Un nouveau plan d’action européen contre le commerce illégal des animaux de compagnie - La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022

Trafic

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Caroline Driot

L’Union européenne a lancé en juillet 2022 un programme de lutte coordonnée contre le commerce illégal d’animaux de compagnie. Cette stratégie repose sur une coopération accrue entre les États membres, afin de protéger le bien-être animal et la santé publique et de combattre l’évasion fiscale liée à ce trafic lucratif.

La Commission européenne (CE) a lancé, en juillet 2022, un plan de lutte contre le commerce illégal des animaux de compagnie. Pour Franck Verger, technicien à la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (voir encadré), cette action va dans le bon sens : « Elle met l’accent sur la coordination et la coopération entre les autorités compétentes des différents États membres. Il y a quelques années, certains pays traînaient la patte, mais la CE a réussi à impulser une bonne dynamique. On sent aujourd’hui une véritable motivation à lutter contre ce trafic à l’échelle européenne. »

Une bonne nouvelle donc, compte tenu de l’envergure du phénomène et ses enjeux. Porté par une demande croissante et par l’intensification des ventes en ligne, le commerce illégal des animaux de compagnie a explosé ces dernières années, particulièrement depuis la pandémie de Covid-19. Pour la seule espèce canine, la demande sur le marché européen est estimée à 8 millions de chiots chaque année. Un chiffre que le commerce légal ne suffit pas à combler, et qui offre des débouchés pour les animaux issus d’élevages non déclarés, situés dans certains États membres ou dans des pays tiers (notamment la Russie, la Biélorussie et la Serbie), et transportés illégalement dans l’Union européenne (UE).

Ventes en ligne

Internet et ses plateformes de vente en ligne favorisent la mise en relation des trafiquants avec des clients attirés par la perspective d’acquérir un animal prétendument identifié, vacciné, et potentiellement livré à domicile. Selon les organisations non gouvernementales (ONG) de défense animale, 2,4 millions de chiots seraient échangés en Europe chaque année par ce biais. Dès 2016, la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen appelait la CE à se saisir du dossier. En 2019, un plan d’action européen sur les ventes en ligne de carnivores domestiques avait mis en évidence les difficultés liées au contrôle de ces transactions. « Ce travail a permis de dresser un état des lieux de la situation mais, au-delà du constat, s’est posée la question de ce qu’il fallait faire, explique Franck Verger. En se focalisant sur l’étape de vente, on intervient trop tard : les animaux sont déjà arrivés chez l’acheteur. La CE en a pris conscience, et le programme lancé cette année est tourné vers des actions sur le terrain, en amont. »

Coordination

La nouvelle stratégie de lutte contre le trafic des animaux de compagnie a pour but d’améliorer la détection des irrégularités et des falsifications de documents officiels, d’identifier les mouvements commerciaux illégaux déguisés en mouvements non commerciaux et de dissuader les fraudeurs. Elle repose sur la multiplication des contrôles, aux frontières et au sein de l’UE, et sur le renforcement de la coopération entre les pays européens. Cette action bénéficie également des renseignements fournis par des ONG, qui scrutent les annonces de vente d’animaux sur Internet. Au centre du dispositif, le réseau Agri-food fraud de la CE assure la coordination.

« En cas de suspicion sur un transporteur ou sur des certificats sanitaires, par exemple, je le notifie, via le réseau Agri-food fraud, au pays de provenance pour qu’il vérifie dans sa base de données nationale, détaille Franck Verger. La CE s’assure que chaque État membre réagisse dans les délais impartis. Elle a aussi accès à tous les signalements faits à l’échelle européenne, contrairement aux pays, qui n’ont accès qu’à ceux qui les concernent. Cela lui permet d’avoir une vue d’ensemble et de croiser les données. »

Crime organisé

La CE transmet les informations et coordonne les actions envisageables en concertation avec les États intéressés. Les dossiers sont remis à la justice dans chaque pays et, selon les cas, aux services de police participant à la coopération European Multidisiplinary Platform Against Criminal Threats-EnviCrimeNet, qui lutte contre le crime organisé au niveau européen, et qui a été associée au projet. Un appui crucial pour remonter ces filières complexes, impliquant de nombreux intermédiaires (transporteurs, pourvoyeurs de faux documents), et basées dans différents pays.

En pratique, le plan européen de lutte contre le commerce illégal des animaux de compagnie s’étend jusqu’à début 2023. Et après ? « Cette action vise à établir des contacts et une coopération européenne sur ce sujet, estime Franck Verger. C’est une première phase de travail intensif, pour échanger des informations, orienter les enquêtes, déterminer les points forts et ceux qui peuvent être améliorés. Elle est limitée dans le temps mais, grâce à la dynamique enclenchée, la lutte continuera. »

Atteinte au bien-être et à la santé animale, menace pour la santé publique et évasion fiscale

Derrière les photos attendrissantes, les animaux issus du commerce illégal sont souvent élevés dans des conditions qui portent atteinte à leur bien-être et à leur santé. Sevrés trop tôt, transportés sur de longues distances, parfois sans eau ni nourriture, certains meurent à peine arrivés à destination. Les survivants sont, quant à eux, prédisposés aux troubles sanitaires et comportementaux. D’un point de vue administratif, ces animaux voyagent accompagnés de documents falsifiés : passeports, certificats de bonne santé, titrages en anticorps antirabiques.

Outre le non-respect du bien-être et de la santé animale, l’importation illégale d’animaux potentiellement porteurs d’agents pathogènes zoonotiques (rage, leptospirose, échinococcose, brucellose) constitue une menace pour la santé publique. Les acheteurs subissent les conséquences économiques et émotionnelles d’une transaction frauduleuse, et donc sans recours possible. En bout de chaîne, les refuges qui accueillent certains de ces animaux à problèmes sont également affectés humainement et financièrement.

En ce qui concerne l’aspect économique, ce trafic génère des distorsions de concurrence vis-à-vis des éleveurs professionnels, soumis à des obligations sanitaires, administratives et fiscales. Un chiot acheté 30 € dans un élevage non déclaré peut ainsi être revendu jusqu’à 1 000 € à l’acheteur final. Un gain net pour les trafiquants, et des millions, voire des milliards d’euros de recettes fiscales en moins pour l’Union européenne.

La Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires

La Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) est l’unité d’investigation de la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Elle intervient sur l’ensemble du territoire pour lutter contre la délinquance organisée dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, de la santé et de la protection des animaux et des végétaux, des médicaments vétérinaires et des produits phytopharmaceutiques interdits ou falsifiés. Pour les enquêteurs de la BNEVP, les suspicions de trafic illégal d’animaux de compagnie émanent en premier lieu des données d’I-Cad, le fichier national d’identification des chiens, des chats et des furets. Le système enregistre l’ensemble des anomalies d’identification signalées par les vétérinaires, dont les directions départementales de la protection des populations sont également destinataires. À l’initiative des investigations, la BNEVP travaille ensuite en étroite collaboration avec les différentes institutions impliquées (forces de police, douanes, magistrats).

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