Virus influenza porcins : démarche diagnostique - La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022

Virologie

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Morgane Rémond

Article rédigé d’après une présentation de Gaëlle Simon, directrice de projets de recherche en virologie à l’Anses et responsable du Laboratoire national de référence influenza porcin, donnée lors du congrès annuel de l’Association française de médecine vétérinaire porcine, les 2 et 3 décembre 2021.

Allô docteur, ça tousse dans l’élevage et les cochons mangent moins, tu peux passer ? Cet appel d’éleveurs, assez commun, peut vite évoquer pour le vétérinaire un virus influenza. Mais diagnostiquer un « épisode grippal » n’est pas si simple.

Deux formes cliniques

Les infections à virus influenza porcins (swIAV pour swine influenza A virus) touchent tous les types d’élevages, et les animaux de tout âge, quel que soit leur stade physiologique. Sur le terrain, la forme épidémique de l’influenza porcin est classiquement rencontrée en élevage. Elle est caractérisée par : 

- des animaux en hyperthermie (> 40,5 °C), présentant une tachypnée, une baisse d’activité et de consommation alimentaire ;

- une atteinte respiratoire chez les animaux, incluant de la toux, des éternuements et une dyspnée ;

- d’éventuels d’avortements ou de baisses de performances de reproduction dans le troupeau de truies.

Un épisode de grippe sous forme épidémique est défini par une très forte morbidité (presque 100 % des animaux touchés), mais une faible mortalité (< 1%). La propagation dans l’élevage est importante, avec un taux de reproduction expérimentale allant de 5,8 à 14,8, selon le statut immunitaire des porcelets en modèle expérimental1. En ce qui concerne la capacité de propagation dans l’air, une étude2 a relevé la présence de génome viral à 2,1 km d’un foyer.

La forme endémique, appelée aussi forme récurrente, est la seconde forme qui peut être retrouvée en élevage. Elle peut être identifiée grâce aux éléments suivants :

- les épisodes grippaux se répètent sur des bandes successives ;

- les âges critiques sont le post-sevrage, de 5 à 8 semaines d’âge, ainsi que l’engraissement, entre 15 et 20 semaines d’âge ;

- les signes cliniques sont les mêmes qu’en cas de grippe épidémique, mais moins d’individus sont atteints simultanément ;

- des problèmes de reproduction : avortements, retours en chaleur.

Les anticorps maternels n’empêchent ni l’infection ni l’excrétion, voire la symptomatologie.

La RT-PCR, un examen de première intention

Sur le plan lésionnel macroscopique, il n’y a pas de signe pathognomonique. Les poumons peuvent présenter une pneumonie « en damier », avec des zones bien démarquées, plus fermes et violacées, et un œdème interlobulaire. Un exsudat fibrineux teinté de sang peut être retrouvé dans les voies respiratoires. D’autres lésions peuvent être le fait d’agents pathogènes opportunistes.

À l’histologie, une nécrose de l’épithélium pulmonaire est observable, ainsi qu’une obstruction des voies respiratoires par des cellules épithéliales nécrosées ou par des cellules inflammatoires, telles que des neutrophiles. Une immunohistochimie est envisageable.

L’usage des outils diagnostics de laboratoire doit être raisonné, en fonction du moment de l’intervention en élevage par rapport à l’épisode clinique.

Le diagnostic virologique est l’examen de première intention en cas de suspicion. Le virus étant présent dans la sphère oro-nasale de 24 heures postinfection à 7 jours environ, il faudra, en cas de visite en élevage durant la phase clinique, effectuer les prélèvements sur des animaux qui présentent, si possible, une hyperthermie franche (> 40,5 °C) dans les 24 à 72 heures suivant le début de l’infection. Des écouvillons nasaux de type Virocult (qui seront éventuellement stockés à + 4 °C en attendant d’être envoyés au laboratoire) seront utilisés pour prélever les échantillons. Dans un premier temps, une RT-qPCR (quantitative reverse transcription polymerase chain reaction) ciblant le gène M est réalisée. Si le virus est détecté (haute spécificité et sensibilité), alors une identification à l’aide de plusieurs RT-qPCR visant les gènes HA et NA permettra de définir le sous-type de la souche (H et N).

Il est également possible de procéder à un sous-typage antigénique, voire à un séquençage de la souche pour caractériser précisément le génotype du virus (identification des 6 gènes internes en plus des gènes HA et NA). Seul le génotypage peut mettre en évidence des réassortants qui impliquent des gènes internes et découvrir l’origine de la souche virale.

Le test sérologique est une autre analyse possible pour établir le diagnostic, avec certaines limites, ainsi que pour surveiller le statut des troupeaux. Concernant le diagnostic, il faudra procéder à 2 prélèvements sanguins, l’un durant la phase clinique et l’autre 3 semaines après, afin d’évaluer la cinétique du taux d’anticorps. Une séroconversion sera visible si les animaux ont été exposés au virus grippal. Au sujet du statut des troupeaux, un test Elisa (enzyme-linked immunosorbent assay), anti-NP ou anti-M3, en première intention permet de valider la présence d’anticorps dirigés contre des virus influenza. En cas de positivité, la détermination du sous-type viral repose sur un test d’inhibition de l’hémagglutination (IHA) avec différentes valences antigéniques. Attention : il existe des réactions antigéniques croisées entre certains virus grippaux et les anticorps maternels ou vaccinaux. De plus, le diagnostic sérologique ne sera possible que si l’on dispose d’antigènes de référence représentatifs des virus influenza en circulation.

À noter que l’atteinte étant limitée au tractus respiratoire, il n’y a pas de virémie.

Des virus avec des capacités de réassortiment viral

Les virus influenza font partie de la famille des Orthomyxoviridae, qui regroupent des virus enveloppés à ARN simple brin. On distingue 4 types : A, B, C, D. Chez le porc, le virus influenza de type A est classiquement mis en évidence sur le terrain, même s’il existe quelques cas d’infection par des virus de type C et D.

L’ARN des virus influenza est segmenté (en 8 segments pour ceux de type A). Cette particularité fait que deux virus présents dans un même hôte peuvent échanger des fragments de matériel génétique, ce qui aboutit à des virus réassortants1.

Chaque segment d’ARN code pour une, voire pour plusieurs protéines. Parmi celles-ci, les glycoprotéines de surface hémagglutinine (HA - 80 % des glycoprotéines de surface) et neuraminidase (NA) sont deux antigènes majeurs des virus influenza. La nomenclature du virus découle directement de la séquence nucléotidique virale codant pour l’hémagglutinine (18 différentes) et pour la neuraminidase (10 différentes), ce qui permet de caractériser un sous-type viral (H3N2, H1N2, etc.). Peuvent s’ajouter à cela l’espèce d’origine sur laquelle a été retrouvé le virus en premier lieu, l’année et le lieu de découverte du virus, et le numéro de la souche virale donné par le laboratoire qui l’a isolée. Un même sous-type peut comporter plusieurs génotypes. Depuis les années 2010, on observe une diversité génétique croissante des souches virales détectées en France.

1. Outre le réassortiment viral, les virus influenza peuvent évoluer via l’accumulation de modifications génétiques lors de la réplication virale (mutation, délétion, insertion). En humaine, ce phénomène implique d’adapter chaque année le vaccin antigrippal aux souches virales circulantes.

Une problématique One Health

Les virus influenza de type A ont une capacité de transmission interespèces. Les 4 principaux lignages européens porcins enzootiques (H1avN1, H3N2, H1huN2 et H1N1pdm) ont tous émergé à la faveur d’une telle transmission, en association avec des phénomènes de réassortiment viral, grâce auxquels des gènes d’origine aviaire ou humaine ont été incorporés.

Cette capacité de transmission interespèces est liée au fait que les humains, les oiseaux et les porcs partagent des récepteurs trachéaux aux virus de type A (avec certaines différences). Le porc possède à la fois des récepteurs viraux proches de ceux des oiseaux, et des récepteurs proches de ceux des humains, faisant de lui un hôte idéal pour l’émergence de réassortants multiespèces. Tous les virus porcins, qu’ils soient enzootiques ou sporadiques, doivent être considérés comme étant à potentiel zoonotique.

  • 1. bit.ly/3Pbv3GI.
  • 2. bit.ly/3RzR9UW.
  • 3. Les gènes NP et M sont les segments génomiques les plus conservés chez les virus influenza A.
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