Preuve de non-effet de l’association chondroïtine-glucosamine  - La Semaine Vétérinaire n° 1973 du 20/01/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1973 du 20/01/2023

Douleur arthrosique

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Selon une méta-analyse publiée en 2022, les compléments à base de chondroïtine et de glucosamine ne devraient plus être recommandés comme soutien articulaire. Il y est confirmé, en revanche, une efficacité clinique des régimes enrichis et des compléments à base d’oméga-3.

Que valent ce que l’on appelle communément les « compléments alimentaires » en médecine vétérinaire ? Cette question a été soulevée dans une récente étude1 menée par l’équipe du Groupe de recherche en pharmacologie animale du Québec (Grepaq) de la faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe (université de Montréal, Canada). Les chercheurs se sont penchés spécifiquement sur les produits à visée articulaire destinés aux chats et aux chiens. Le marché des « compléments alimentaires » vétérinaires est en croissance, celle-ci est estimée à 8,2 % d’ici à 2028, d’après les auteurs de l’étude. Parmi les nutraceutiques mis sur le marché, ceux relatifs à l’arthrose feraient l’objet des recommandations les plus fréquentes par les vétérinaires praticiens. Dans ce contexte, les scientifiques ont procédé à une revue systématique de la littérature, avec pour objectif d’examiner les preuves de leur « efficacité analgésique » dans la douleur arthrosique. « Trois méta-analyses avaient déjà été publiées sur le sujet, la plus récente date de 2012. Pour toutes, il était ressorti qu’il n’y avait pas assez de données publiques pour conclure sur l’efficacité de ces produits, explique Éric Troncy (L 92), enseignant-chercheur à la faculté de Saint-Hyacinthe, directeur du Grepaq et auteur senior de l’étude. Mais, en 2012, la méthodologie des méta-analyses n’était pas la même qu’aujourd’hui, où nous avons gagné en sensibilité ».

Une méta-analyse incluant un grand nombre de données

Au total, les données de 57 publications ont été évaluées, correspondant à 72 essais cliniques, dont 69 consacrés au chien. Les trois seuls essais sur le chat portaient sur les régimes diététiques enrichis en oméga-3, sur les compléments alimentaires à base d’oméga-3 et sur ceux à base de chondroïtine-glucosamine. Le nombre d’essais pris en compte est particulièrement élevé dans cette méta-analyse : pour comparaison, celle de 2012 n’avait inclus que 16 publications, correspondant à un à quatre essais par nutraceutique. Sur les 57 articles de la présente étude, 31 ont été publiés après 2012.

Après validation des grilles utilisées, et consensus obligatoire de trois réviseurs face aux données extraites, l’équipe canadienne a vérifié d’une part la qualité des études, sur la base de trois critères : design expérimental et risque de biais (étude randomisée, en aveugle, etc.) ; qualité méthodologique (critères d’inclusion-exclusion, collecte et analyse des données, etc.) ; force des preuves scientifiques (taille de l’échantillon, nature des données, etc.). D’autre part, l’efficacité des produits testés a été évaluée selon trois scores : sans effet (1) ; amélioration de l’état de l’animal dans le temps dans le groupe traité (2) ; amélioration dans le temps et par rapport à un groupe témoin (3). Les essais ont été regroupés en neuf catégories. Chats et chiens confondus, il ressort que « les compléments alimentaires à base d’oméga-3, ainsi que les aliments enrichis avec ces actifs sont les deux catégories de produits pour lesquelles il y a le plus grand nombre d’essais avec une efficacité avérée. C’est beaucoup moins net pour le collagène. Les cannabinoïdes semblent prometteurs. En revanche, il est clair que les composés à base de chondroïtine-glucosamine manquent d’efficacité », rapporte Éric Troncy. Pour les oméga-3, seulement deux essais sur 20 ont été associés à une non-efficacité (1), dont un relatif à un régime enrichi chez le chien, mais la dose testée était faible par rapport aux autres essais. Les deux essais menés chez le chat, ont été reliés à une efficacité avérée (3). Pour les compléments alimentaires à base de chondroïtine et glucosamine, presque 90 % des essais montrent une absence d’effet (1) ; pour le reste, seulement une amélioration des animaux traités dans le temps est relevée (2), et aucun essai ne relève de différence significative avec le groupe témoin (3).

Faire évoluer les pratiques

Les scores d’efficacité pondérés avec la qualité abondent en ce sens : le niveau d’efficacité des compléments à base de chondroïtine-glucosamine ets significativement inférieur à celui des compléments et des régimes enrichis en oméga-3 et à celui des compléments à base de collagène ou de cannabinoïdes. « Des analyses statistiques complémentaires (taille d’effet) ont permis de conforter l’efficacité des oméga-3 et la non-efficacité de l’association chondroïtine-glucosamine. Ces analyses ont toutefois relativisé les effets potentiels des compléments à base de collagène, indique Éric Troncy. Pour les cannabinoïdes, avec les données disponibles à ce jour, l’analyse statistique ne permet pas de conclure ».

« En tant qu’universitaire, il est important de pouvoir mener ce type d’étude, afin d’informer les vétérinaires praticiens et de participer à l’amélioration de leurs pratiques. Au vu des résultats de cette publication, on peut conclure avec un fort niveau de preuve que les compléments alimentaires à base de chondroïtine-glucosamine ne sont plus à recommander dans le cadre de l’arthrose. Ce constat est particulièrement fort pour le chien. S’il n’existe que trois essais cliniques pour le chat, les données vont malgré tout dans le même sens ». À l’inverse, cette méta-analyse conforte l’efficacité analgésique d’une supplémentation en oméga-3 pour l’arthrose canine et féline. D’autres études sont nécessaires pour statuer sur les effets du collagène, des cannabinoïdes et des nutraceutiques composites.

Différencier discours marketing et information scientifique

Ces résultats rappellent bien à quel point il est essentiel de se montrer vigilant face à un discours marketing bien rodé, qui diffère des données scientifiques. « En tant que vétérinaire, soyons plus critiques vis-à-vis des produits qu’on nous présente. Il faut se poser les bonnes questions : À quoi correspond l’efficacité ? Quels types d’études permettent d’aboutir à ces résultats ? Combien d’animaux sont inclus dans l’essai ? Actuellement, on considère qu’il en faut au moins une centaine dans le groupe testé, et autant dans le groupe contrôle. Il est également essentiel de se tenir à jour des méta-analyses, qui reposent sur l’evidence based veterinary medecine », explique Éric Troncy.

Par ailleurs, il convient de garder en tête que les mécanismes d’action des compléments alimentaires ne sont pas encore clairement compris. Pour la chondroïtine et la glucosamine, le postulat était qu’en tant que composants naturels de la matrice cartilagineuse (comme le collagène), ils étaient intéressants, avec un effet anti-inflammatoire suggéré sur la base des résultats d’études in vitro et in vivo sur des modèles souris et rats. Ces données de laboratoire ne sont pas suffisantes pour conclure à une efficacité clinique ; de plus, toutes les données disponibles d’évaluations pharmacocinétiques révèlent qu’il y a une faible absorption de ces actifs, impliquant de facto une faible efficacité. En outre, « si, au début, l’arthrose était considérée comme une maladie inflammatoire, les connaissances acquises ont démontré que les processus en cours étaient plus complexes, avec notamment l’implication de composantes nerveuses ».

Comme le souligne Éric Troncy, les méta-analyses sont également un appel à faire évoluer la réglementation, s’il le faut. « On exige des fabricants de médicaments qu’ils nous fournissent des preuves d’efficacité très coûteuses pour obtenir une autorisation de mise sur le marché. Alors ce n’est pas illogique de demander un minimum de données d’efficacité pour les produits reliés à la santé ». Au Canada, ce type de produits2 ne doit inclure que des actifs figurant sur une « liste de substances permises ». Les entreprises souhaitant les commercialiser doivent attester qu’il existe « des preuves objectives et crédibles démontrant que le produit est sécuritaire et à l’appui d’une attente raisonnable d’efficacité », ainsi que la bonne validité de l’étiquetage (dont l’absence d’allégation thérapeutique). Il pourra être demandé de voir des preuves « si un problème de sécurité est soulevé, si une allégation semble trompeuse, ou à la suite d’une plainte ». En France, l’esprit réglementaire est identique : les fabricants sont tenus de mettre sur le marché des produits sûrs, non altérés, loyaux, sans allégation thérapeutique. Il n’y a aucune obligation de fournir des preuves d’efficacité.

  • 1. Barbeau-Grégoire M., Otis C., Cournoyer A., et al. A 2022 Systematic Review and Meta-Analysis of Enriched Therapeutic Diets and Nutraceuticals in Canine and Feline Osteoarthritis. Int J Mol Sci. 2022;23(18):10384.
  • 2. health-products.canada.ca/vhp-psa/fr/about/9.
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