Finances
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Jacques Nadel
Selon la loi de finances, les fonds de commerce acquis entre 2022 et 2025 peuvent être amortis pendant dix ans dans les comptes. Lors d’une transmission, quelles sont les conséquences de cette option quand on est, dans la chronologie de l’installation, acquéreur puis vendeur ?
L’amortissement est d’un dixième par an venant en déduction des résultats imposables. Cette mesure optionnelle a été étendue aux fonds libéraux par un bulletin officiel des finances publiques du 8 juin 2022 stipulant que les éléments incorporels des fonds libéraux sont de par, leur nature, assimilables aux fonds commerciaux.
C’est sans conteste une vraie aubaine fiscale pour les acquéreurs, qu’ils soient titulaires de bénéfices non commerciaux ou de bénéfices industriels et commerciaux. Amortir comptablement et fiscalement le fonds libéral revient à payer moins d’impôts, donc il y a plus de trésorerie en caisse et la capacité d’autofinancement de l’entreprise est améliorée.
L’instauration de ce dispositif devrait logiquement inciter les acquéreurs à privilégier des rachats de fonds, au détriment des acquisitions de parts n’ouvrant pas droit à l’amortissement. Il reste à savoir si cet avantage fiscal profitera exclusivement aux acquéreurs ou si les vendeurs (leur intérêt étant de céder des parts) en tireront également un bénéfice par l’augmentation du prix de vente du fonds (partage du gain fiscal). Il y a donc un risque de renchérissement des prix du marché.
Amortissement du fonds : le revers de la médaille
Cependant, l’amortissement du fonds n’est pas sans inconvénients. Exemple : un vétérinaire achète par l’acquisition d’une société d’exercice libéral soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) la clientèle et le fonds commercial d’une clinique. Les capitaux propres de la société d’exercice libéral (SEL) vont être impactés les premières années par l’amortissement du fonds. Un résultat comptable plus faible que le montant des amortissements entraînera des capitaux propres négatifs, ce qui engendre plusieurs inconvénients dont celui de ne pas pouvoir se faire refinancer par un nouvel emprunt bancaire si, par exemple, un projet de travaux était envisagé quelques années plus tard. L’intégration d’un associé rachetant des parts sociales en cours d’amortissement du fonds est également compromise. En effet, en cas d’acquisition de parts de SEL au travers d’une société de participations financières de professions libérales (SPFPL), l’amortissement oblitère la possibilité de distribuer des dividendes vers la holding pour financer cet achat de parts. En l’absence de remontée de dividendes, seule la rémunération permettra de supporter le remboursement d’un emprunt.
Enfin, lors de la cession ultérieure de la clinique par la SEL, la plus-value va être mécaniquement augmentée. En effet, elle ne sera plus calculée sur la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition du fonds mais entre le prix de cession et la valeur comptable nette des éléments corporels et incorporels amortis, soit proche de zéro. En résumé, si le vétérinaire revend le fonds, il perd l’avantage obtenu. Face à cette situation, les vendeurs auront quasiment l’obligation de vendre les titres de leur société pour éviter cet impact négatif.
La décision d’amortir doit être prise à la clôture du premier exercice fiscal en fonction des objectifs du vétérinaire, ceux-ci pouvant toutefois évoluer dans le temps. En conclusion, il est indispensable de bien mesurer l’ensemble des conséquences de ce choix à moyen et long terme avec son expert-comptable. Il est recommandé d’avancer prudemment sur cette option.
Les conséquences une fois vendeur
Côté vendeurs, les situations sont variées entre ceux qui sont imposables soit à l’impôt sur le revenu (IR) soit à l’IS, qui exercent seuls ou en association, en partance à la retraite ou pas. « Il n’y a pas de sujet pour les vétérinaires vendeurs exerçant à l’IR, livre Amélie Bouttemy-Pruvost, expert-comptable associée au cabinet Adéqua. Déjà les convergences d’intérêts ne poseront aucune difficulté lorsque le cédant exercera en entreprise individuelle, aucune autre alternative que la vente du fonds n’est d’ailleurs possible pour lui. Il en sera de même presque toujours pour les vétérinaires exerçant en société soumise à l’IR. »
La réflexion, assez technique, concerne en réalité les vétérinaires qui exercent dans une société soumise à l’IS, l’alternative étant de comparer la cession des titres, largement usitée depuis 2013 avec la mise en place de SPFPL notamment, avec celle de la vente du fonds. Plusieurs scénarios se présenteront avec d’abord un impact pour la société, puis pour le ou les associés.
Impact pour les sociétés soumises à l’IS
La société peut dégager une moins-value sur la vente du fonds. « Elle pourrait alors s’imputer sur les bénéfices de l’exercice comptable de la vente et/ou contribuerait à la formation d’un déficit reportable dans les conditions de droit commun sur les bénéfices futurs de la société cédante, si le ou les associés décident de se porter acquéreurs d’un autre fonds dans un délai raisonnable. C’est un vrai avantage ! », analyse Anne-Sophie Brunel, avocate associée au cabinet RDB Avocats.
À l’inverse, si une plus-value est constatée, elle est imposée à l’IS et la vente du fonds peut être rédhibitoire pour le vétérinaire sortant. « Une clinique revendue 2 millions d’euros, alors qu’elle est inscrite à l’actif du bilan de la société pour 1,2 million d’euros, générerait une plus-value de 800 000 euros taxable au taux de 25 %, soit un surcoût réel d’IS de 200 000 euros ! », démontre Amélie Bouttemy-Pruvost.
Impact pour le ou les associés de sociétés soumises à l’IS
Si la voie de la vente du fonds est retenue, les associés ont alors plusieurs solutions. D’abord, ils peuvent conserver la société pour poursuivre leurs activités professionnelles, en SEL dans un projet de rachat d’un autre fonds ou en SPFPL en cas de participation au capital d’une ou de plusieurs autres SEL. « Dans cette dernière hypothèse, en cas de moins-value sur la vente du fonds, le déficit serait non reportable du fait du changement d’activité », indique l’expert-comptable du cabinet Adéqua.
Par ailleurs, un des associés peut sortir par voie de rachat de ses titres par la société elle-même. « Dans cette hypothèse, l’associé, personne physique concernée, paiera l’impôt sur les plus-values (la différence entre le prix de cession de ses titres et leur prix de revient) au taux de 30 % (soit la flat tax [prélèvement forfaitaire unique] englobant une imposition forfaitaire de 12,8 % et les contributions sociales au taux de 17,2 %) », complète Anne-Sophie Brunel.
À noter que jusqu’à fin 2024, en cas de départ à la retraite, l’imposition forfaitaire n’est taxée que sur les plus-values dépassant 500 000 euros, soit une économie maximale de 64 000 euros (500 000 € x 12,8 %).
Enfin, le scénario onéreux concernerait les associés personnes physiques liquidant immédiatement la société après avoir vendu le fonds, pour récupérer à titre personnel ses liquidités. Dans ce cas, par un tour de magie dont les textes fiscaux et sociaux ont le secret, la sémantique et les taxations changent. « Au lieu d’une plus-value, il sera calculé un boni de liquidation s’apparentant à des dividendes », prévient Amélie Bouttemy-Pruvost. Celui-ci est calculé de la façon suivante :
- un droit de partage de 2,5 % ;
- des charges sociales TNS (travailleur non salarié) si le boni de liquidation dépasse 10 % du montant du capital et des sommes laissées en compte courant ; Ces charges peuvent naturellement être provisionnées et impacter à la baisse le boni de liquidation.
La flat tax pour laquelle il n’apparaîtra pas possible de bénéficier de l’exonération partielle liée à un départ à la retraite.
« Il faudra veiller ici à ce que les contributions sociales (généralisée [CSG] et pour le remboursement de la dette [CRDS], déductibles et non déductibles) déjà payées au titre des charges sociales sur les dividendes évoquées précédemment ne le soient pas à nouveau au titre de la flat tax », alerte l’avocate.
Dans un tel contexte, ces deux conseils préconisent au(x) dirigeant(s) de la société qui a(ont) vendu le fonds, de la conserver puis de la transformer à terme en société civile, qui deviendrait alors un outil de gestion patrimoniale, la conduisant à réaliser des investissements mobiliers ou immobiliers productifs de revenus.
Avec de l’anticipation, les multiples voies de sortie envisageables allégeront très légitimement la succession de tribus fiscaux et sociaux confiscatoires évoqués ici, et une convergence d’intérêts pourrait être trouvée entre les parties, aidées de leurs conseils.