Reproduction des brebis laitières : vers une évolution des pratiques ? - La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023

Reproduction

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Conférencière

Fabien Corbière (professeur en pathologies des ruminants à l’École nationale vétérinaire de Toulouse)

Article rédigé d’après la conférence « Mise à la reproduction des agnelles de race Manech tête rousse : que nous apprend l’évolution des pratiques ? » donnée lors des Journées 3R les 7 et 8 décembre 20221.

Depuis plusieurs années, le Centre départemental de l’élevage ovin2 (Pyrénées-Atlantiques) fait état d’un recul de l’utilisation de l’insémination artificielle (IA) chez les agnelles des races ovines laitières des Pyrénées au profit de la monte naturelle, en raison, selon les éleveurs, de résultats de fertilité non satisfaisants avec l’IA (allant de 50 % en 2013 à 35 % en 2018 en race Manech tête tousse [MTR] par exemple). Dans ce contexte, l’un des objectifs du travail de recherche présenté ici était de décrire les évolutions des pratiques de mise à la reproduction des agnelles de race MTR dans les élevages sélectionneurs sur une période de dix ans (campagnes laitières de 2009 à 2018) mais aussi d’évaluer les principaux facteurs pouvant dégrader les réussites de reproduction à l’IA des agnelles.

Une étude vaste et longue

L’analyse a porté sur des élevages comportant des lots d’agnelles MTR de plus de 25 animaux, suivis dans la base de données Sieol3 pour au moins cinq campagnes sur la période d’étude (soit 163 500 agnelles). Les agnelles étaient mises à la reproduction avant l’âge de 400 jours et inséminées ou luttées en monte naturelle, avec ou sans synchronisation des chaleurs. Les auteurs de l’étude ont décrit, par année et par mode de reproduction, les dates de naissance ainsi que les dates de mise à la reproduction des agnelles, et ils ont calculé leurs performances de reproduction (taux de fertilité à l’IA [FIA], au premier cycle post-IA [FRIA], ainsi que la somme des deux [TFGIA] et le taux de fertilité en monte naturelle [FMN]).

Vers plus de montes naturelles

Les résultats obtenus ont permis de montrer que le TFGIA était supérieur au FMN mais avec un écart qui se réduit d’année en année. Au cours de la période d’étude, les chercheurs ont constaté que pour l’IA et pour la monte naturelle, l’étalement des âges de mise à la reproduction tend à se réduire. De plus, l’avancement des dates de mise à la reproduction, que ce soit pour l’IA ou pour la monte naturelle, s’est traduit par une réduction de 11 jours de l’âge moyen de mise à l’IA fécondante et de 29 jours de l’âge moyen à la saillie fécondante depuis 2009.

Plusieurs facteurs de réussite

Comme l’ont indiqué les chercheurs, cette étude représente la première analyse descriptive jamais réalisée sur l’évolution des pratiques de mise à la reproduction. L’analyse des facteurs influençant la réussite à l’IA chez ces agnelles a permis de mettre en évidence qu’il ne dépend pas du délai entre la dépose des éponges (traitement hormonal de synchronisation des chaleurs) et l’IA, et que la semaine durant laquelle se déroule l’IA a une faible influence sur le TFGIA. Cependant, l’âge à l’insémination a un effet très significatif sur le TFGIA (augmentation de la réussite à l’IA avec l’augmentation de l’âge à l’IA). Ainsi, avant l’âge de 8 mois, la réussite à l’IA augmente rapidement avec l’âge tandis qu’au-delà de 8 mois, le gain est plus réduit.

Des hypothèses à confirmer

Selon les chercheurs, ce phénomène pourrait s’expliquer par le poids des agnelles mises à la reproduction. Ils supposent qu’avant 8 mois, seules certaines agnelles atteignent le poids idéal recommandé (67 % du poids adulte) et peuvent ainsi être pubères4. Une autre hypothèse, qui, selon les chercheurs, mériterait d’être explorée, serait que les agnelles atteignent le poids recommandé mais ne sont pas pleinement pubères en raison d’un âge trop jeune, avec un taux d’ovulation réduit, des échecs de fécondation ou des pertes embryonnaires précoces plus importantes5. « Ce poids recommandé devrait d’ailleurs être reconfirmé, car il a été défini historiquement sur des brebis de gabarit plus réduit », ont-ils indiqué.

Un parallèle avec d’autres travaux

Des travaux menés sur les races Awasi6 et Merinos7 suggèrent par ailleurs qu’une croissance post-sevrage rapide est associée à une puberté plus précoce, ce qui pourrait permettre d’expliquer les bons résultats de fertilité observés dans certains troupeaux inséminant les agnelles avant 8 mois8. Enfin, la réussite à l’insémination des jeunes agnelles est également influencée par le parasitisme et la couverture des besoins alimentaires autour de la puberté. De nouvelles connaissances sur le sujet devraient être obtenues prochainement dans le cadre du projet de recherche Casdar Respol, mis en place pour évaluer la cyclicité ovarienne des agnelles de race MTR en fonction de leur âge.

  • 1. Valorisation des rations alimentaires dans les troupeaux laitiers : états des lieux et facteurs explicatifs des différences entre production théorique et production observée. Journées 3R - Rencontres autour des recherches sur les ruminants des 7 et 8 décembre 2022. bit.ly/3ZsOD68.
  • 3. Système d’information en élevage ovin lait.
  • 4. Rosales Nieto C.A., Ferguson M.B., Thompson H., et al. Relationships among puberty, muscle and fat, and liveweight gain during mating in young female sheep. Reprod Dom Anim. 2015;50(4):637-42.
  • 5. Edwards S.J., Smaill B., O’Connell A.R., et al. Reduced ovulation rate, failure to be mated and fertilization failure/embryo loss are the underlying causes of poor reproductive performance in juvenile ewes. Anim Reprod Sci. 2016;167:125-32. 
  • 6. Ridler A.L., Corner-Thomas R., Kenyon P.R., Griffiths K.J. Investigation of fetal loss in ewe lambs in relation to liveweight changes and progesterone concentrations in early to mid gestation. New Zealand Vet J. 2017;65:34-8.
  • 7. Alkass J.E., Aziz D.A., Al-Nidawi K.A.. Genetic aspects of puberty in Awassi ewes. Small Rumin Res. 1994;14:249-52.
  • 8. Suarez-Henriques P., De Miranda e Silva Chaves C., Cardoso-Leite R., et al.  Ovarian activation delays in peripubertal ewe lambs infected with Haemonchus contortus can be avoided by supplementing protein in their diets. BMC Vet Res. 2021;17:344.
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