Pesticides : uniquement sur prescription ? - La Semaine Vétérinaire n° 1974 du 27/01/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1974 du 27/01/2023

Environnement

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Chantal Béraud

La réussite de la lutte contre l’antibiorésistance appelle à prôner l’adoption de mesures urgentes contre l’usage des pesticides. Il est essentiel que la profession vétérinaire participe à ce combat pour préserver l’environnement afin d’instaurer des pratiques plus durables selon de nombreux acteurs impliqués.

« Je pense qu’il faudrait pouvoir utiliser les pesticides qu’en cas d’urgence, uniquement sur prescription, comme les vétérinaires le font aujourd’hui avec les antibiotiques. Si l’on continue à pratiquer une agriculture intensive, à terme, ce ne seront pas seulement à des pertes de rendement que nous serons confrontés, mais à un sol que nous aurons progressivement transformé en un support inerte totalement improductif. Il est urgent d’apprendre - vétérinaires inclus - à travailler et à mettre en œuvre un changement transformateur pour habiter autrement la planète », a déclaré Hélène Soubelet (T 97), directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). En juin 2022, les chercheurs Michel Duru et Anthony Fardet1 ont fait le bilan des coûts, et ils ont démontré qu’un euro dépensé en produits de l’agriculture industrielle coûte un euro de plus que celui dépensé pour l’agriculture à la société en frais de santé. Selon Hélène Soubelet, « dans sa pratique, le vétérinaire devrait acquérir quelques réflexes fondamentaux en se méfiant de tout ce qui finit en “-ide” : fongicide, pesticide, bactéricide… car leur action, en particulier à grande échelle, est très délétère pour la biodiversité et pour la santé. Les coûts cachés de ces produits sont importants, et nous commençons tout juste à les appréhender ».

Des innovations en médecine humaine

En santé humaine, certains médecins font déjà des efforts pour adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. « Par exempleau centre hospitalier de Hyères [Var], le médecin hygiéniste Philippe Carenco travaille depuis des années sur une utilisation raisonnée des détergents, des désinfectants et des biocides, notamment à travers l’étude et la promotion d’un nettoyage à la vapeur d’eau. Dans différents domaines, il existe d’autres techniques, qui sont en train de se développer », informe la directrice de la FRB. Pour sa part, l’association Éco Véto conduit depuis de nombreuses années ce type de recherche et diffuse des informations à l’intention de la profession vétérinaire. De même, l’Office français de la biodiversité (OFB) collabore avec la commission environnement-faune sauvage de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires.

La profession vétérinaire sollicitée

’OFB inclut parfois les écoles nationales vétérinaires et l’École nationale des services vétérinaires (VetAgro Sup, Marcy-l’Étoile, Rhône), les laboratoires scientifiques et les vétérinaires diagnosticiens (notamment ceux qui travaillent dans les laboratoires vétérinaires départementaux). Pour certaines de ses missions (capture d’animaux vivants ou réalisation de prélèvements sur des animaux vivants ou morts), cette organisation peut ponctuellement faire appel aux praticiens et entretient des rapports avec des vétérinaires écologues non fonctionnaires. Enfin, l’OFB compte dans ses effectifs des vétérinaires fonctionnaires (détachés ou mis à disposition par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire), qui ont plutôt des missions d’organisation : soit d’ordre très sanitaires au sein de la Direction générale déléguée police, connaissance, expertise (DGD PCE), soit d’ordre du management technique, au sein des directions régionales de l’établissement. 

Témoignage

Christophe Hugnet (L 93)

Vice-président du Syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France

Une réflexion collective à mener

Les vétérinaires, à titre individuel, sont sensibilisés et même motivés pour participer à leur échelle à une transition écologique. Cependant, savoir comment la mettre en œuvre au cœur de leur pratique et de leur entreprise reste plus compliqué. C’est pourquoi je pense que nous devons toujours mener une réflexion collective sur ces problématiques environnementales, en collaboration avec différents acteurs, dont les éleveurs et le monde pharmaceutique. Les changements à instaurer nécessitent encore, à mon sens, une longue phase de discussion. Quand la profession parviendra à progresser sur ces dossiers, elle le fera savoir dans le débat public. Et si certains observateurs nous trouvent actuellement un peu silencieux sur ces sujets, c’est parce que les vétérinaires sont des scientifiques, qui ne parlent pas pour ne rien dire, et qu’ils ne s’adonnent pas - contrairement à d’autres acteurs -  à du greenwashing malhonnête.

Pesticides et faune sauvage : des résultats inquiétants

Dans une étude conduite par Céline Pélosi (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et Clémentine Fritsch (Centre national de la recherche scientifique), une vingtaine de chercheurs français et luxembourgeois ont capturé une centaine de musaraignes et de mulots dans le Jura et dans les Deux-Sèvres afin de rechercher la présence de 140 substances en analysant leurs poils. Il ressort qu’en moyenne, une trentaine à une soixantaine de substances différentes ont été retrouvées sur chaque individu1. Étaient ciblés tant des produits interdits (parfois de longue date) que ceux toujours autorisés. « Les nouvelles générations de pesticides, censées avoir été conçues pour persister moins longtemps dans l’environnement et ne pas s’accumuler le long de la chaîne alimentaire, sont détectées aussi fréquemment que les anciennes molécules », a conclu Clémentine Fritsch.

1. Fritsch C., Appenzeller B., Burkart L. et al. Pervasive exposure of wild small mammals to legacy and currently used pesticide mixtures in arable landscapes. Sci Rep. 2022;12:15904. 

  • 1. Duru M., Fardet A. Les coûts cachés de notre alimentation. UP’ Magazine. 6 juin 2022. bit.ly/3khrzYo.
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