La procédure du nœud lymphatique sentinelle - La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023

Oncologie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Mylène Panizo

Conférenciers

Catherine Ibisch, PhD, responsable de l’oncologie et de la radiothérapie au service de médecine interne d’Oniris (École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation de Nantes-Atlantique)

Nora Bouhsina, PhD, maîtresse de conférences en imagerie médicale à Oniris et résidente en imagerie médicale à Oncovet (Hauts-de-France)

Pierre Maitre, PhD student, maître de conférences en chirurgie à Oniris, dipl. ECVS, DESV chirurgie, spécialiste en chirurgie des animaux de compagnie

Article rédigé d’après une webconférence organisée par le Point Vétérinaire le 13 décembre 2022.

Le concept du nœud lymphatique sentinelle (NLS) a permis de révolutionner la chirurgie de certaines tumeurs débutantes chez l’humain. Cette approche innovante en cancérologie vétérinaire est prometteuse : elle présente un intérêt pour le pronostic et pour la prise en charge thérapeutique de certains cancers de stade précoce chez les chiens et les chats.

Définition et intérêt du concept des nœuds lymphatiques sentinelles

Les cancers migrent majoritairement par voie lymphatique (sauf les sarcomes et quelques carcinomes qui migrent de façon préférentielle par voie hématogène). Le NLS est le premier nœud lymphatique (NL) qui draine la tumeur, c’est donc le premier ganglion susceptible d’être atteint par l’extension d’un cancer.

La procédure du NLS consiste à repérer puis à réaliser une biopsie ou exérèse pour analyse anatomo-pathologique du NLS. Si ce dernier n’est pas atteint par la tumeur, le risque que les autres NL soient infiltrés par les cellules tumorales est estimé à moins de 5 %. En oncologie humaine, la procédure du NLS permet surtout d’éviter l’exérèse systématique de tous les ganglions situés à proximité de la tumeur (par exemple, plus de 60 NL peuvent être à retirer et à analyser en peropératoire lors d’un cancer colorectal), et donc de réduire les complications associées à une chirurgie très lourde.

En médecine vétérinaire, quelques études ont démontré la faisabilité technique ainsi que les bénéfices de cette procédure pour les stades précoces des carcinomes mammaires, des mastocytomes cutanés, des mélanomes buccaux et des ostéosarcomes. Le curetage systématique des NL n’est pas une procédure courante chez l’animal. De ce fait, la procédure du NLS a surtout un intérêt comme outil de classification des tumeurs (stade TNM [taille nœud lymphatique métastase] dans le cadre d’un bilan d’extension), afin d’établir un pronostic, d’orienter le choix thérapeutique (radiothérapie palliative versus curative, traitements locaux versus systémiques, décision de mettre en œuvre des traitements adjuvants) et/ou l’opération chirurgicale (amputation versus technique conservatrice). Elle présente également un bénéfice thérapeutique en réalisant l’exérèse d’un NL potentiellement atteint par la tumeur (cela a été démontré pour les mastocytomes canins et les mélanomes buccaux).

Cette approche est prometteuse car les outils alternatifs disponibles en médecine vétérinaire ne sont pas satisfaisants. En effet, la palpation seule des NL régionaux est insuffisante pour prédire son envahissement tumoral (par exemple, lors de mastocytomes cutanés canins, 50 % des NL métastatiques sont de taille normale).

Lors d’une cytoponction d’un NL, un résultat négatif ne permet pas d’exclure un envahissement métastatique (examen ininterprétable dans environ 25 % des cas).

Le NLS peut être identifié en préopératoire par des techniques d’imagerie médicale ou en peropératoire par l’utilisation de marqueurs.

Apport de l’imagerie médicale pour l’identification du NLS

La position anatomique des NL présente une grande variabilité individuelle. Il est donc difficile de connaître la localisation précise du NLS, en particulier pour des tumeurs non latéralisées ou pour certains types de cancers : dans une étude réalisée sur des chiens atteints de mastocytomes cutanés et sous-cutanés*, environ 25 % des NL identifiés comme sentinelles par la lymphangiographie indirecte différaient du NL locorégional suspecté, dans un premier temps, d’être le NLS.

La technique la plus utilisée pour repérer le NL est la lymphangiographie par scanner. Il s’agit d’une méthode non invasive, accessible et rapide à réaliser. Elle consiste en l’injection intradermique d’un produit de contraste iodé dans ou en périphérie de la tumeur (elle peut également être utilisée sur les cicatrices après ablation de la tumeur). Un scanner est ensuite réalisé, centré sur la tumeur et les NL suspectés d’être drainants, avec des acquisitions de séquence (fenêtre tissus mous) à 3, 5, 10 (temps optimal selon l’étude de Lapsley et al.*) et 15 minutes post-injection, jusqu’à l’identification du ou des (il est possible d’en avoir deux) NLS. La lymphangiographie permet de mettre en évidence les trajets lymphatiques de la tumeur jusqu’au premier NL drainant, correspondant au NLS.

Cette technique est particulièrement intéressante pour les mastocytomes cutanés ou sous-cutanés (le NLS est identifié dans 90 % des cas canins), les mélanomes et les tumeurs mammaires. Ou lorsque les NL suspectés d’être drainants ne sont pas palpables ou difficiles à identifier en chirurgie.

D’autres méthodes existent mais elles sont soit moins précises (lymphangiographie radiographique), soit très coûteuses et peu disponibles (lymphangioscintigraphie : injection d’un produit radioactif en périphérie de la tumeur et identification à l’aide d’une gamma-caméra).

Attention, l’imagerie du NLS ne permet en aucun cas d’évaluer son infiltration métastatique. L’histologie du NLS démontre sa nature tumorale ou non, en particulier si la cytologie ne se révèle pas concluante. La procédure du NLS permet de le localiser afin d’en faciliter l’exérèse chirurgicale.

Certains NLS de petite taille peuvent être difficiles à identifier avec la lymphangiographie par scanner. L’identification peropératoire est alors possible.

L’identification du NLS en chirurgie

L’identification du NLS en peropératoire se fait majoritairement par l’injection sous-cutanée péritumorale d’un marqueur bleu hydrophile (en général, le bleu de patenté). La coloration, visible à l’œil nu, suit la lymphe et diffuse de l’espace interstitiel jusque dans les vaisseaux lymphatiques, puis elle s’accumule au premier NL de drainage en quelques minutes. On peut repérer la coloration par transparence si une tonte large a été effectuée, ou après dissection en suivant le trajet de la coloration. Celle-ci n’a pas d’impact sur l’analyse histologique du NLS.

En amont, il faut penser à effectuer un marquage des marges de la tumeur, car la coloration rendra difficile la distinction de la limite entre les tissus atteints par la tumeur et les tissus macroscopiquement sains.

Comme lors de la lymphangiograhie, le marquage permet de repérer le NLS mais en aucun cas de conclure sur son caractère tumoral ou non.

Quelques rares complications ont été observées chez l’humain, non documentées chez l’animal, allant d’un érythème cutané à la défaillance cardio-respiratoire. Il est nécessaire de prévenir le propriétaire que la coloration bleue de la peau peut persister plusieurs semaines, localement au point d’injection mais aussi dans l’urine. La diffusion systémique du colorant peut également faire apparaître les muqueuses comme cyanotiques et modifier de façon artificielle la mesure de la saturation en oxygène par l’oxymètre de pouls. Ces deux éléments viennent compliquer le monitoring du patient lors de l’anesthésie.

D’autres marqueurs ont été décrits, tels les marqueurs radioactifs, détectables par une sonde, ou des marqueurs fluorescents repérés par une caméra spécifique.

  • * Lapsley J., Hayes G. M., Janvier V., et al. Influence of locoregional lymph node aspiration cytology vs sentinel lymph node mapping and biopsy on disease stage assignment in dogs with integumentary mast cell tumors. Vet Surg. 2020;50(1):133-41.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr