Analyse
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Chantal Béraud
« Nous sommes trois vétérinaires qui travaillons sous forme de conventionnement avec l’Association vétérinaires éleveurs du Millavois, témoigne Olivier Patout (T 95). Dans ce cadre, nous suivons quelque 180 fermes, dont un peu plus de la moitié en bio, essentiellement en ovin lait, ovin viande et caprin. » En effet, une bonne moitié des élevages ovin lait suivis par leur association livrent des laiteries productrices de roqueforts. Ces éleveurs doivent suivre deux cahiers des charges, bio et Roquefort AOP, qui obligent un lien au sol et une conduite au pâturage.
Une démarche santé dans le cadre de l’écopathologie
Olivier Patout dit travailler dans le cadre de l’écopathologie, qui a été développée en France à partir des années 1970 à la suite d’un constat d’inefficacité des démarches d’investigation vétérinaires classiques pour comprendre et contrôler les maladies affectant la production dans les élevages intensifs. C’est donc, selon lui, une démarche d’investigation systémique de la santé en élevage, qui consiste à étudier les pathologies des animaux d’élevage dans leur environnement, afin d’en établir les causes et d’en identifier les facteurs de risque. « Pour résumer, la maladie peut être due à un microbe (virus, bactérie, etc.), mais va d’autant plus s’exprimer que les conditions environnementales dans lesquelles vit l’animal ne sont pas satisfaisantes. En tant que vétérinaires, nous nous intéressons donc à tous les fondamentaux de l’élevage (bâtiments, alimentation et abreuvement, traite, pâturage, etc.) de façon à limiter préventivement la survenue de nombreux problèmes », a-t-il noté.
Un recul de 10 à 20 % des ventes de fromages bio
Les éleveurs de son secteur sont-ils en train de traverser une crise alimentaire ? « Il y a effectivement un recul de 10 à 20 % des ventes de fromages bio, selon les marchés, confirme Olivier Patout. Mais, pour l’heure, ce sont essentiellement les laiteries collectrices qui en supportent les conséquences. Quant aux éleveurs, également confrontés à une hausse de 10 à 20 % de leurs coûts structurels (augmentation des prix de l’énergie, du gazole, de l’alimentation, du fourrage à la suite de la sécheresse, etc.), ils ont pour le moment et pour la plupart bénéficié en compensation d’une augmentation partielle du prix du lait qui leur est payé par les laiteries. » En effet, ces dernières craignent une poursuite de la déprise agricole et donc de voir encore baisser le nombre des producteurs livreurs. Elles tentent donc actuellement de garder un prix du lait « décent » pour limiter les arrêts de livraison qui entraîneraient, à terme, un possible manque de lait.
Le conventionnement, un « amortisseur » temporel
Quelles sont les remontées directes de la clientèle d’Olivier Patout ? « À notre niveau, nous observons peu de départs d’éleveurs et le fait de travailler ensemble sous la forme de conventionnement permet de mieux amortir – et aussi de mieux s’y adapter – les crises tant économiques, sociétales et environnementales (dont les aléas climatiques) que nous traversons tous. Le fait d’utiliser moins d’intrants chimiques en bio et de faire davantage de médecine préventive permet également de réduire un peu les coûts de production dans les élevages qui présentent une bonne autonomie alimentaire. » Le principe d’action des groupes conventionnés de la Fédération des éleveurs et des vétérinaires en convention* s’appuie en effet sur deux piliers : la prévention et la formation des éleveurs. « Les visites de suivi régulières, l’observation des animaux et des pratiques des agriculteurs permettent de bien connaître les élevages et de mettre en place des plans de prévention adaptés », remarque Olivier Patout. Quant aux formations, elles sont le lieu d’interactions et d’échanges entre éleveurs, vétérinaires, divers techniciens (ingénieurs agronomes notamment) et entre éleveurs. Selon lui, « ces échanges constants entre éleveurs et vétérinaires, tant au cours des visites que des diverses formations, permettent de créer ensemble de la connaissance qui va servir ensuite au groupe. Cet accompagnement au fil de l’eau apporte une vision globale de l’élevage et une modification progressive des pratiques pour améliorer la santé des troupeaux. Cette dynamique de groupe et cette façon d’aborder la santé animale en élevage sied particulièrement bien aux éleveurs en mode de production biologique, en mettant en avant la confiance et le relationnel entre vétérinaires et éleveurs ».
Quelles résiliences pour les marchés du bio ?
Pour les roqueforts bio, et plus largement, Olivier Patout se dit un minimum optimiste : « Oui, je pense que le bio garde un avenir : la crise est ponctuelle, liée au contexte inflationniste actuel, qui touche d’ailleurs tous les modes de production. Selon moi, le bio correspond toujours à une attente sociétale fondamentale qui ne va pas disparaître. Aujourd’hui, le bio occupe 10 à 12 % des parts du marché de l’alimentaire et les plus pessimistes le voient descendre à 8 %. » L’Agence bio note que même si le solde net reste positif, la dynamique des reconversions de nouvelles fermes au bio ralentit significativement par rapport aux années passées (soit + 7 % entre janvier et août 2022, contre une croissance à 12 % sur la même période un an plus tôt). C’est pourquoi, dès le 28 novembre 2022, le Synabio (le syndicat des entreprises biologiques), la Fédération nationale de l’agriculture biologique et la Fédération des organisations économiques 100 % bio (qui représente 25 % des exploitations bio françaises pour le lait, la viande, les fruits et légumes, les céréales et les œufs) ont adressé une lettre ouverte à plusieurs directions de la grande distribution pour leur demander de cesser de réduire leurs assortiments en offre bio (en diminution de 7,3 % entre janvier et septembre 2022). Dans leur communiqué commun, il est également noté que « le développement de démarches “concurrentes” – telles que Haute Valeur environnementale ou Zéro résidu de pesticides – s’approprie les codes du label bio alors qu’elles sont loin d’offrir le même niveau d’exigence, créant ainsi une confusion regrettable chez le consommateur ». On peut au final aussi se demander, si l’agriculture biologique est laissée aux seules forces de la loi des marchés (et ne doit essentiellement son salut qu’au soutien d’une partie des consommateurs), que sera-t-elle devenue d’ici à quelques années si les crises persistent ? Qu’elle soit « sabordée » ou au contraire devenue une « planche de salut » dépend des décisions politiques futures.
Un nouveau fonds d’urgence de 10 millions d’euros débloqué
Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a confirmé début mars une annonce faite par la Première ministre, Élisabeth Borne, le 27 février dernier au Salon international de l’agriculture. En effet, reconnaissant que le secteur du bio traverse une crise liée à un reflux des ventes, le gouvernement débloque donc un plan d’urgence supplémentaire de dix millions d’euros pour aider les fermes bio en difficulté et éviter les déconversions. Deux autres mesures structurelles seront mises en œuvre : un travail interministériel sera entamé avec les collectivités territoriales afin d’aider la restauration collective publique à consacrer 20 % de ses achats en produits bio. Et la gouvernance de l’Agence bio sera également transformée. Ce plan d’urgence est cependant toujours jugé insuffisant par différents acteurs du bio. Ainsi, l’interprofession laitière demande une aide d’urgence de 71 millions d’euros pour la seule filière du « lait bio ».