La ligne d’écoute est le cœur battant de l’association - La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023

Entretien

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel

En novembre 2022, Laurence Crenn a été élue présidente de l’association Vétos-Entraide, en remplacement de Joëlle Thiesset. Avec William Addey, qu’elle présente comme coprésident, ils reviennent à cette occasion sur le rôle de ce cadre bienveillant et sécuritaire disponible pour les vétérinaires qui en ressentent le besoin.

Vous êtes la nouvelle présidente de l’association Vétos-Entraide, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Laurence Crenn : Je suis vétérinaire praticienne libérale à Lons-le-Saunier, dans le Jura, en activité canine. Cela fait plusieurs années que je suis adhérente à l’association Vétos-Entraide et fais partie de son conseil d’administration. Mon engagement vient d’un souci de prendre soin des autres, des consœurs et des confrères. C’est aussi une façon de rendre ce que j’ai reçu par le passé de Vétos-Entraide, lors de moments difficiles comme chacun ou chacune d’entre nous peut en traverser. Notre rôle est de parler des sujets difficiles qui touchent la profession et contribuent à son mal-être, mais aussi de favoriser le bien-être.

Pouvez-vous nous rappeler le rôle de l’association Vétos-Entraide ?

L. C. : La ligne d’écoute empathique et active est le cœur battant de l’association. Elle a été pensée pour les vétérinaires mais aussi pour leur famille, leurs amis, les étudiants vétérinaires et les auxiliaires spécialisés vétérinaires. Nous travaillons sur tous les leviers qui favorisent ce lien solidaire entre les vétérinaires. La personne qui écoute ne juge pas celle qui appelle ni ne donne de conseils non sollicités. L’espace d’écoute offre une oreille attentive afin d’aider la personne qui appelle à poser des mots sur son mal-être et les problèmes qu’elle rencontre sans lui dicter la marche à suivre. Nous respectons son autonomie et sa capacité à trouver une solution qui lui conviendra. Nous sommes présents pour chaque vétérinaire individuellement et pour tous les vétérinaires, qu’ils soient en groupe ou non, salarié ou libéral, praticien ou dans un autre domaine d’exercice. Nous sommes là pour chaque individu quel que soit son domaine d’activité.

William Addey : Concernant le mal-être des vétérinaires, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas de réels changements depuis vingt ans. La pratique n’a pas évolué, de même que la façon dont les vétérinaires sont formés. En attendant les changements, Vétos-Entraide est un lien précieux et solidaire entre vétérinaires. Nous sommes là pour tous et toutes les vétérinaires qui ne vont pas bien. Car, parfois, en tant que vétérinaire, nous avons du mal à gérer nos émotions, la fatigue compassionnelle, le risque d’épuisement professionnel (burn out), etc.

Quel est l’objectif de votre collaboration avec l’Association internationale des étudiants vétérinaires, qui regroupe les quatre écoles vétérinaires, autour du mal-être des étudiantes et étudiants vétérinaires ?

L. C. : Nous avons fait le choix de mettre l’accent sur le mal-être des étudiants et étudiantes vétérinaires. Un premier questionnaire a été lancé par l’Association internationale des étudiants vétérinaires (Ivsa) en 2018, duquel a découlé un rapport publié en 2022. Les résultats d’une nouvelle enquête*menée à la même période feront l’objet de 12 rapports publiés sur six mois grâce au travail de Thierry Jourdan et Marie Babot pour Vétos-Entraide, et des étudiantes Clara Brunet de Gail et Carole Edel pour l’Ivsa. L’objectif de ces travaux est de préciser les problématiques étudiantes et de les rendre compréhensibles et audibles. Les deux premiers volets publiés sur le site internet de Vétos-Entraide abordent pour l’un la problématique de l’envie de quitter le cursus et pour l’autre celle de l’articulation théorie/pratique et l’impatience de commencer la pratique clinique.

Votre objectif est-il finalement d’engager des réflexions sur des solutions pour en finir avec ce mal-être présent au sein de la profession ?

L. C. : Nous ne pensons pas qu’il y ait une solution clés en main standardisée à apporter, et ce n’est pas nécessairement notre rôle. Nous respectons le travail effectué par les écoles pour accompagner les étudiantes et étudiants vétérinaires et pour l’ensemble des vétérinaires par les autres institutions représentatives. La profession fait face à des problématiques dont elle doit s’emparer et travailler collectivement pour élaborer de nouveaux modèles et réfléchir à des solutions.

W. A. : Notre rôle est d’aider celles et ceux qui en ont besoin, de promouvoir les initiatives favorisant le bien-être des vétérinaires et de témoigner des vécus sur le terrain et dans les écoles. Nous ne prétendons pas savoir mieux que les autres. Nous constatons que le temps est au clivage entre les groupes et les indépendants, les canins et les ruraux, les spécialistes et les généralistes, les anciens et les jeunes, etc. C’est pourquoi Vétos-Entraide est présent pour tous et toutes les vétérinaires. Nous ne jugeons pas leur choix et ne cherchons pas un rôle de leadership avec des propositions formelles qui pourraient être perçues comme partisanes.

Estimez-vous avoir un rôle de lanceur d’alerte ?

W. A. : Nous tentons de nous positionner en lanceur d’alerte dans le temps long. Nous sommes moins institutionnels que d’autres acteurs, ce qui permet de faire entendre une seconde voix. Celle-ci permet également de mettre l’accent sur d’autres sujets tels que la féminisation. Il est dommage qu’il y ait encore un sexisme important au sein de la profession, qui se traduit notamment par des écarts salariaux entre les hommes et les femmes. Il est nécessaire que les vétérinaires femmes soient intégrées à tous les niveaux des entreprises en laissant la place pour la charge mentale plus importante qu’elles doivent souvent assumer au foyer et leur envie de pratiquer une médecine avec plus de liens.

L. C. : La féminisation de la profession est un sujet dont il faut s’emparer. Loin d’être un problème, il s’agit d’un constat à partir duquel il peut y avoir des spécificités qui sont le reflet de problématiques sociétales, plus vastes que le milieu vétérinaire, sur lesquelles il faut s’interroger. Quand la difficulté à articuler vie personnelle et vie professionnelle est à la fois un facteur d’épuisement émotionnel, de troubles du sommeil, d’idéations suicidaires, de reconversion professionnelle, on peut se demander si cela peut avoir un lien avec les inégalités femmes-hommes dans la sphère domestique.

La stratégie de Vétos-Entraide a-t-elle évolué face à une profession en pleine mutation ?

W. A. : Notre stratégie restera la même : être là 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour écouter les vétérinaires qui en ressentent le besoin tout en apportant un cadre bienveillant et de sécurité. Nous croyons en l’autonomie des personnes pour décider de ce qui est bon pour elles, et ne stigmatisons jamais personne de quitter un emploi ou un métier.

Prévoyez-vous des collaborations avec des acteurs de la santé humaine confrontés aux mêmes problématiques (notamment stress professionnel, sentiment d’isolement) ? 

L. C. : Des ponts existent entre les professions. L’espace d’écoute de Vétos-Entraide est un dispositif parmi d’autres. Notamment les associations Soins aux professionnels de la santé et Mots (Médecin, organisation, travail, santé), le Programme M, etc. Ces dispositifs sont destinés aux professionnels de santé et sont ouverts aux vétérinaires en exercice. Ils apportent un accompagnement par des professionnels de santé qui proposent une prise en charge psychologique des appelants.

Vétos-Entraide recrute !

L’association Vétos-Entraide recherche des bénévoles qui souhaitent devenir écoutants et écoutantes. Le seul prérequis est d’être vétérinaire ou être en train de le devenir. Les bénévoles sont formés par l’association. Intéressé(e) ? Contactez Vétos-Entraide par mail : ecouter@vetos-entraide.com.

  • * Lire « Nouvelle alerte sur le mal-être des étudiants », La Semaine Vétérinaire n° 1977 du 17 février 2023.
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