La démence féline, ou syndrome de dysfonction cognitive - La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023

Gériatrie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Mylène Panizo

Conférencière

Claire Laniesse (N 98), praticienne en médecine féline exclusive au Havre (Seine-Maritime)

Article rédigé d’après une webconférence organisée le 25 octobre 2022 par le Groupe de réflexion et d’intérêt félin1, d’après le congrès de l’International Society of Feline Medecine2 de Rhodes (Grèce, 30 juin-3 juillet 2022), et en partenariat avec Boehringer Ingelheim.

Le syndrome de dysfonction cognitive, nouvellement appelé par l’International Society of Feline Medecine (ISFM) « démence féline », atteint un chat sur deux de plus de 15 ans. Il est pourtant largement sous-estimé par les propriétaires.

Définition

La démence féline est la détérioration des fonctions cognitives au-delà de ce qui peut être habituellement attendu des conséquences de l’âge. L’ISFM précise que la démence n’est pas à prendre au sens de la maladie psychiatrique mais dans son sens étymologique (de = moins, mens = cognition, conscience).

La démence féline est une maladie due au vieillissement du cerveau. Plusieurs mécanismes lésionnels entrent en jeu : des microsaignements (dus à des chocs ou à une hypertension artérielle systémique), des inflammations légères chroniques, la présence accrue de radicaux libres, des dépôts de plaques amyloïdes dans le cerveau et la modification (phosphorylation) de protéines cérébrales.

L’ imagerie par résonance magnétique (IRM) des chats atteints révèle une atrophie corticale du cerveau, ainsi que des ventricules et des espaces sous-arachnoïdiens plus larges. La démence féline présente de nombreuses similitudes avec la maladie d’Alzheimer chez l’humain, même si peu d’études chez le chat ont été publiées.

Certains facteurs favorisent un syndrome de dysfonction cognitive, comme la vie citadine (moins de stimulations), la cécité et éventuellement la surdité (des études sont en cours pour le démontrer).

Présentation clinique

Les propriétaires ne consultent généralement pas pour ce syndrome. Ils n’osent pas en parler, pensent que cela est normal étant donné l’âge avancé du chat, ou ils estiment que rien ne peut être fait. Il est donc très important de questionner les propriétaires au cours des consultations annuelles. Il est conseillé d’en parler dès le stade senior, afin de les sensibiliser à cette maladie et ainsi pouvoir repérer les premiers symptômes. Les signes cliniques les plus fréquemment observés lors de démence féline sont les suivants :

• Des vocalises : il s’agit souvent du seul motif de consultation. Ce sont des miaulements que le chat n’avait pas auparavant, longs, plaintifs et de forte intensité. Ils peuvent être nocturnes, diurnes, ou les deux. Les causes de ces vocalises sont majoritairement une demande d’attention et une désorientation. Dans des cas plus rares, il s’agit d’une demande alimentaire ou l’expression d’une douleur.

• Une altération des relations sociales : réveil du propriétaire (demande de caresses, aide pour descendre, besoin de se rassurer).

• Une malpropreté urinaire ou fécale (perte des inhibitions).

• Une léthargie : état dépressif, absence de motivation pour jouer.

• Des troubles neurologiques : faiblesse généralisée, gêne pour passer les obstacles. Des troubles proprioceptifs, symétriques et chroniques, sont parfois constatés.

Diagnostic

Il n’existe pas de test diagnostique de confirmation. La démence féline est un diagnostic d’exclusion, qui commence généralement par l’exploration des miaulements intempestifs.

En amont d’une consultation gériatrique, il est intéressant de donner un questionnaire à remplir au propriétaire afin de déceler les premiers symptômes de dysfonctionnement cognitif, ainsi que de lui demander de filmer son chat chez lui.

En consultation, il est conseillé d’observer le chat marcher, de réaliser un examen clinique complet, y compris orthopédique, neurologique et ophtalmologique (fond d’œil). Il est important de noter toute variation du poids et de prendre des mesures de la tension artérielle.

La réalisation d’un bilan hémato-biochimique, d’une évaluation de la thyroïde, ainsi qu’un examen cytobactériologique des urines (ECBU) (présence possible d’une infection urinaire) est préconisée. Le recours à une IRM n’est pas forcément nécessaire, elle n’est recommandée qu’en cas de suspicion de tumeur cérébrale.

Le diagnostic différentiel comprend les encéphalopathies hypertensives (apparition aiguë, parfois perte de la vision, atteinte des nerfs crâniens), infectieuses (virus de l’immunodéficience féline, toxoplasmose : anisocorie, ataxie, perte visuelle) et hépatiques (dépression, coma, hypersalivation). L’hyperthyroïdie est également une maladie à écarter (excitabilité, irritabilité, insomnies). Il est également important de rechercher un foyer douloureux, notamment articulaire (arthrose) et dentaire. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à traiter la douleur et à réévaluer ensuite les fonctions cognitives du chat (diagnostic par essai thérapeutique).

Prise en charge

La démence féline, notamment en cas de vocalises intenses, peut être très difficile à vivre pour les propriétaires. La prise en charge de cette affection nécessite une approche pluridisciplinaire, globale et individualisée. Celle-ci s’articule autour de cinq axes :

• Traitements médicamenteux : le médicament de référence est l’utilisation de la sélégiline, à la dose de 1 mg/kg, une fois par jour. Son utilisation est hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Il n’y a pas d’étude chez le chat, mais son utilisation fréquente depuis de nombreuses années par les praticiens en médecine féline justifie cette recommandation. Les effets attendus apparaissent au bout de 4 à 6 semaines. Quelques effets secondaires gastro-intestinaux, passagers, peuvent être observés. Il est conseillé de réaliser une numération formule sanguine ainsi qu’un bilan biochimique tous les six mois chez les chats sous traitement.

• Utilisation de neuroprotecteurs : la propentofylline, à la dose de 3 à 5 mg/kg, deux fois par jour, au cours d’un repas, est généralement prescrite (hors AMM). Les compléments alimentaires antioxydants sont également recommandés, tels que les vitamines E et C, les caroténoïdes, les flavonoïdes, la L- carnitine, les acides gras essentiels, la taurine, le ginkgo biloba, la S-adénosylméthionine ou le palmitoyléthanolamide.

• Thérapie comportementale : en prévention et en stade précoce de la maladie, il est conseillé de stimuler le chat en l’encourageant à jouer et en distribuant l’alimentation dans des plateaux de jeux. En phase avancée, il est nécessaire de modifier son environnement afin de rendre facilement accessibles les gamelles, la litière, les lieux de couchage, et de prévoir un repas tard le soir. L’utilisation de phéromones et/ou d’aliments complémentaires à base de tryptophane, de protéine de lait ou de L-théanine peut être utile. Certains spécialistes conseillent de laisser une veilleuse et/ou une radio allumée la nuit pour rassurer l’animal. Lors de crise d’angoisse nocturne, il faut encourager le propriétaire à rassurer son chat en le caressant. Si les miaulements nocturnes sont difficilement tolérés par le propriétaire, la gabapentine peut être administrée avant le coucher. Cette molécule a un effet anxiolytique, légèrement somnifère et antidouleur.

• Thérapie antalgique : utilisation d’anticorps monoclonaux, d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, etc. La prescription de tramadol est contre-indiquée en cas de traitement à base de sélégiline.

• Aider les propriétaires : il est important de tenir compte du stress du propriétaire, en leur conseillant de mettre des bouchons d’oreille ou des écouteurs avec des bruits blancs. Laisser le chat dormir dans la chambre peut être également bénéfique.

En pratique, il est recommandé de commencer par la prescription de compléments alimentaires (en stade précoce) et/ ou de propentofylline ou de sélégiline (en stade avancé). Quel que soit le traitement mis en place, une réévaluation des fonctions cognitives au bout de 4 à 6 semaines est indispensable. La démence féline est une maladie qui nécessite un suivi régulier.

  • 1. Le Grif propose une formation « Les ateliers et rencontres félines » au Futuroscope, les 6 et 7 octobre 2023 sur le thème « Les bobos des boyaux ».
  • 2. D’après les conférences, tables rondes ou écrits de Danièle Gunn-Moore (interniste, consultante en gériatrie), Clare Rusbridge, Sarah Heath (comportementaliste) et Matt Gurney (anesthésiste).
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