Maladies réglementées
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Article rédigé par Fayçal Meziani, Gérald Therville-Tondreau, Nathalie Lavalette, Muriel Orlowski, Samuel Boucher, Julien Vallon, Irène Demont, Michel Pottiez, Véronique Duquesne, Stéphanie Franco.
Originaire d’Afrique subsaharienne, le petit coléoptère des ruches, Aethina tumida, s’est progressivement étendu en dehors de sa zone d’origine, en Afrique, mais aussi en Amérique, en Océanie et en Asie. En Europe, il a été découvert pour la première fois en septembre 2014 dans un rucher du sud de l’Italie. Après avoir mis en œuvre jusqu’en 2016 des mesures de lutte pour éradiquer le parasite, les autorités sanitaires italiennes visent désormais à limiter sa propagation au reste du territoire italien et européen. Dans ce contexte, le niveau de risque d’introduction est considéré comme élevé en France, appelant à une gestion adéquate des suspicions, comme l’illustré l’exemple présenté dans cet article. Une première introduction a eu lieu sur l'île de la Réunion, au début du mois de juillet 2022, mais à ce jour, la situation reste sous contrôle avec une dizaine de foyers regroupés dans le sud de l'île et un dernier foyer détecté le 21 juillet dernier.
Une maladie à déclaration obligatoire
La suspicion a été relevée par un apiculteur non professionnel du Maine-et-Loire le 27 février 2021. Au cours du contrôle de deux de ses colonies retrouvées mortes, il constate la présence d’« œufs » atypiques sur deux cadres. Il en informe l’Observatoire des mortalités et affaiblissements de l’abeille mellifère (OMAA) de sa région un mois plus tard, le 31 mars 2021, et envoie une photo (figure 1). Cet appel permet au vétérinaire investigateur de lui recommander de conserver ses cadres au congélateur, à des fins d’analyse ultérieure.
Dans un deuxième temps, l’OMAA contacte la direction départementale de la protection des populations (DDPP) pour déclarer la suspicion. Ce signalement entre, à ce moment-là, dans le cadre national réglementaire des dangers sanitaires puisque A. tumida est un danger sanitaire de première catégorie (DS1), c’est-à-dire à éradication immédiate. Depuis le 1er avril 2021, cette réglementation a évolué avec l’entrée en vigueur de la loi de santé animale européenne (voir encadré).
Une enquête de terrain …
Une fois l’alerte émise, la DDPP lance une enquête épidémiologique incluant un suivi des « mouvements » des abeilles (évaluation des origines des colonies et du matériel apicole) et des pratiques apicoles (évaluation de la gestion sanitaire des colonies par un vétérinaire), en association avec une inspection approfondie des colonies de l’apiculteur. Le 1er avril 2021, un agent des services vétérinaires effectue un prélèvement pour analyse de cadres et d’« œufs » conservés chez l’apiculteur. Cette investigation montre que les « œufs » atypiques sont plutôt des larves jaunâtres. En parallèle, un vétérinaire mandaté réalise une visite des autres ruches appartenant à l’apiculteur afin de consolider l’enquête épidémiologique. Les informations collectées montrent notamment qu’il travaille en autonomie, n’achète pas de matériel vivant et ramasse des essaims pour renouveler son cheptel, ce qui limite le risque d’introduction d’agents exotiques.
La DDPP avertit la Direction générale de l’alimentation et le laboratoire national de référence (LNR) sur la santé des abeilles (laboratoire de Sophia-Antipolis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) de l’alerte sanitaire, et lui envoie des photos des spécimens prises sur le terrain afin d’évaluer le niveau de risque. Les premières observations permettent de le qualifier comme « faible », au vu de la morphologie des insectes. Pour lever totalement la suspicion, l’alerte est maintenue et les échantillons sont transmis au LNR.
… associée à des analyses de laboratoire
Au LNR, l’inspection visuelle des cadres met en évidence des formes immatures de type pupes en grand nombre (correspondant à la suspicion initiale), mais aussi un coléoptère adulte, et une dizaine de larves pouvant s’apparenter à celles de coléoptère (figure 2). Des analyses d’identification morphologique et moléculaire sont réalisées en deuxième lieu. L’analyse morphologique des larves et du coléoptère adulte ressort négative aux critères d’identification d’A. tumida. L’analyse moléculaire sur pupes et sur larves confirme ce résultat. L’hypothèse d’être en présence d’A. tumida est donc rapidement écartée.
Une identification plus poussée par séquençage est également conduite afin d’identifier les espèces détectées dans les échantillons, à des fins de recherche. Il ressort que les pupes appartiennent à une espèce de parasitoïde du genre Megaselia. Il s’agit d’un diptère de la famille des Phoridae (petites mouches). La séquence obtenue pour les larves correspond à celle d’un coléoptère de l’espèce Crytophagus scanicus. Ces insectes ne sont pas à l’origine de la mortalité de la colonie : ce sont des opportunistes, qui se sont installés a posteriori, profitant d’un gîte et d’une ressource alimentaire propices à leur développement.
Face à ce danger exotique, le respect des modalités de déclaration de suspicion, tels que décrits dans cet exemple, est essentiel pour espérer éviter l’implantation d’A. tumida et sa diffusion sur le territoire. Entre 2014 et 2021, le LNR a traité 31 cas de suspicions, tous négatifs pour le petit coléoptère des ruches. La lutte contre ce parasite repose en outre sur la vigilance et l’implication de tous les acteurs de la filière apicole, en particulier les apiculteurs, qui doivent être sensibilisés à ce danger.
Le nouveau cadre réglementaire
Le règlement UE 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, dit loi de santé animale (LSA), est entré en vigueur le 21 avril 2021. Il est associé à plusieurs règlements d’exécution pour sa bonne application. Parmi ceux-ci, le règlement d’exécution UE 2018/1882 de la Commission du 3 décembre 2018 liste toutes les maladies animales qui doivent être réglementées au sein de l’Union européenne (UE). Cinq catégories de maladies y sont définies, ainsi que des mesures de surveillance et de lutte associées :
- Catégorie A : maladie normalement absente de l’UE, éradication immédiate (plan d’urgence) ;
- Catégorie B : maladie devant être contrôlée par tous les États membres, éradication obligatoire ;
- Catégorie C : maladie soumise à contrôle volontaire des États membres, éradication volontaire ;
- Catégorie D : maladie pour laquelle des restrictions aux mouvements entre États membres s’appliquent (pour éviter la propagation en cas d’entrée dans l’UE ou de mouvements entre États membres) ;
- Catégorie E : maladie soumise à surveillance et notification européenne obligatoire.
La LSA permet toutefois aux États membres de mettre en œuvre des mesures nationales supplémentaires de lutte, à la condition de ne pas entraver les échanges. C’est ce qu’a choisi la France pour le petit coléoptère des ruches, qui a été classé D et E par la LSA, étant donné qu’elle est encore un territoire indemne (sauf à la Réunion). De fait, l’objectif actuel demeure la détection précoce et l’éradication rapide de la maladie. Un plan de police sanitaire s’appliquerait donc en cas de confirmation d’un foyer.
Deux dispositifs de surveillance
Pour atteindre cet objectif, les autorités sanitaires françaises comptent sur deux dispositifs de surveillance :
- une surveillance événementielle, fondée sur les déclarations effectuées en cas de suspicion par les apiculteurs ou par tout autre acteur de la filière auprès des directions départementales de la protection des populations, en vertu de l’article L201-7 du Code rural et de la pêche maritime ;
- une surveillance programmée, reposant sur l’examen systématique par des laboratoires agréés des cages de transport et des abeilles accompagnatrices dans le cadre des importations de reines en provenance de pays tiers.
Des actions de formation et de sensibilisation ont également été entreprises. Des plaquettes informatives sont disponibles sur ce lien : bit.ly/3X8PCHB.