précis pour savoir à quoi la personne est allergique afin de pouvoir adapter les mesures de prévention et les traitements. Il est donc recommandé de consulter un médecin spécialiste.

La désensibilisation a une efficacité différente selon les allergènes, celle aux venins d’hyménoptères permet de protéger totalement du venin de guêpe dans 95 % des cas et du venin d’abeille dans 80 % des cas, et de réduire l’intensité des réactions dans les autres cas. Celle aux pollens et aux acariens est également efficace mais à des pourcentages moins élevés10. Une nouvelle désensibilisation plus concentrée est maintenant disponible pour les phanères de chat ; elle devrait permettre une meilleure tolérance de cet allergène lorsqu’elle est administrée à temps. Toute désensibilisation doit être systématiquement associée à des mesures de prévention.

Concernant les allergies cutanées, même s’il est indispensable de se désinfecter les mains entre chaque manipulation d’animal pour ne pas risquer de transmettre des maladies, il est préférable d’utiliser les gels hydroalcooliques, moins irritants sur une peau saine que les savons. Il est conseillé d’opter pour des produits nettoyants et des savons doux « hypoallergéniques » contenant peu de conservateurs, peu de parfums et non agressifs pour la barrière cutanée. Il est important également de mettre de la crème hydratante plusieurs fois au cours de la journée pour réparer et renforcer la barrière cutanée. Pour l’irritation due aux poils courts de chiens, porter des vêtements aux manches longues permet de limiter les symptômes.
Porter des gants adaptés à l’acte (choix de la matière, jetables ou réutilisables, longueur de manchette) réduit le contact. Néanmoins, les gants doivent être fréquemment changés pour éviter la macération, à l’origine d’une irritation.
Concernant l’allergie au latex, des gants sans latex peuvent permettre de diminuer les réactions et les sensibilisations allergiques. Les collègues des personnes allergiques au latex doivent également porter des gants non poudrés pour éviter la diffusion des protéines de latex dans l’environnement.
Pour l’allergie à l’α-Gal, des doubles gants et le port d’un masque peuvent permettre de diminuer le contact.

Concernant les allergies respiratoires, une bonne ventilation et une aération régulière des locaux, un purificateur d’air et un nettoyage régulier par une tierce personne aident à réduire les symptômes. Le port du masque semble apporter une amélioration clinique chez environ 15 % des répondants. L’utilisation de désinfectants de surface et du matériel doit se faire avec précaution pour limiter l’exposition aux ammoniums quaternaires. Ces derniers sont les principes actifs de nombreux nettoyants désinfectants responsables à la fois de la sensibilisation et d’irritations respiratoires. Leur utilisation doit être privilégiée sur des lignettes ou des chiffons en évitant les sprays. Les bacs de décontamination doivent être fermés par un couvercle. Il est fortement recommandé de diminuer les contacts avec l’animal à l’origine des symptômes ou, lorsque cela est possible, de déléguer les soins à forte diffusion d’allergènes, comme la tonte des chats.

Conclusion

De multiples allergènes sont présents dans l’environnement de travail du vétérinaire et peuvent jouer un rôle dans l’évolution de sa carrière. Il est important que chaque personne allergique consulte pour établir le diagnostic précis de ses allergies et puisse adapter son environnement et ses pratiques de travail au plus tôt dans l’évolution de la maladie pour éviter l’aggravation des symptômes. Certains étudiants et professionnels ont mis en place des adaptations pour continuer à exercer. Leurs conseils peuvent aider les personnes encore confrontées à l’allergie dans leur métier afin qu’ils puissent continuer d’exercer sans mettre en danger leur santé.

Le questionnaire envoyé aux étudiants et aux praticiens

Un questionnaire a été envoyé à des étudiants vétérinaires et, avec quelques variations, à des vétérinaires allergiques. Il comportait plusieurs sections portant sur l’état allergique, la carrière et les adaptations mises en place en lien avec l’état allergique. Le site de sondage utilisé (Sondage online) permettait un chemin personnalisé pour chaque répondant, grâce à des branchements conditionnels, afin de minimiser le risque d’abandon en cours de sondage.

Le questionnaire était composé d’une majorité de questions fermées, tout en réservant des questions ouvertes pour recueillir des témoignages. Dans l’hypothèse où certains vétérinaires allergiques auraient quitté l’activité clinique, le questionnaire a été diffusé dans le secteur public et en entreprise privée.

Seuls les allergènes pouvant avoir un lien direct avec le métier de vétérinaire étaient abordés : pneumallergènes, allergènes de contact et allergènes par piqûre. Les allergies alimentaires étaient donc exclues, sauf l’arachide qui peut créer des symptômes par simple inhalation*. Pour des questions de confidentialité, aucun résultat médical n’était demandé.

L’analyse était descriptive quantitative avec un pourcentage sur répondants pour les questions fermées et descriptive quantitative et qualitative pour les questions ouvertes tout en respectant l’anonymat des répondants.

* Fédération française d’allergologie. Le grand livre des allergies. Paris: Eyrolles; 2014.

Conseils pratiques aux vétérinaires allergiques

Déterminer la cause de l’allergie

• Consulter un médecin allergologue, pneumologue, dermatologue, oto-rhino-laryngologiste pour un diagnostic de l’allergie et une prise en charge médicale.

• Consulter dans un centre de pathologies professionnelles pour établir le diagnostic de l’origine professionnelle de l’allergie et la prise en charge médicale et sociale1.

Adaptations possibles

• Pour des allergies cutanées : port de gants de protection adaptés, désinfection des mains avec du gel hydroalcoolique, lavage des mains avec des savons doux sans parfums pour peaux sèches et sensibles uniquement si nécessaire, crème hydratante.

• Pour des allergies respiratoires : port d’un masque, ventilation et aération régulière des locaux, purificateur d’air, nettoyage régulier par une tierce personne en privilégiant l’aspirateur plutôt que le balai, réduction du contact avec les irritants et les allergènes, déléguer certains soins.

Réglementations

• Discuter avec le médecin du travail pour mettre en place des mesures de prévention.

• Obligations de l’employeur : fournir des équipements de protection individuelle adéquats, des crèmes de protection.

Réorientation professionnelle

Le vétérinaire peut être praticien ou non praticien dans le secteur privé ou public2,3.

Reconnaissance de maladie professionnelle

Pour la prise en charge, il faut connaître les démarches4,5.

Attention : un travailleur indépendant n’est pas couvert mais il peut souscrire à une assurance volontaire contre le risque accident du travail et maladie professionnelle.

1. Centres de consultation de pathologies professionnelles Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles : bit.ly/3Ljs3Y6.

2. Club vétérinaires et entreprises : bit.ly/444VHZx.

3. Ordre national des vétérinaires. Les différents métiers vétérinaires : bit.ly/3NdKsIl.

4. Assurance Maladie. Maladie professionnelle : votre prise en charge. bit.ly/3mYLv4d.

5. Assurance Maladie. Asthme professionnel : bit.ly/41G6mbn.

  • 1. Moghtaderi M., Farjadian S., Abbaszadeh Hasiri M. Animal allergen sensitization in veterinarians and laboratory animal workers. Occup Med. 2014;64(7):516-20.
  • 2. Crépy M. N. Dermatites de contact professionnelles chez les vétérinaires et les personnels de soins aux animaux. Ref santé travail. 2016;146:119-30.
  • 3. Nienhaus A., Skudlik C., Seidler A. Work-related accidents and occupational diseases in veterinarians and their staff. Int Arch Occup Environ Health. 2005;78(3):230-8.
  • 4. Molina M. Les allergies pouvant interférer avec l’exercice de la profession vétérinaire. Thèse d’exercice [Médecine vétérinaire]. Maisons-Alfort: École nationale vétérinaire d’Alfort; 2022.
  • 5. Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Atlas démographique de la profession vétérinaire. 6e édition. 2021. bit.ly/3LxETD2.
  • 6. Lang M., Corriger J., Haumonte Q., et al. Allergie à α-galactose : un vêlage à fleur de peau. Rev Fr Allergol. 2018;58(3):253.
  • 7. Nuñez-Orjales R., Martin-Lazaro J., Lopez-Freire S., et al. Bovine amniotic fluid: A new and occupational source of galactose-α-1,3-galactose. J Investig Allergol Clin Immunol. 2017;27(5):313-4.
  • 8. Roussel C., Barret G. Conditions de travail et risques professionnels dans les cliniques vétérinaires. Doc pour Med Trav. 2003;94:161-70.
  • 9. Caisse nationale de l’assurance maladie. Maladie professionnelle : votre prise en charge. bit.ly/3mYLv4d.
  • 10. Fédération française d’allergologie. Le grand livre des allergies. Paris: Eyrolles; 2014.
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