L'élevage canin face à ses nouveaux enjeux - La Semaine Vétérinaire n° 1973 du 20/01/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1973 du 20/01/2023

DOSSIER

Auteur(s) : Par Lorenza Richard

Avec 280 000 naissances de chiens inscrits au LOF en 2021, l’élevage canin en France se porte bien. Il devra toutefois évoluer car le grand public est de plus en plus soucieux du bien-être animal. En développant des synergies, éleveurs et vétérinaires pourront tenir leur rôle dans la lutte contre les problèmes de traçabilité et les hypertypes. 

« Les naissances de chiens inscrits au Livre des origines françaises (LOF) ont beaucoup augmenté en 2020 et en 2021 (280 000 inscriptions en 2021), avec une forte demande de chiots pendant le confinement, constate Alexandre Balzer (T 03), praticien canin à Bellerive-sur-Allier (Allier) et président de la Société centrale canine (SCC). Cependant, depuis quelques mois, la demande de chiots chute au niveau européen et les élevages ont de plus en plus de mal à les vendre. » Dans un contexte de crise économique et d’exigence sociétale vis-à-vis du bien-être animal, la SCC a vocation à promouvoir le chien de race et à être un interlocuteur pour les éleveurs et les propriétaires. « La SCC évolue et souhaiterait devenir la Maison des chiens, en s’adressant aux propriétaires des animaux inscrits au LOF ou pas, sans distinction. Le site internet de la SCC est une mine d’informations et de conseils. Nous voudrions aider le grand public à trouver le chien de ses rêves et, pour les personnes qui veulent un chien de race, à sélectionner la bonne race et le bon élevage. »

Garantir la traçabilité

La SCC conseille en effet d’acheter les chiots dans les élevages, et non dans les salons du chiot ou sur Internet, où des problèmes de traçabilité se posent car beaucoup de chiens ne sont pas LOF, mais d’apparence raciale, et où les pedigrees peuvent ne pas être fiables. La SCC a imposé, à partir du 1er janvier 2023, un test ADN à la déclaration de saillie pour tous les reproducteurs, afin que les chiens inscrits au LOF bénéficient d’un meilleur suivi. « Ainsi, en deux générations, il sera possible de garantir la fiabilité des pedigrees, et donc d’améliorer la traçabilité du chiot. La base de données LOF reste accessible aux particuliers qui voudraient vérifier l’ascendance et les données de santé des parents d’un animal », ajoute Alexandre Balzer. Cela permettra aussi de renforcer la lutte contre les élevages frauduleux, en collaboration avec les directions départementales de la protection des populations.

De plus, des packs de tests génétiques sont mis à la disposition des éleveurs. « Le développement de la génomique pour la détection des maladies et des index génétiques sera certainement une avancée dans le monde de la cynophilie, détaille-t-il. Mais nous sommes également attentifs au coût global, notamment pour les éleveurs de races à très faible effectif, lesquelles sont une cinquantaine en France. C’est une vraie chance d’avoir cette diversité génétique. Il faut donc cibler les tests importants pour chaque race, en visant à maintenir la bonne santé de l’animal. »

Améliorer le bien-être animal

En cela, Alexandre Balzer se réjouit de l’évolution des relations de la SCC avec le monde vétérinaire, dans une optique d’amélioration globale de l’état de santé des chiens. Par exemple, les vétérinaires effectuent les prélèvements pour les tests génétiques et dépistent des maladies qui peuvent être intégrées aux pedigrees. Ils aident également à la réalisation de tests, tels que le Breath (brachycephalic exercise aptitude test for health) pour les races brachycéphales, utilisé lors des expositions canines. « Nous réfléchissons à développer ce test, voire à le rendre obligatoire pour certaines races, et à l’ouvrir aux vétérinaires en dehors des rassemblements de chiens », annonce le président de la SCC.

Plus globalement, le vétérinaire représente un allié dans la lutte contre les hypertypes. « À nous, la SCC, de sélectionner des chiens qui vivent sans souffrance, en incitant les éleveurs à adopter une démarche vertueuse et en formant les juges. Pour cela, il faut définir les hypertypes par race, comme trop de plis chez le sharpei ou un museau trop court chez les brachycéphales. » Ainsi, la SCC et les vétérinaires s’unissent pour informer le grand public, qui plébiscite certaines races, et l’inciter à prendre conscience que les exagérations morphologiques peuvent être préjudiciables à la santé et au bien-être de l’animal.

Lutter contre les hypertypes

« L’hypertype n’est pas spécifique au chien inscrit au LOF, déplore Alexandre Balzer. Il existe aussi chez les chiens d’apparence raciale, et la lutte contre ce problème se heurte à ces individus malades qui sont utilisés pour la reproduction. » Alain Fontbonne (N 85), professeur en élevage et reproduction des carnivores à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne), explique que « la reproduction assistée a beaucoup progressé, notamment avec l’insémination artificielle, ce qui pose des questions éthiques. En effet, certaines races, comme le bulldog anglais, disparaîtraient si le règlement de la Fédération cynologique internationale était appliqué. Celui-ci prévoit que “l’insémination artificielle ne doit pas être pratiquée avec des sujets qui ne se sont pas reproduits naturellement auparavant”. » Françoise Lemoine (A 91), présidente du Groupe d’étude en reproduction, élevage, sélection (Geres) de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, fait des hypertypes son combat. « Éthiquement, un chien avec une sténose des narines ou une élongation du voile du palais devrait être stérilisé d’emblée, soutient-elle. Le Geres voudrait instaurer une éthique de mise à la reproduction au niveau européen, mais c’est une mesure compliquée à faire passer. En outre, certains éleveurs pratiquent des inséminations eux-mêmes, sans passer par les vétérinaires et, quand les chiots sont bloqués, on ne peut pas laisser la chienne et ses chiots mourir.» Il est ainsi tentant de proscrire l’élevage de certaines races, toutefois Alexandre Balzer estime que cela serait contre-productif : « La Norvège, par exemple, interdit l’élevage de races brachycéphales, mais pas leur possession. Cela induit une importation légale, mais aussi illégale, sans possibilité de suivi. Un élevage légal bien suivi permet de garantir la traçabilité et de collecter des informations pour améliorer la santé globale de ces races. »

Françoise Lemoine (A 91)

Présidente du Geres de l’Afvac

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Des approches vétérinaires différentes selon le type d’élevage

Le travail du vétérinaire avec des élevages amateurs (moins de cinq portées par an) diffère totalement de celui auprès de gros producteurs (500 à 600 chiots par an). Pour les premiers, son rôle est proche du praticien généraliste, avec un approfondissement en reproduction : suivi des chaleurs et des gestations, dystocies, etc. L’amateur est demandeur de soins et d’écoute. En revanche, l’approche avec les seconds est semblable à celle pratiquée en productions animales. C’est un tout autre métier. Les producteurs sont obligés d’avoir un vétérinaire sanitaire, qui doit mettre en place des procédures et les vérifier : protocole de vaccination, vermifugation biannuelle, bilan d’élevage, etc. Le vétérinaire n’est pas là pour casser les prix ni distribuer des médicaments. Il tient un rôle de conseil au quotidien, et fait face à des crises aiguës et majeures. Par exemple, dans le cas de la parvovirose, il doit être disponible, compétent, prendre des mesures pour éteindre l’incendie et établir une prophylaxie en faisant des choix économiques. Les décisions doivent être prises le plus rapidement possible, en prenant en compte le double aspect, affectif et financier. Une confiance doit donc s’installer. En matière de comportement, ces éleveurs sélectionnent généralement des chiennes qui sont de bonnes reproductrices, qui s’élèvent facilement. Lorsque la taille de l’élevage croît, la course contre le temps est souvent engagée. S’occuper des animaux, et surtout des chiots, est très chronophage. De la musique diffusée dans la maternité ne saurait être suffisante au bon développement du chiot. Afin d’évoluer sur ce point, le Geres1, en collaboration avec le Gecaf2, a élaboré des grilles pour que les vétérinaires apprécient plus facilement la notion de bien-être en élevage, en menant un travail d’accompagnement approfondi. Il serait également important que les éleveurs bénéficient d’une formation initiale digne de ce nom, car c’est un métier avec de vraies exigences, notamment sur l’alimentation, la reproduction, la génétique, le bien-être animal, la gestion d’une entreprise, etc. Éleveur doit devenir une « véritable » profession, qui fasse du beau, du bon et de l’équilibré. Un label de qualité donnerait une visibilité au néophyte de ce qu’est un bon élevage.

Marie Abitbol (A 99)

Enseignante-chercheuse en génétique à VetAgro Sup (Marcy-l’Étoile, Rhône)

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Un réseau de recherche génétique structuré

Le réseau français de recherche en génétique canine est organisé autour de quatre pôles qui travaillent ensemble et partagent des projets communs : l’IGDR1 (avec Catherine André, responsable de l’équipe génétique du chien), l’EnvA2, VetAgro Sup et le laboratoire Antagene. De grosses structures vétérinaires privées ont également des programmes de recherche et travaillent en collaboration avec les équipes du réseau pour caractériser de potentielles nouvelles maladies héréditaires. À cela s’ajoutent tous les praticiens qui réfèrent des cas, soit vers les écoles vétérinaires, soit vers l’IGDR. À l’EnvA et à VetAgro Sup, des consultations de génétique sont proposées aux éleveurs ou aux vétérinaires confrontés à une affection qui est, ou semble, héréditaire. Les financements sont variés, parmi lesquels le fonds de recherche SCC-Agria ou la fondation Visio pour des études axées sur les chiens guides. De plus, la biobanque Cani-DNA, créée par Catherine André, rassemble des ADN et des tissus (indemnes et tumoraux) qui permettent d’étudier les gènes et les mutations responsables de caractères d’intérêt ou de maladies héréditaires. Cani-DNA, comme d’autres biobanques, fait partie du CRB-Anim3, qui préserve les ressources génétiques animales.

Fleur-Marie Missant

Directrice adjointe de la SCC

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Une sélection adaptée pour chaque race

Le principal outil de sélection des chiens est une grille élaborée par les clubs de race et soumise à la commission élevage de la SCC1. Il est à la fois uniformisé et individualisé, car il donne, pour chaque race, les critères de cotation des reproducteurs, allant de 1 à 6. Le niveau 1 est la confirmation de l’animal. Le niveau augmente ensuite en fonction des résultats de santé, d’exposition ou de travail. Pour la santé, nous diversifions nos tests et les adaptons à chaque race : tests génétiques, test Breath (brachycephalic exercise aptitude test for health), etc. La base de données Génodog2, qui liste les maladies génétiques ou présumées héréditaires, selon la maladie ou la race, peut aider les vétérinaires dans leur dépistage. Les fiches maladies comprennent les signes cliniques, le diagnostic, le pronostic, les possibilités de traitement et des informations sur le gène responsable, le tout régulièrement mis à jour. Concernant les résultats en expositions, nous privilégions les régionales ou nationales d’élevage, car c’est là que se trouvent les juges vraiment spécialisés dans une race. Enfin, nous prenons en compte les résultats de travail pour les races dont nous souhaitons garder certaines aptitudes naturelles. Quant aux niveaux 5 et 6 des grilles, ils considèrent également les résultats des descendants, ce qui incite à sélectionner rigoureusement des reproducteurs.

Il nous manque cependant une caractéristique importante dans le pedigree : la longévité. Pour mieux la connaître et savoir quels leviers actionner afin d’améliorer l’espérance de vie des chiens, nous menons un projet de recherche avec l’IGDR sur les facteurs génétiques de longévité, financé avec le fonds SCC Agria. Nous avons par ailleurs mis en place un certificat3, sur lequel les vétérinaires peuvent indiquer la date de décès d’un chien inscrit au Livre des origines françaises et sa cause. Nous encourageons les praticiens à fournir ce certificat, et sensibilisons aussi les éleveurs et les propriétaires à solliciter leur vétérinaire pour cela.

« Créons un institut technique »

Alain Fontbonne (N 85), professeur en élevage et reproduction des carnivores à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne)

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Depuis quasiment trente ans, je travaille à l’interface entre vétérinaires et éleveurs des filières canine et féline. J’ai toujours souhaité que les écoles vétérinaires jouent pleinement leur rôle dans ce secteur professionnel. Dans un rapport que j’avais remis au ministre chargé de l’agriculture en 2000, je préconisais la création d’un institut technique, mais cela n’a jamais abouti. Pourtant, elle s’impose plus que jamais. Nous ne pourrons pas progresser techniquement et scientifiquement sans une base de données complète et centralisée sur l’élevage du chien et du chat, car - sauf pour les animaux de race - l’empirisme prédomine.

En effet, le maillage est surtout constitué de structures familiales et de particuliers qui ne se déclarent pas toujours et qui « échappent aux radars ». Il y a donc, d’une part, les animaux de race inscrits au Livre des origines françaises, qui sont bien tracés par la Société centrale canine et, d’autre part, une majorité de chiens d’apparence raciale, vendus parfois sur les réseaux sociaux, importés, etc.

De plus, le monde de l’élevage des carnivores n’a pas progressé aussi vite qu’il aurait dû. Certes, les éleveurs doivent détenir l’attestation de connaissances pour les animaux de compagnie d’espèces domestiques (Acaced) et les conditions d’élevage se sont beaucoup améliorées. Cependant, l’arrêté du 3 avril 2014, qui impose aux éleveurs la rédaction d’un règlement sanitaire et des visites vétérinaires à objectif sanitaire, est un échec. Ceux qui respectent ces textes sont très minoritaires, alors que ces visites sont l’occasion d’un vrai partenariat entre vétérinaire et éleveur, où le praticien n’est plus un pompier mais prévient les risques. De plus, la technicité des vétérinaires vis-à-vis des collectivités s’est accrue. Toutefois, il ne suffit pas de traiter chaque chien de façon individuelle, mais de suivre la santé globale de l’élevage, en se rendant sur place. Nous avons parfois des surprises si nous ne voyons les chiens seulement à la clinique. Il me semble essentiel de placer le vétérinaire au centre du dispositif, car c’est sa formation, et sa vocation. Désormais, la formation initiale en école vétérinaire intègre l’élevage des carnivores, et elle est bien structurée. Néanmoins, pour ceux dont le diplôme est plus ancien, l’acquisition de compétences en audit des collectivités canines et félines est souvent nécessaire, et beaucoup s’y intéressent. Il conviendrait ainsi, pour tous, de mieux structurer et organiser la filière et de créer un institut technique. Les praticiens et les écoles y ont un grand rôle à jouer.