COMMUNAUTE VETO
Auteur(s) : Lucas Darmancourt, diplômé d'Oniris (Nantes, Loire-Atlantique), promotion 2022
Alors encore étudiant, j’ai été profondément choqué par une tribune1 parue dans La Semaine Vétérinaire et par l’usage qui y est fait du sujet du mal-être de nos consœurs et confrères. Cette instrumentalisation associée à une exhortation à être collectivement « à la hauteur » face à cet enjeu semble, à tout le moins, incongrue. Mais, si ces propos sont inacceptables dans leur forme, ils doivent aussi nous pousser à revenir sur le fond du débat.
Parler de « chasse aux sorcières » pour dénoncer les radiations par l’Ordre des cliniques de groupes financiarisés (à actionnaires non vétérinaires) est illégitime et insulte le débat qui doit avoir lieu sur ce sujet. Accuser ces procédures de mettre à mal notre union face à l’enjeu du mal-être ne paraît pas plus pertinent. Ces radiations concernent des cliniques qui sont réputées ne pas respecter l’article du Code rural et de la pêche maritime garant de notre indépendance, le L.241-17. Aussi, la détention de cliniques par IVC Evidensia, groupe lié à Nestlé Purina PetCare, est considérée comme problématique. Le réseau AniCura est également mis en cause pour être affilié au géant Mars Incorporated, qui détient notamment Royal Canin et Whiskas. Des montages financiers qui viseraient à contourner les alinéas 1 et 2 de l'article L.241-17, sont aussi décriés. Le risque est que ces cliniques aliènent davantage les vétérinaires à des intérêts divergents de ceux des animaux qu’ils prennent en charge, de leurs clients ou des leurs. Comme toute liberté bien comprise, la liberté de choix des partenaires financiers du vétérinaire connaît des limites morales. Dans ce cas, elles sont fixées par la loi. Il n’y a aucun acharnement, l’Ordre est dans son rôle puisqu’il en va de l’honneur de la profession et du respect du cadre légal d’exercice.
Pourquoi parler de « tout l’impact psychologique et émotionnel » que peut avoir sur les collaborateurs d’IVC Evidensia le fait « d’exercer avec l’épée de Damoclès d’une possible procédure de radiation » ? Ne serait-ce pas pour faire oublier que, selon l’Ordre, de nombreuses cliniques de ce groupe (entre autres) ne respectent pas la loi ? D’autres s’y conforment et ne sont pas inquiétés. Personne n’a obligé IVC Evidensia à défier les règles. Les menaces qui pèsent sur ses collaborateurs sont avant tout la conséquence des choix de ce groupe. Personne ne met au ban de la profession les vétérinaires qui travaillent pour celui-ci. Se séparer de cet actionnariat nuisible ne coupera ni le bras, ni le pied, ni même un cheveu de la profession.
Mélanger à dessein réseaux et groupes avec des actionnaires non vétérinaires altère la clarté du débat. Le premier n’implique pas l’autre. L’organisation en réseaux ou en groupes 100 % détenus par des vétérinaires apporte des bénéfices. Mais l’actionnariat non vétérinaire que défend IVC Evidensia n’apporte que le germe d’une perte d’indépendance, d’une augmentation du prix des soins pour les propriétaires, d’une paupérisation des vétérinaires, et ne répondra en rien à la désertification. Quels sont les bénéfices spécifiques à Nestlé et aux fonds de pension étrangers ?
Quant à l’investissement, notre crédibilité financière se passe des actionnaires d’AniCura et d’IVC Evidensia. Les vétérinaires ont d’autres solutions. Les banques pour prêter, des associés pour partager les risques. Il est préférable d’encourager les jeunes à investir que de leur répéter à tue-tête qu’ils ne le veulent pas ! À terme, la flambée des prix due aux acquisitions par les groupes ne fera qu’empêcher les jeunes motivés de racheter une clinique.
Il est indigne de chercher à faire coïncider le problème juridique et financier de ce nouveau type d’actionnaires avec celui de femmes et d’hommes qui vont au travail la boule au ventre, qui ont perdu l’appétit pour ce beau métier, la foi en celui-ci et même parfois, en eux. Cela au point de mettre un terme à leur vie de vétérinaire, parfois à leur vie tout court. Perte insupportable pour les leurs et pour nous. Il faut nous respecter et être soi-même à la hauteur de cet enjeu avant d’y exhorter les autres. Le mal-être des vétérinaires ne doit pas seulement nous interroger, il nous oblige.