Indépendance professionnelle : mais de quoi parle-t-on ? - La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022

COMMUNAUTE VETO

Auteur(s) : Guillaume SarceyDocteur vétérinaire (L 90), directeur de la clinique Saint-Roch à Gap, dans les Hautes-Alpes (réseau IVC-Evidensia)

Notre profession vit actuellement de profonds bouleversements. Le regard que nous portent nos clients et la société se modifie. Notre propre vision de nous-mêmes se transforme. Les jeunes générations n’hésitent pas à remettre en question le modèle du vétérinaire qui consacre son existence à la pratique en oubliant parfois de vivre. Les difficultés d’embauche, la dureté des gardes, l’exigence de certains clients, la lourdeur des engagements financiers liés à des structures toujours plus grandes et plus performantes imposent également aux vétérinaires plus âgés de prendre du recul et de s’interroger sur leurs modalités d’exercice.

Face à ces défis, beaucoup d’entre nous, et j’en fais partie, ont choisi d’intégrer un réseau de cliniques. Mais nos instances ordinales estiment que certains montages financiers induisent une perte d’indépendance professionnelle. Plusieurs cliniques et centre hospitalier ont été radiés du tableau de l’Ordre. Au-delà des aspects juridiques, il me paraît important de réfléchir sur la notion d’indépendance, à l’aune de l’évolution de notre profession au XXIe siècle.

L’indépendance financière de nos structures est relative. Nous engageons nos sociétés d’exercice dans des partenariats qui sont en réalité des contrats financiers. Nous achetons du matériel en leasing à des entreprises. Les loyers sont couverts par la facturation de nos actes. Nous signons des contrats de prêt avec les banques, afin d’investir dans nos structures. Le remboursement des mensualités exige une certaine rentabilité, attendue par nos partenaires financiers. Nous nous engageons auprès des laboratoires pharmaceutiques sur des volumes d’achat, qui nous permettent en retour d’obtenir des remises arrières. Tous ces liens commerciaux sont autorisés. Ils ne sont pas jugés comme remettant en cause notre indépendance professionnelle. De la même façon, les collaborateurs libéraux et les salariés vétérinaires exercent dans le cadre de contrats de travail. Pour autant, leur indépendance de prescription n’est pas remise en cause, et ce, à juste titre.

Dans une profession de soins comme la nôtre, l’indépendance professionnelle ne se définit donc pas comme une indépendance financière, mais bien comme une indépendance morale. Car il importe de distinguer ce qui nous lie contractuellement et ce qui nous oblige dans nos pratiques. En d’autres termes, un lien financier ne constitue pas un encadrement de notre exercice, puisque nos décisions médicales ne sont pas motivées par des considérations de rentabilité. Nous sommes des scientifiques qui faisons des choix dans le cadre d’une réflexion éthique, en tenant compte des possibilités économiques de nos clients. Ainsi, l’entrée de groupes nationaux ou internationaux dans nos sociétés d’exercice ne modifie pas fondamentalement nos pratiques, quelle que soit la hauteur de leurs participations. Car le contrat de soins prévaut lorsqu’il s’agit de la santé et du bien-être des animaux qui nous sont confiés. Le serment que nous avons prononcé, à nous-mêmes ou face à nos pairs, lorsque nous avons rejoint notre profession est le véritable garant de notre probité. Il nous engage bien au-delà des lois et des réglementations. Il nous renvoie à l’image que nous avons de nous, à notre démarche éthique personnelle, au sens que nous donnons à notre exercice.

S’il existe des cas isolés de pratiques frauduleuses ou de malversations financières dans notre profession, ils ne sont pas liés au statut juridique de nos structures, mais à des personnes en perte de repères, qui ont laissé en chemin leur motivation première, leur volonté de soigner, de faire le bien pour les animaux, les hommes et la société.

Ainsi, il s’agit de distinguer notre indépendance financière, qui est relative à l’échelle de la société, et notre indépendance morale, valeur fondamentale de notre exercice, sur laquelle nous ne transigeons pas. Nul doute que les vétérinaires praticiens sauront défendre ce principe fondamental à l’avenir, dans une profession en grande mutation.

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