Toxicologie
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Tanit Halfon
L’intoxication au cannabis des carnivores domestiques est maintenant bien connue. Mais c’est loin d’être la seule drogue à laquelle un animal de compagnie peut être exposé. C’est tout l’objet d’une étude menée par des équipes vétérinaires croates et italiennes, publiée en 2023 dans Veterinary and Animal Science. Les effets de plusieurs drogues stimulantes, hallucinogènes et dissociatives ont été passés en revue, tout comme les possibilités de traitement. Les données restent partielles : ces intoxications restent heureusement rares.
Des signes non spécifiques
Premières drogues, les amphétamines et la méthamphétamine, qui ont des propriétés psychostimulantes. En médecine humaine, les amphétamines correspondent à des médicaments psychotropes pour le traitement du déficit de l’attention, du trouble d’hyperactivité et de la narcolepsie. La méthamphétamine, avec ses effets psychédéliques et hallucinogènes, est la deuxième drogue la plus consommée au monde. Les signes cliniques s’apparentent à ceux de l’humain : hyperactivité, agression, hyperthermie, tremblements, ataxie, tachycardie, tourner en rond, hypertension, mydriase, convulsions, rhabdomyolyse, dysfonctionnement organique (cœur, foie, rein), ischémie, pouvant aller jusqu’à la mort. La dose létale médiane serait entre 9 et 27 mg/kg pour un chien, et de 10 mg/kg pour la méthamphétamine (voire moins sur des formes très purifiées).
L’ectasy (ou MDMA pour 3,4-méthylènedioxy-méthamphétamine) a les mêmes propriétés générales que la méthamphétamine. La difficulté est qu’elle est souvent mélangée avec d’autres substances, comme la cocaïne, la méthamphétamine, la kétamine, les « sels de bain » (cathinones) et la caféine, ce qui aggrave les troubles cliniques. La clinique correspond à un vrai syndrome sérotoninergique, dont le niveau peut être d’intensité variable ; les premiers signes apparaissent au bout de 30 minutes et jusqu’à 2 heures post-ingestion : frissons, mydriase, sueur, tachycardie, troubles de l’état mental, hyperactivité autonome, anomalies neuromusculaires. Sans traitement, la clinique s’aggrave (hypertension, tachycardie, délire, rigidité musculaire). Chez le chien ont été décrits des mouvements circulaires, une dépression, mydriase, hyperactivité, tachypnée, salivation.
Des effets plus ou moins rapides
Autre drogue, la phencyclidine (PCP), qui est un anesthésique dissociatif et qui s’apparente à la kétamine. À faible dose, les chiens apparaissent déprimés ; à forte dose, stimulés. La clinique est large : rigidité musculaire, rictus, augmentation de l’activité motrice, agitation de la tête, incoordination, hypersalivation, nystagmus, opisthotonos, convulsions tonico-cloniques, agression, hyperthermie, tachycardie, hypertension, coma.
L’acide lysergique diéthylamide (LSD) est un hallucinogène sérotoninergique. Chez l’humain, le LSD apparaît comme une drogue relativement sûre dans le cadre d’un usage récréatif, avec des effets de type psychologique qui disparaissent rapidement. Chez les animaux, les signes cliniques apparaissent dans les 90 minutes post-ingestion (avec une durée jusqu’à 12 heures) : mydriase, sédation, dépression, excitation, changements de comportement voire hallucination. Chez le chat, une étude menée dans un cadre expérimental a montré après administration intrapéritonéale (étude de 1977 !) plusieurs effets comportementaux : frottements, piétinements, pétrissage, vocalisation, toilettage, secousses, agitation des membres, comportements de jeu et exploration, hallucination. À plus haute dose, il y avait de la tachycardie, tachypnée, hyperglycémie, hypertonie et hyperthermie. Les champignons psilocybines ou champignons magiques sont associés à des effets psychédéliques. Chez le chien, on observe généralement au bout de 30 à 60 minutes de l’ataxie, des vocalisations, de l’agressivité, de l’hyperthermie et du nystagmus. Chez l’humain, les hautes doses provoquent de l’anxiété, de la désorientation, de la paranoïa et des attaques de panique. Enfin, la cocaïne a la particularité, comme l’ectasy, d’être mélangée à d’autres substances actives telles que la procaïne, la lidocaïne, la caféine, les amphétamines ou le PCP. La cocaïne est absorbée par toutes les muqueuses : l’intoxication peut se faire par ingestion et inhalation. Il y a plus de données pour cette drogue : la DL50 est de 3 mg/kg pour le chien, qui peuvent tolérer jusqu’à deux à quatre fois la dose par voie orale. Chez le chien, la clinique est d’apparition très rapide (10-15 minutes) et les signes très multiples : hyperactivité, hyperesthésie, tremblements, convulsions, vomissements, tachypnée, dyspnée, etc. À l’autopsie, on peut observer un œdème pulmonaire et des signes vasculaires (hémorragies cardiaque et pulmonaire, épanchement péricardique, etc.). Une dépression respiratoire et une insuffisance cardiaque peuvent entraîner le décès de l’animal.
Un traitement de soutien avec quelques spécificités
Cette multiplicité des signes cliniques, pas forcément spécifiques du fait de mélanges possibles de substances actives, rend le diagnostic difficile. La discussion avec le détenteur de l’animal est donc essentielle. Côté laboratoire, des méthodes ont été validées mais elles sont coûteuses, et le temps d’analyse est généralement plus long que le temps clinique. Il existe des kits de test en vente libre pour l’analyse des urines en médecine humaine, pouvant être utilisés mais avec un risque de faux positifs dans certains cas.
Côté thérapeutique, il s’agit uniquement d’un traitement classique de soutien, tout en gardant l’animal dans un environnement calme : émétiques ou lavage gastrique, adsorbants, piégeage ionique (chlorure d’ammonium), émulsion lipidique intraveineuse, fluidothérapie et diurèse forcée. Pour la cocaïne et le LSD, le traitement gastrique n’est pas utile du fait de l’absorption rapide des molécules. Le charbon est utile pour ces drogues, mais à administration dans les 30 minutes suivant l’ingestion pour les amphétamines. Il faut répéter l’administration pour le PCP (circulation entéro-hépatique de la molécule). Les molécules de soutien habituelles peuvent être données pour contrôler certains signes cliniques (agitation, convulsion, etc.). Les benzodiazépines sont contre-indiquées pour les amphétamines, au risque d’aggraver les effets neurologiques. Tout comme les phénothiazines pour le PCP au risque d’exacerber l’effet anticholinergique. Certains patients peuvent nécessiter des traitements plus poussés. En cas de traitement rapide, le pronostic est bon.