Académie vétérinaire de France
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Dans un nouvel avis, les Académiciens appellent les vétérinaires praticiens à prendre conscience de la valeur des données qu’ils génèrent. Un travail collectif est à soutenir pour mieux structurer et protéger les chaînes de collecte, d’analyse et d’exploitation de ces données.
La médecine vétérinaire aura-t-elle son hub de données de santé, comme le « health data hub » qui s’est mis en place en médecine humaine ? C’est en tout cas une des recommandations faites par l’Académie vétérinaire de France dans son dernier avis1 sur les données brutes vétérinaires (voir encadré). Fruit de deux ans de travail, cet avis et le rapport associé visent à sensibiliser les vétérinaires qui ne le seraient pas encore aux enjeux liés aux données de santé. Le constat général est clair : tout est en train de se jouer, et l’enjeu global est de ne pas manquer le coche. Au risque d’être mis de côté, comme on a pu le voir avec l’accaparement de certaines données de santé concernant les élevages ou que les données soient utilisées uniquement à des fins privées.
Informer sur le devenir des données
Pour le vétérinaire praticien, les grands enjeux sont la propriété, la sécurisation, la place dans le contrat de soins et la monétisation des données, souligne Francis Desbrosse, vétérinaire (A 69) académicien qui a coordonné l’avis de l’Académie. Actuellement, le cadre de protection des données reste partiel. Il y a deux types de données : personnelles, liées aux détenteurs (identité, coordonnées), qui sont soumises au règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) et celles de santé animale qui ne sont pas encadrées (sauf si elles permettent d’identifier le propriétaire et, dans ce cas, elles dépendent aussi du RGPD). Lorsqu’elles sont anonymisées, ces données ne rentrent pas non plus dans le cadre du secret professionnel. De fait, en théorie, une fois anonymisées, les données de santé animale peuvent être exploitées sans exigences particulières. Toutefois, « en tant que profession réglementée, le contrat de soins impose au praticien un devoir d’information vis-à-vis du détenteur de l’animal, ce qui inclut le stockage et le devenir des données collectées », précise Francis Desbrosse. Le cadre est carrément absent pour les objets connectés utilisés chez l’animal, pour lesquels il n’y a pas non plus de certification systématique, contrairement à ce qui existe en médecine humaine.
Connaître les biais et structurer les données
Il y a également un enjeu scientifique lié à la qualité des données. « Les praticiens doivent avoir des connaissances sur la construction des algorithmes et les biais associés. » Un premier biais est lié à la collecte des données et un deuxième à l’analyse des données. Pour le premier, il s’agit de données brutes de mauvaise qualité ou/et de données mal interprétées par un développeur qui n’aurait pas connaissance du contexte de la collecte. « Ces biais sont assez faciles à détecter lorsque l’on est au niveau de l’algorithme. Mais dès qu’on arrive à un niveau d’analyse avec plusieurs algorithmes et alliant l’intelligence artificielle, avec des données transformées, on ne peut absolument pas les repérer. La seule manière de s’en rendre compte est de tester le système sur le terrain », explique Francis Desbrosse. Côté vétérinaire praticien, tout un travail de structuration2 a été fait par la Société nationale des groupements techniques vétérinaires avec l’élaboration d’un thésaurus pour homogénéiser les données. En parallèle, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a construit une base de données des médicaments. Cette structuration des données vétérinaires est nécessaire pour disposer d’une monnaie d’échange pour les autres données de santé qui sont dans les logiciels d’élevage. « Pour les animaux de rente, on demande aux vétérinaires qui ne sont pas présents dans les exploitations d’avoir une responsabilité vis-à-vis du bien-être animal et du sanitaire, alors qu’ils ne disposent pas de certaines données qui sont produites dans les élevages. C’est un vrai problème en tant que vétérinaire sanitaire, souligne François Valon, vétérinaire académicien (A 77), qui a participé au groupe de travail. Il y a des aspects commerciaux, de protection des données liées à un certain nombre de firmes. »
Créer un hub de santé vétérinaire
Au-delà de l’aspect clientèle, la donnée vétérinaire est centrale pour la santé publique et la recherche vétérinaire. Comme le rappelle Jean-Pierre Jégou(A 71) ancien président de l’Académie vétérinaire de France (2021), autre participant au groupe de travail, il y a des domaines déjà bien avancés avec les réseaux d’épidémiosurveillance, notamment concernant les animaux de rente. Pour les animaux de compagnie, des banques de données sont ouvertes et accessibles pour les maladies génétiques. « Les données doivent être vues comme un bien commun et être mises à disposition de tous, chercheurs, administrations, instituts, industrie… Dans cette optique, les données cliniques sont importantes à rassembler et à homogénéiser », indique-t-il.
Dans ce contexte, outre la prise de conscience individuelle, il y a un travail de structuration à réaliser à un niveau plus collectif. Les écoles vétérinaires ont un rôle à jouer en formant les futurs vétérinaires en exercice et en favorisant les rencontres avec des profils autres que vétérinaires (ingénieurs, développeurs informaticiens…). Les instances professionnelles doivent également participer à la structuration des données, à l’évolution du cadre réglementaire, à l’insertion dans des réseaux de surveillance… et aussi à un « vet health data hub » au service de la santé publique, de la pratique et de la recherche vétérinaires.
La plateforme Calypso, qui vient d’être mise en service, pourra-t-elle aider ? Pour Francis Desbrosse, « pour le moment, le seul hub à guichet unique qu’on ait, c’est Calypso. Il n’y a pas de raison d’en créer un autre. Calypso ne se limitera pas, on l’espère, à la question de l’utilisation des antibiotiques ».
Focus sur les groupes
Le rapport de l’Académie vétérinaire de France consacre une partie de son analyse au cas particulier des groupes vétérinaires. Des critères nouveaux sont à définir pour plusieurs raisons : les groupes ont leurs propres logiciels de gestion de clinique, et pourraient « être conduits à récupérer sans partage un certain nombre de données brutes à des fins commerciales ou pour constituer des bases de données monétisables » ; par ailleurs, ils disposent de « solides services juridiques », ce qui fait qu’il peut y avoir parfois une référence au secret des affaires « pour ne pas communiquer sur leurs pratiques internes relatives aux données ». « Les vétérinaires en exercice dans ces établissements de soins pourraient ne pas être pleinement décisionnaires du devenir de données médicales de santé des animaux qui leur ont été confiées dans le cadre du contrat de soins », écrivent les Académiciens.
Les recommandations
Au niveau individuel :
• prendre conscience de la valeur des données générées dans le cadre de son exercice et se former au numérique ;
• former les étudiants vétérinaires aux notions de données, de métadonnées et de loyauté des algorithmes ;
• s’informer sur les conditions de sécurisation des données numériques ;
• produire des données pertinentes et de qualité ;
• mentionner, dans le contrat de soins, l’usage possible des données ;
• protéger en anonymisant les données et en s’assurant des conditions de leur transfert ;
• utiliser des ordonnances informatisées permettant la valorisation des données sanitaires.
Au niveau collectif :
• favoriser la création d’un référentiel de nomenclature, qualité et qualification des données ;
• mettre en œuvre un cadre réglementaire de transfert des données issues des pratiques vétérinaires ;
• s’ouvrir à des groupes pluridisciplinaires (ingénieurs, développeurs, informaticiens…) ;
• permettre aux vétérinaires d’avoir accès aux données de santé animale dont certaines pourraient servir le bien commun ;
• inciter à la structuration de la donnée vétérinaire, dans un objectif d’échange avec les autres producteurs de données ;
• s’insérer, en qualité de partie prenante, dans des réseaux d’épidémiosurveillance existant ou à venir, qui fournissent des données qualifiées et formatées ;
• participer à l’élaboration de cahiers des charges en vue d’évaluer les performances des outils connectés ;
• créer un observatoire des données via un vet health data hub au service de la santé publique, de la pratique et de la recherche vétérinaires.