Agriculture biologique et praticiens vétérinaires : sur la bonne voie - La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1981 du 17/03/2023

Dossier

DOSSIER

Auteur(s) : Par Chantal Béraud

« Vaste sujet que la relation des vétérinaires et de l’agriculture biologique ! s’exclame Philippe Labre (A 74), gérant de Gentiana PhytoLabo. Il y a encore des situations très diversifiées, en cours d’évolution… » Une première réaction que corrobore Loïc Guiouillier (N 86), président de la commission des médecines complémentaires à la Société nationale des groupements techniques vétérinaires ([SNGTV], également trésorier de l’association Vétérinaires homéopathes de France et praticien mixte à prédominance rurale en Mayenne). En effet, lorsqu’on lui demande de formuler la genèse desdites relations, Loïc Guiouillier confirme « qu’historiquement, en France, le démarrage de l’agriculture biologique a été le fait d’éleveurs militants, qui excluaient souvent quasi totalement d’avoir recours à des vétérinaires dits conventionnels. Mais ces vingt dernières années, les mentalités d’une partie des acteurs ont heureusement déjà beaucoup évolué, de part et d’autre ».

Sur la vague des conversions au bio

À partir des années 2000, la consommation de produits biologiques a en effet connu une croissance à deux chiffres. « En parallèle, indique Loïc Guiouillier, dès 2012, la profession vétérinaire s’est engagée dans la lutte contre l’antibiorésistance, ce qui a déclenché une prise de conscience de certains vétérinaires ruraux. Dans le même temps, les praticiens ont été davantage sollicités pour accompagner de “nouveaux” éleveurs bio, notamment parce que ceux qui entraient dans une phase de conversion faisaient déjà auparavant partie de leur clientèle habituelle. En fait, il n’existe qu’une seule médecine ! Le praticien pose d’abord son diagnostic, ensuite il doit être en capacité de décider d’une prise en charge optimale de l’animal malade en choisissant dans un arsenal thérapeutique élargi. Car si la profession ne se saisit pas de tous les outils disponibles, on continuera toujours de laisser la place à une partie de charlatans de tout poil. Ceux-ci conseilleront des produits “alternatifs” aux éleveurs sans en avoir une réelle connaissance et même des produits souvent sans efficacité prouvée. Quant à l’automédication des agriculteurs, elle continuera à progresser hors contrôle. »

Le médicament ne fait pas tout

Toutefois, selon Loïc Guiouillier, la profession vétérinaire s’est trop laissée enfermer uniquement dans les solutions de médecine conventionnelle, notamment parce que les recherches allant dans ce sens, financées par les laboratoires pharmaceutiques privés, sont nombreuses. Ainsi, même si la médecine classique est nécessaire « quand il le faut », il convient également de s’ouvrir aux autres formes de traitement et d’expertise terrain, de nature empirique. « Faire des hypothèses, en tirer un bilan une fois l’animal guéri fait partie de notre métier. Appuyons-nous sur notre capacité de raisonnement clinique et scientifique. D’autant plus que le médicament ne fait pas tout, notamment pour pouvoir nous engager vers une médecine plus préventive, ce que désirent aujourd’hui nombre d’agriculteurs, toutes catégories confondues », ajoute-t-il.

Des situations « borderline »

Or, pour l’instant, force est d’admettre que la réglementation actuelle muselle nombre de pratiques dans l’usage des médecines alternatives1. En effet, de nombreuses matières premières de phyto-aromathérapie ne sont pas utilisables en élevage car absentes du tableau I de l’Agence européenne du médicament (EMA) et, lorsqu’elles y figurent, les délais d’attente (TA) en élevage bio sont doublés (TA lait : 7 jours ; TA viande : 28 jours)2. Comme l’a noté Loïc Jouët2 (N 86, vétérinaire rural [Ille-et-Vilaine] et membre de la commission des médecines complémentaires de la SNGTV) dans La Semaine Vétérinaire, « cette situation est borderline car certains éleveurs utilisent des plantes et des huiles essentielles sans ordonnance en les intégrant à des aliments complémentaires et à des produits d’hygiène qui dépendent d’une législation moins contraignante ».

Vers une future réglementation…

« J’ai cependant de l’espoir, nuance Loïc Guiouillier, car les experts européens sont en train de réfléchir à toutes ces questions. On devrait normalement obtenir leurs réponses en 2027… De son côté, la Direction générale de l’alimentation est aussi en cours de réflexion. L’objectif, c’est de parvenir à déterminer ce qui, dans ces pratiques, pourrait être autorisé sur prescription d’un vétérinaire, et de lui seul. Il faut donc faire évoluer significativement le cadre réglementaire, de manière, par exemple, que l’on puisse utiliser des molécules qui ne sont pas inscrites dans le tableau I de l’EMA. De même, vouloir calquer à la phytothérapie des contraintes identiques à celles des produits pharmaceutiques de synthèse relève d’un non-sens absolu. En revanche, il sera évidemment nécessaire de faire le “tri”. Par exemple, si le basilic est reconnu comme étant cancérogène, il faut évidemment ne plus l’utiliser. À l’inverse, exiger qu’il y ait un délai d’attente pour une huile essentielle telle que le tea tree, sans toxicité avérée, cela ne ressemble à rien ! Il faudra donc valider les pratiques au cas par cas. Restons optimistes et, surtout, enseignons ces méthodes aux jeunes générations. Nous avons un métier passionnant, avec encore un champ extraordinaire de recherche devant nous, car il y a beaucoup de choses que l’on ne sait pas encore aujourd’hui… Le vétérinaire ayant toujours la chance de jouir d’une liberté de prescription plus large qu’en médecine humaine, exerçons-la. »

Entretien

Philippe Labre (A 74)

Vétérinaire rural pendant trente-trois ans avec une forte orientation pour les méthodes naturelles, puis gérant de Gentiana PhytoLabo, membre de la commission élevage de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques

Philippe Labre utilise des plantes fonctionnelles pour leurs propriétés biostimulantes, adaptogènes et protectrices. Retour sur la méthode, ses fondements biologiques et son intérêt en élevage bio.

Sur quoi se base votre démarche santé ?

Dans un monde exigeant et compétitif tel que l’élevage, soumis à des sollicitations physiologiques élevées, des variations déstabilisantes, des agressions infectieuses et parasitaires, les capacités d’adaptation et de réactivité sont essentielles à la santé des animaux et à la rentabilité des élevages. De nombreux métabolites fonctionnels végétaux (par exemple polyphénols, flavonoïdes, huiles essentielles) sont favorables aux compétences physiologiques des animaux, dont ils amplifient remarquablement l’adaptabilité et la réactivité*. Ce travail est le prolongement de plus de quarante ans de réflexion sur les processus de la santé et de quinze ans de validation de l’intérêt des plantes fonctionnelles, grâce à la collaboration de nombreux éleveurs et de vétérinaires ruraux qui privilégient les méthodes biologiques écocompatibles.

Comment évaluez-vous les bénéfices-risques ?

Il faut évidemment une utilisation raisonnée de plantes précisément identifiées, en connaissance de cause de leurs actions fonctionnelles et sélectionner celles dont le coefficient de sécurité est élevé. Les plantes et les composants végétaux que nous utilisons sont alimentaires pour les herbivores ou pour les humains, distribués en doses adaptées et contrôlées, ce qui en garantit l’innocuité et rend inadaptée la notion de résidus. La non-évolution de la réglementation est un problème majeur qui bloque la transition écologique en élevage, sous prétexte de sécurité. Nous dépendons pourtant totalement des végétaux et coévoluons avec eux depuis toujours, alors que les produits de synthèse utilisés massivement depuis seulement soixante-dix ans sont responsables du déclin accéléré de la biodiversité. L’artificialisation sans limites est la cause de l’effondrement de la nature vivante.

Témoignage

Soizick Rouger

Coordinatrice du pôle élevage de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques

Tous concernés par le bio !

Dans le cas d’un élevage bio qui ne rencontre pas de problème sanitaire particulier, je trouve que l’intérêt pour un vétérinaire rural est qu’il y intervienne moins souvent dans un contexte de soins d’urgence. Le bio permet au praticien d’accompagner davantage l’éleveur vers du soin préventif, par exemple en travaillant sur une approche globale, comme celle présentée dans l’outil « Panse-Bêtes » . Autre exemple : le projet « Relacs » - dont le but est de remplacer les intrants litigieux en agriculture biologique en favorisant l’adoption de techniques rentables et respectueuses de l’environnement - a montré que pour traiter les problèmes de mammites dans un élevage laitier, l’application d’huiles essentielles a un résultat comparable aux antibiotiques intra-mammaires en injection… Oui, franchement, les enjeux bio, y compris environnementaux, concernent tous les vétérinaires !

Témoignage

Olivier Patout (T 95)

Praticien à 80 % en activité ovine (brebis laitière avec la moitié de l’activité en bio), dans le sud de l’Aveyron, en conventionnement avec l’Association vétérinaires éleveurs du Millavois)

Ce qu’être vétérinaire en bio change à ma pratique

Cela implique pour le vétérinaire de bien connaître le cahier des charges bio de l’éleveur, de bien anticiper les problèmes sanitaires en maîtrisant les facteurs de risque des maladies et de faire le lien entre le sol et le troupeau. Dans nos suivis, l’alimentation est fondamentale, et il devient incontournable d’avoir des notions d’agronomie. C’est pourquoi, depuis plus de dix ans, nous avons une agronome dans notre équipe afin d’apporter un conseil agro/véto le plus pertinent possible. Par ailleurs, par rapport à la filière conventionnelle, nous privilégions de façon précoce l’usage de médecines naturelles et nous nous autorisons à utiliser les traitements allopathiques seulement dans des situations justifiées et validées par des examens complémentaires. Par exemple, les traitements antiparasitaires sont réalisés de façon ciblée et sur examen coprologique significatif. Quant aux traitements antibiotiques, ils sont réalisés sur des sujets présentant soit des signes cliniques importants, soit un fort risque d’épidémie sur le lot d’animaux, ce qui mettrait en danger le bien-être animal.

Une recherche orientée bio à l’Itab

Dans le cadre d’une approche globale de la santé de l’élevage, l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (Itab) accompagne diverses recherches, fondamentales ou appliquées. L’Itab est en interface avec différents acteurs : les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu agricole, la Fédération nationale de l’agriculture biologique, l’Institut de l’élevage, les chambres d’agriculture, l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, l’Institut du porc, l’Institut technique de l’aviculture, pisciculture et cuniculture.

Vers une crise du bio ou pas ?

Les éleveurs bio traversent actuellement une période de baisse de la consommation. En effet, comme indiqué par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire le 7 décembre 20221, « après avoir atteint un pic de consommation et de vente en 2020, la consommation de produits bio en France est en stagnation, voire en baisse, en particulier depuis 2022 ». C’est pourquoi, le gouvernement a annoncé pour 2023 la mise en place de plusieurs dispositifs d’accompagnement des professionnels pour relancer la consommation (moyens financiers supplémentaires pour l’Agence Bio – l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, campagne de communication sur le bio, développement du fonds Avenir Bio, travail de structuration de la filière porc bio). Toutefois, malgré ces difficultés, le développement de l’offre bio devrait se poursuivre à l’avenir. Ainsi, l’État prévoit dans la nouvelle politique agricole commune 2023-2027 d’accorder 340 millions d’euros par an pour accompagner les agriculteurs à la conversion en agriculture biologique et, à plus long terme, de « construire un nouveau programme “Ambition bio” en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, pour répondre aux objectifs de production (18 % de surface agricole biologique d’ici à 2027) ». Il restera donc à vérifier à l’avenir sur le terrain si le compte y est ou pas.

1. « Le gouvernement poursuit et accentue son soutien à la filière bio ». Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, communiqué de presse du 7 décembre 2022. bit.ly/3ZELVKE.

  • 1. Phytothérapie et aromathérapie chez les animaux producteurs de denrées alimentaires. Avis révisé de l’Anses, rapport révisé d’expertise collective, avril 2022. bit.ly/3yfz2Ln.
  • 2. La Semaine Vétérinaire n° 1977 du 17 février 2023 : « Phyto-aromathérapie : des avancées à petits pas », p. 36 à 41.
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