Neurologie
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Lorenza Richard
La première étude prospective sur l’apport de l’IRM dans la prise en charge et le pronostic de l’accident vasculaire cérébral chez le chien montre la nécessité d’élaborer des outils de caractérisation des lésions spécifiques et soutient la possibilité d’une recherche translationnelle avec la médecine humaine.
« Pendant longtemps, on a pensé que le chien ne faisait pas d’accident vasculaire cérébral (AVC). On en est revenus grâce, notamment, à l’essor de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), qui a permis d’établir de plus en plus de diagnostics », a déclaré Catherine Escriou (A 92), maître de conférences en neurologie et médecine du comportement à VetAgro Sup (Marcy-l’Étoile, Rhône), lors de la 4e soirée du centre hospitalier universitaire vétérinaire pour animaux de compagnie (Chuvac) de VetAgro Sup, le 9 novembre dernier. Ces connaissances récentes ont suscité un intérêt croissant pour les AVC du chien. Alors que les publications sur le sujet consistent en des séries de cas, une étude prospective pilote sur les cas d’AVC spontanés qui sont reçus au Chuvac a été mise en œuvre sous l’impulsion d’Emmanuelle Canet-Soulas (L 90), professeure de physiologie à l’université Claude-Bernard Lyon 1 (Rhône). « Le but est de mieux les caractériser, de corréler la lésion observée à l’IRM aux signes cliniques, à l’évolution et au pronostic de façon à assurer une meilleure prise en charge, mais aussi de voir si le chien peut être un modèle d’AVC spontané chez l’humain », a expliqué Catherine Escriou.
Des AVC, des récupérations
Dix cas ont été inclus sur une période de douze mois. Ce faible nombre ne permet pas de montrer de prédisposition de race, en revanche un état hypercoagulable et une protéinurie étaient des facteurs favorisants communs. De plus, « il n’y a pas un AVC du chien mais des AVC, avec des présentations très classiques et d’autres moins, et qui sont fonction de la localisation de l’atteinte, de la gravité et de la cause, a noté Catherine Escriou. Les pronostics sont aussi très variables sur le court et le long terme, avec une récupération sur le court terme et une dégradation sur le long terme, mais aussi une récupération rapide sur des symptomatologies spectaculaires, pour peu qu’on aide le chien à récupérer ».
Ainsi, un border collie de 13 ans est vu seize heures après les premiers symptômes pour de petits troubles de l’équilibre et un antérieur droit un peu traînant. À l’examen clinique, seule une légère hémiparésie est notée. Pourtant, une grosse lésion est visualisée à l’IRM dans le cortex gauche, bien délimitée, entourée d’un œdème périlésionnel important. La propriétaire met alors en place une rééducation active, à base d’exercices récompensés : donner la patte droite, la placer dans une bassine, etc. L’animal parvient à les effectuer après deux semaines de rééducation et récupère bien. L’IRM de contrôle montre une nette amélioration. Pour Emmanuelle Canet-Soulas, cette rapidité de récupération est à questionner, car « la recherche clinique vétérinaire permettrait de mieux comprendre les possibilités de traitement et la façon de favoriser la récupération par une rééducation spécialisée de la plasticité cérébrale chez l’humain ».
Des outils diagnostiques et pronostiques nécessaires
Cependant, l’IRM classique se révèle parfois insuffisante. L’imagerie montre un épanchement de sang en cas d’AVC hémorragique, ou une lésion très délimitée au territoire vascularisé par l’artère touchée en cas d’AVC ischémique. L’apparition soudaine des symptômes et, éventuellement, des épisodes précédents d’accident ischémique transitoire permettent, dans le cadre du diagnostic différentiel, d'orienter vers un AVC plutôt qu'une tumeur. Toutefois, une lésion est difficilement visualisable à l’IRM en séquences classiques dans les premières heures après l’ischémie. Ainsi, Catherine Escriou a cité l’exemple d’une lésion cérébelleuse droite chez un braque de Weimar âgé de 15 ans très peu visible en IRM classique, malgré un tableau clinique important de syndrome vestibulaire. En revanche, la lésion est très visible en séquences de diffusion, par une délimitation nette et localisée dans le territoire vascularisé par l’artère cérébelleuse rostrale. Après amélioration, l’animal est brutalement décédé d’un arrêt cardio-respiratoire quelques jours plus tard. Pour la spécialiste en neurologie, « ce cas montre les limites de l’IRM classique, qui, de plus, n’a pas été pertinente pour prédire ce qui allait se passer, et l’importance de développer des outils de caractérisation spécifiques ». C’est notamment le cas des séquences de diffusion, « qui mesurent la mobilité des protons de l’eau dans les tissus », a précisé Florent Dimeglio, directeur réseau IRM vétérinaire France de la société HawkCell. De plus, l’injection d’un produit de contraste permet, notamment, d’étudier le débit sanguin cérébral et le temps de transit moyen du produit dans le parenchyme (T-MAX) et de quantifier le retard de perfusion de certaines cellules. Cela a un but prédictif en cas d’ischémie, car sont ainsi visualisées la lésion principale et la zone de pénombre, c’est-à-dire la zone de souffrance cellulaire liée à l’impact de l’AVC, donc la partie du parenchyme vouée à mourir.
Optique One Health
Des projets collaboratifs entre médecins et vétérinaires sont prévus avec des partenaires industriels pour développer des séquences spécifiques d’IRM, valider des produits de contraste et mener une recherche translationnelle d’électroencéphalogramme chez le chien. En attendant ces travaux, « si on ne cherche pas les AVC, on ne les trouve pas et, comme les chiens récupèrent vite, on peut laisser partir un animal et le retrouver mort six mois après car il aura fait un AVC massif », a souligné Catherine Escriou. « Il convient donc de toujours entreprendre une démarche diagnostique pour identifier l’AVC, en rechercher la cause et prévenir l’apparition d’un nouvel AVC. Enfin, la caractérisation doit être précisée, notamment avec les nouveaux outils IRM, pour affiner le diagnostic et ajuster la prise en charge1. Les AVC sont en effet largement sous-diagnostiqués chez le chien, alors que l’étude montre qu’il peut y avoir une lésion énorme avec peu de symptômes. Avec les travaux à venir, il sera donc possible d’améliorer la prévention, la prise en charge et le traitement des chiens, et d’essayer chez l’humain des nouvelles voies thérapeutiques et des techniques de rééducation pour accélérer la récupération, le tout dans une optique One Health. »
L’AVC chez l’humain
Emmanuelle Canet-Soulas (A 92), maître de conférences en neurologie et médecine du comportement à VetAgro Sup (Marcy-l’Étoile, Rhône), a expliqué que l’accident vasculaire cérébral (AVC) est une affection majeure chez l’humain, surtout observée chez les sujets âgés atteints d’hypertension. L’AVC hémorragique, dû à un saignement consécutif à une rupture d’anévrisme, représente 20 % des cas ; et l’AVC ischémique, dû à un thrombus artériel, touche 80 % des patients. Les symptômes sont variés selon la localisation et l’origine. Parfois, l’accident ischémique transitoire est le premier signe : trouble neurologique brutal, hémiparésie, troubles du langage, de la sensibilité, etc. Seule l’imagerie cérébrale permet d’établir le diagnostic et de prendre la décision thérapeutique, qui doit être rapide. En effet, la thrombolyse doit être effectuée dans les premières heures, sinon le risque hémorragique supplante le bénéfice thérapeutique. Depuis 2015, la thrombectomie, qui consiste à retirer le caillot par voie endovasculaire, peut être réalisée dans un délai de vingt-quatre heures après le début des symptômes. Cependant, en raison de la faible fenêtre de temps pendant laquelle il est possible de traiter, beaucoup de patients ne peuvent être pris en charge et plus de la moitié garderont des séquelles.