Consolidation des établissements de soins vétérinaires en France : bilan de l’année 2022 - La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023

DOSSIER

Auteur(s) : Lucile Frayssinet et Philippe Baralon, Phylum

« Animée ». S’il fallait résumer l’activité des groupes en 2022, ce qualificatif serait approprié face à l’effervescence de leurs actualités. Départ et arrivée de nouveaux capitaux, poursuite des acquisitions, y compris de deuxième niveau, structuration des équipes, visibilisation, mais aussi pauses inattendues : les événements n’ont pas manqué pour ces sociétés l’année passée. Gageons qu’elles seront également sous le feu des projecteurs pour la profession en 2023.

La consolidation du marché des établissements de soins vétérinaires en France a commencé dès 2010, comme dans le reste de l’Europe continentale. En revanche, elle a mis une dizaine d’années à vraiment s’enclencher et ce n’est qu’à l’automne 2020 que le point d’inflexion a été franchi avec une accélération marquée du processus, bien après d’autres pays. Il est donc intéressant de revenir sur l’année 2022, marquée à la fois par la poursuite de la consolidation et par des changements majeurs.

Une année 2022 marquée par les consolidations 

L’année 2022 a d’abord été une année de consolidation pour beaucoup d’établissements de soins vétérinaires en France, confirmant et amplifiant la tendance observée en 2021.

Cette phase d’accélération a été nourrie par l’injection de nouveaux capitaux, notamment pour les principaux groupes français.

Au cours du premier trimestre 2022, MonVéto, premier groupe français, a mis en place un financement de deux tranches de 100 millions d’euros par le biais d’une dette unitranche entièrement souscrite par Barings. Le groupe a ainsi pu réaliser une petite centaine d’acquisitions sur l’ensemble de l’année.

En début d’année, Sevetys, deuxième groupe français, a mis en place un financement par le biais d’une dette unitranche auprès d’Ardian, avant d’ouvrir son capital au fonds d’investissement français Eurazeo au cours de l’été 2022. Sevetys a ainsi pu continuer son expansion de manière soutenue, ce qui en a fait l’un des principaux animateurs du marché.

Pendant l’été, Univet a annoncé l’entrée à son capital d’Infravia, dans le cadre de la sortie de Platina, actionnaire de référence d’Univet depuis 2018, permettant au groupe de maintenir sa trajectoire de croissance et même de l’accélérer en fin d’année.

Parallèlement, les groupes internationaux présents sur le territoire national sont loin d’être restés inactifs :

- Début 2022, IVC Evidensia a finalisé l’acquisition de VetOne. Le groupe a ainsi poursuivi son développement soutenu, au-delà de cette consolidation de deuxième niveau, passant de 90 à plus de 250 cliniques en douze mois.

- Au cours de l’été, VetPartners a annoncé l’acquisition de Vets4Vets, groupe de 11 cliniques employant une cinquantaine de vétérinaires dans le sud-est de la France. Cette acquisition a donné au groupe britannique une ampleur nouvelle en France.

- AniCura enfin, tout en maintenant une approche plus sélective que ses compétiteurs, a réalisé plus d’opérations en 2022 qu’en 2021.

L’ensemble des autres acteurs du marché, Argos, Qovetia, Okivet ou encore Fovea, a également fortement participé à cette accélération du phénomène de consolidation.

Fin 2022, ce sont donc 24 % des vétérinaires canins qui travaillent dans l’un de ces dix groupes, contre 13 % un an plus tôt (voir figure 1). Ces 24 % de vétérinaires canins travaillent dans 16 % des cliniques canines ou mixtes à dominante canine (voir figure 2).

En revanche, il est important de noter que toutes les tailles de cliniques ne sont pas concernées de manière uniforme. En effet, alors que seulement 5 et 14 % des cliniques où travaillent respectivement un et deux vétérinaires appartiennent à un groupe, les chiffres sont plus élevés pour les établissements de taille plus importante : 29 % des cliniques de trois à cinq vétérinaires, 40 % des cliniques de plus de six vétérinaires et plus de 65 % des hôpitaux ont désormais rejoint un groupe (voir figure 3).

Au-delà des acquisitions, les différents groupes se sont fortement structurés en 2022 en renforçant leurs équipes supports, tant au niveau de leurs sièges que sur le terrain. De même, le recrutement de nouveaux talents représente une priorité majeure, ce qui conduit les groupes à être de plus en plus présents auprès des jeunes vétérinaires au cours de leur cursus ou dès leur sortie des écoles nationales vétérinaires.

L’exposition commerciale du congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie en décembre 2022, à Marseille, a marqué un tournant avec des stands de groupes de cliniques aussi importants que ceux des principaux laboratoires et pet-fooders, voire plus importants. Deux groupes, IVC Evidensia et Sevetys, étaient « grand partenaire » du congrès et une grande majorité des événements conviviaux en périphérie du congrès reposaient sur les groupes. Il s’agit là d’un symptôme intéressant de l’importance que prennent désormais les groupes de cliniques dans l’écosystème vétérinaire français, à l’image de ce que l’on constate depuis plusieurs années au VMX d’Orlando (États-Unis) ou au London Vet Show (Royaume-Uni).

Un triple changement de contexte

Il est néanmoins impossible de résumer 2022 à l’accélération des consolidations dans le droit fil du mouvement enclenché depuis 2020. Au contraire, la fin de 2022 a été marquée par un triple changement de contexte, dont les conséquences se prolongeront au moins pendant la première moitié de 2023.

Tout d’abord, l’économie européenne est largement perturbée par le retour de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt qui en a découlé. L’année 2022 a connu un fort ralentissement de la croissance et 2023 s’ouvre sur des perspectives pour le moins incertaines.

Dans le cadre d’une économie fortement altérée, le marché vétérinaire français, qui sortait de deux années (2020 et 2021) de croissance insolente, a connu une forte correction en 2022, en réalité amorcée dès les derniers mois de 2021, pour probablement toucher un point bas au cours de l’été. Depuis, les remontées du terrain indiquent une amélioration de la tendance, qui demande à être confirmée.

La conjonction d’un marché en phase de correction et de la hausse des coûts de financement a fini par retentir sur la consolidation des établissements de soins vétérinaires en France.

Fin septembre 2022, premier signal dissonant lorsqu’IVC Evidensia a annoncé l’arrêt des acquisitions de cliniques vétérinaires en Europe (à l’exception de quelques acquisitions résiduelles en Allemagne et en Espagne), au moins jusqu’au printemps 2023. Le groupe a même renoncé à un nombre significatif de d’acquisitions engagées mais non encore finalisées.

En fin d’année 2022, Sevetys a également drastiquement ralenti son rythme d’acquisitions, et réévalué un nombre important de dossiers non closés à la lumière des performances 2022.

Ce changement brutal de stratégie d’acquisitions de la part de deux des trois principaux groupes opérant en France représente un événement inédit de la courte histoire de la consolidation des établissements de soins vétérinaires dans notre pays. Il serait néanmoins hasardeux d’y voir, à ce stade, les prémisses d’un ralentissement durable. En effet, la plupart des autres groupes poursuivent leur croissance externe, souvent avec un peu plus de sélectivité, toujours en prêtant beaucoup d’attention aux performances économiques avérées et pas seulement potentielles, notamment chez AniCura. De nombreuses acquisitions se concluent à des prix toujours intéressants pour les plus belles entreprises.

Cependant, l’année 2023 commence dans un contexte économique global incertain, sur un marché vétérinaire convalescent où deux des trois acteurs principaux – IVC Evidensia et Sevetys – ont appuyé sur le bouton « pause ».

Un avenir incertain, mais probablement passionnant

L’année 2023 s’annonce d’ores et déjà riche en événements.

Tout d’abord, l’actionnaire majoritaire de VetPartners, le fonds BC Partners, a annoncé la préparation de sa sortie du capital du groupe. Cette sortie est parfaitement en phase avec le cycle d’investissement du fonds, présent au capital du groupe depuis 2018.

Plusieurs groupes français sont également engagés dans des processus de refinancement, voire de changement de capital. Encore une fois, il s’agit d’événements physiologiques dans la vie de consolidateurs en forte croissance. Si certains d’entre eux vont recharger leurs capacités d’acquisition, d’autres pourraient rejoindre des acteurs majeurs, présents à ce stade ou non sur le marché français, et donc continuer le mouvement de consolidation de deuxième niveau enclenché début 2022 avec l’acquisition de VetOne par IVC Evidensia.

Les transactions vont donc se poursuivre en 2023, à un rythme sans doute moins soutenu que celui des deux années précédentes, spécialement au premier semestre, mais surtout fonction de la reprise – ou non – des acquisitions par IVC-Evidensia et Sevetys. Cette période de relatif flottement pourrait profiter aux acteurs toujours très actifs.

En revanche, une nouvelle hausse des taux d’intérêt pourrait obérer les capacités des différents groupes à se financer, et accroître encore leur sélectivité.

De plus, le cadre réglementaire en cours de précision/redéfinition – publication récente de l’ordonnance relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées d’une part, et décisions attendues du Conseil d’État d’autre part – constitue une incertitude supplémentaire.

Les incertitudes ne manquent donc pas en ce début 2023 et rendent aléatoire l’exercice de prévision à court terme. À moyen terme en revanche, les données fondamentales du marché restent valables et nous restons convaincus que ces turbulences précèdent un retour à la tendance sous-jacente. À ce stade, nous maintenons donc notre prévision de consolidation à 50 % des vétérinaires canins travaillant dans un groupe à fin 2025, ce qui correspond à un tiers des cliniques canines ou mixtes à dominance canine consolidées à cette échéance (voir figures 1 et 2).

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