Des freins sociétaux et réglementaires aux animaux à génome édité - La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023

Conférence

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : par Lorenza Richard

Les projets, la réglementation et l’acceptabilité sociale liés aux animaux à génome édité étaient au cœur de la dernière séance de l’Académie vétérinaire de France*.

« L’édition du génome peut contribuer à la transformation mondiale des productions animales, et nous devons nous l’approprier », a déclaré Martina Crispo, de l’Institut Pasteur de Montevideo (Uruguay), lors de la séance de l’Académie vétérinaire de France (AVF) consacrée aux animaux à génome édité, le 26 janvier dernier. L’édition du génome, ou édition génomique, qui fait partie des new genomique technics (NGT), est l’ensemble de techniques de manipulation du génome visant à modifier le génome de l’espèce, sans y introduire d’ADN exogène.

Des applications en santé animale

La conférencière a précisé que ces techniques sont plus faciles à mettre en œuvre que les précédentes, plus précises, car un seul gène, ou une seule mutation, peut être ciblé, et moins coûteuses. Notamment, de nombreuses publications concernent la technologie Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats (Crispr) et plus particulièrement Crispr/Cas 9, dans laquelle un ARN guide associé à une protéine Cas 9 permet de cliver l’ADN à un endroit précis (coupure double brin). Celle-ci peut être utilisée chez les animaux de rente pour augmenter la production, améliorer le bien-être animal et la résistance aux maladies, lutter contre les vecteurs de maladies, notamment dans une stratégie One Health lors de zoonoses. Ainsi, par exemple, aux États-Unis, une mutation a été réalisée dans le gène du récepteur (CD163) au virus du syndrome dysgénésique et respiratoire du porc, pour rendre les porcs résistants à ce virus, contre lequel les vaccins sont peu efficaces. « L’étude ne montre aucune virémie ni aucun signe clinique de la maladie chez les porcs mutants inoculés avec le virus », note Martina Crispo. Une autre étude montre des résultats similaires chez des poulets mutants rendus résistants contre la leucose aviaire. Pour la conférencière, cela ouvre le champ à de nombreuses applications en santé animale dans les années à venir, mais une réglementation adaptée est nécessaire pour faciliter l’application de cette technique en France.

Une réglementation stricte

En effet, le gouvernement français est aligné sur la position de l’Union européenne (UE). L’arrêt de la Cour de justice européenne du 25 juillet 2018 considère que les animaux à génome édité relèvent de la directive sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), et sont donc interdits. Cependant, « c’est une notion juridique déconnectée des progrès des techniques scientifiques, a indiqué Catherine Regnault-Roger, professeure des universités émérite à l’université de Pau et des Pays de l’Adour (E2S). Plusieurs tribunes ont été publiées pour demander que les NGT soient utilisées pour innover, notamment car elles offrent de nouveaux moyens pour maîtriser à terme la prophylaxie des grandes maladies panzootiques et pour améliorer la santé animale, voire la santé publique dans le cas de zoonoses. » Une étude réalisée par la commission européenne début 2021 a montré que la législation n’était pas adaptée à certaines NGT, et, à ce même moment, le ministre de l’Agriculture français s’était prononcé en faveur de la sortie des NGT de la législation OGM. Depuis fin 2021, la Commission européenne propose de sortir les plantes issues des NGT de la législation sur les OGM, mais ces techniques restent très limitées, et « l’AVF regrette que les NGT appliquées à la santé animale soient exclues », a déclaré Catherine Regnault-Roger.

Des projets en cours décriés

De plus, « chaque pays a sa propre définition d’OGM et il existe un clivage entre les pays qui ont adopté pleinement les NGT et ceux qui les refusent, c’est-à-dire principalement l’UE », poursuit-elle. Ainsi, il y a une nécessaire critique pour le développement, et surtout l’application, de programmes de recherche qui sont conduits partout dans les autres parties du monde. En France, des projets sont en cours avec l’accord de l’Agence nationale de la recherche, comme le projet Rumigen, présenté par Éric Pailhoux, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, qui cherche à déterminer si les NGT pourraient améliorer les schémas de sélection en races bovines. D’autres essais sont en cours, notamment pour créer des lignées de chèvres alpines résistantes à toutes les maladies à prion, par introduction dans leur génome d’une mutation apparue naturellement chez des chèvres norvégiennes. Cependant, beaucoup de détracteurs des NGT mettent en évidence les mutations hors cible, et les effets non désirés doivent être évalués. En effet, certaines chèvres porteuses de la mutation ont un syndrome de démyélinisation, ce qui peut être inquiétant, mais le lien doit être établi. Cela soulève également le problème, important, de l’acceptation sociétale des animaux génétiquement modifiés, qui pourrait contribuer à l’évolution de la réglementation. C’est en effet là l’enjeu : développer ces techniques et les maîtriser ne sert à rien si elles ne peuvent pas être utilisées.

Tenir compte de l’acceptabilité sociale

« Dans le dernier eurobaromètre, la technique d’édition du génome est largement inconnue du public, mais, lorsqu’on l’explique, son principe même est contesté », constate Gervaise Debucquet, enseignante-chercheuse à Audencia Business School Faculté et recherche. Les résultats d’une enquête qu’elle a menée sur le sujet montrent qu’« il ne faut pas négliger le poids des représentations socioculturelles, qui définit l’acceptabilité ou le rejet de ces techniques. C’est la naturalité perçue qui est l’étalon par rapport au degré d’intervention humaine. Par exemple, si le changement apporté est réversible, s’il est observable dans la nature et qu’il n’y a pas de distinction avec les croisements naturels, les personnes accueillent mieux la technique avec l’impression qu’il y a peu d’interventions humaines. En revanche, s’il y a transmissibilité, non-observabilité dans la nature ou insertion de gènes d’espèces éloignées, c’est perçu comme le reflet d’une forte intervention humaine ». Ainsi, Gervaise Debucquet a établi des hypothèses sur l’acceptabilité sociale des animaux à génome édité au regard des logiques qu’elle a pu percevoir. « Le seul argument qui pourrait être accepté concerne la réduction du “chimique” au sens large (traitements médicamenteux) et prévention des zoonoses. Il convient ainsi de dépasser la stricte argumentation scientifique. De plus, les profanes ne sont pas des scientifiques mais ils ne sont pas irrationnels et leur logique est à prendre en compte. Enfin, il est préférable de partager les modalités d’intervention sur le vivant avec le non-expert pour éviter la confiscation des choix technologiques », conclut-elle.

  • * Les conférences sont à retrouver dans le bulletin et sur le site internet de l’Académie vétérinaire de France (séances AVF 2023 : bit.ly/3kDohiK).
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