Élevage laitier : état des lieux de l’utilisation des antibiotiques et de l’antibiorésistance  - La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022

Santé de la mamelle

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Dans un contexte de réduction de la consommation d’antibiotiques en élevage, Guillaume Lequeux (N 05), chef du service anatomie pathologique et microbiologie vétérinaire chez Labocéa, dresse le bilan du recours actuel aux antibiotiques en élevage, de l’antibiorésistance et des mesures à poursuivre.

« L’antibiorésistance est encore et toujours d’actualité », a déclaré le vétérinaire Guillaume Lequeux, chef du service anatomie pathologique et microbiologie vétérinaire chez Labocéa, en Ille-et-Vilaine, en introduction de son intervention sur l’utilisation des antibiotiques contre les mammites en élevages bovins laitiers. Il a livré sa conférence à l’occasion du symposium Au Cœur du lait, organisé par MSD Santé animale le 20 septembre dernier, à Pacé (Ille-et-Vilaine), qui portait sur la rationalisation et la traçabilité de l’usage des antibiotiques en santé mammaire. En effet, en Europe, en 2015, on dénombrait encore 670 000 infections dues à des bactéries résistantes et, à ce jour, l’antibiorésistance représente la troisième cause mondiale de mortalité humaine (1,3 million de décès directs en 20191).

Une réduction significative de la consommation d’antibiotiques

Depuis quelques années, de nombreux dispositifs, qu’ils soient incitatifs, réglementaires2 (décrets) ou propres à certaines filières, ont été mis en place pour limiter la consommation d’antibiotiques en élevage. De plus, une surveillance active des résistances des bactéries commensales à l’abattoir chez les animaux sains, est menée dans toute l’Union européenne par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. En France, un outil complémentaire de surveillance passive, le réseau de surveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes isolées (Résapath), est couplé à un suivi des ventes d’antibiotiques par l’Agence nationale du médicament vétérinaire3. À cet égard, l’« élevage bovin fait partie des “bons élèves” parmi les différentes productions animales, avec un niveau stable d’utilisation des antibiotiques depuis 2008 et, depuis 2016, une réduction de l’usage de ceux de troisième génération (céphalosporines et fluoroquinolones) », a ajouté Guillaume Lequeux. Les antibiotiques utilisés en élevage sont, pour 70 % d’entre eux, destinés à traiter les mammites (lactation et tarissement). En 2020, ils étaient administrés en élevage bovin laitier à raison de 1,3 traitement intramammaire par vache. Cet indicateur, qui fluctue d’une année sur l’autre, a diminué de 25 % depuis dix ans, selon le conférencier.

Des données d’antibiorésistance globalement rassurantes

Toutefois, « ces tendances lourdes de baisse du recours aux antibiotiques sont-elles corrélées à une résistance moindre des germes ? », s’est interrogé Guillaume Lequeux. Les données révèlent qu’à l’échelle mondiale, il n’y a pas de propension à la diffusion ou à l’émergence d’antibiorésistance pour les bactéries à l’origine d’infections mammaires. D’après lui, « on constate globalement moins de 3 à 5 % de résistances vis-à-vis des différents antibiotiques avec, en revanche, 20 à 25 % de résistance des Staphyloccocus aureus (staphylocoque doré) à la pénicilline et 1,6 % à la méticilline ». En ce qui concerne les Streptococcus uberis, leur résistance aux tétracyclines tend à augmenter depuis une décennie, même si elle reste faible (5 à 10 % maximum). Par ailleurs, les chercheurs ont mis en évidence l’émergence de populations de cette bactérie qui présentaient une sensibilité diminuée à la pénicilline. Même s’il faut rester vigilant sur quelques points, comme les Staphylococcus epidermidis multirésistants en santé humaine, la tendance est donc plutôt rassurante, a assuré le conférencier.

Progresser dans l’usage raisonné des antibiotiques

« Est-ce qu’une limitation de l’usage des antibiotiques peut réduire la proportion de germes résistants retrouvés dans les mammites ainsi que dans les microbiotes commensaux digestifs et nasopharyngés ? », s’est demandé le conférencier. Dans une synthèse4, Dominique Bergonier rapporte que l’usage d’antibiotique par voie parentérale permet de diminuer le risque d’apparition de la résistance dans la flore commensale et des bactéries du foyer infectieux mammaire. Chez les veaux et les génisses, il semblerait que la distribution du lait de vache contenant des antibiotiques ait un effet majeur sur la résistance du microbiote commensal digestif et nasal, d’où l’importance de restreindre l’usage d’antibiotiques, a insisté Guillaume Lequeux. En outre, selon une publication5 de l’Office fédéral de l’agriculture suisse, cette restriction contribue à diminuer l’émergence de résistances dans l’environnement et chez l’humain (denrées alimentaires, contacts directs homme-animal, déjections animales). Certaines pratiques peuvent être mises en place pour progresser dans l’usage raisonné des antibiotiques, d’après le conférencier. Il s’agit de cibler les traitements : « Par analogie avec l’impact d’une bombe, une action précise et guidée sera aussi efficace, mais coûtera moins cher et ne provoquera pas d’effets collatéraux. C’est pourquoi un antibiotique ciblé – déterminé par bactériologie, diagnostic, analyse des données d’élevage (cellules, épidémiologie, etc.)  sera plus intéressant qu’un à large spectre ou qu’une antibiothérapie “en aveugle” », selon le conférencier. En témoignent les résultats d’une étude, qui montrent qu’avec un traitement ciblé, il est possible de réduire de 25 % le recours aux antibiotiques après établissement de diagnostics bactériologiques sur le lait6, même si, comme l’a rappelé Guillaume Lequeux, les situations sont variables. En cas de mammites cliniques sans signes généraux, un arbre décisionnel7 peut d’ailleurs être suivi.

Adopter des stratégies de traitement sélectif

Une autre étude, conduite en France, révèle que 750 000 vaches par an pourraient, grâce à un ciblage, être dispensées du traitement antibiotique au tarissement8. Celui-ci ne serait alors appliqué qu’aux vaches pour lesquelles ils présentent un intérêt ou ayant des facteurs de risque. La stratégie de traitement sélectif au tarissement qui peut être suivie consiste, pour une vache considérée comme saine (concentration cellulaire individuelle < seuil choisi, absence de mammite récente et d’environnement à risque), à ne pas administrer d’antibiotiques, mais seulement à placer un obturateur. En 2013, au Pays-Bas, une interdiction des traitements systématiques au tarissement a été instaurée, sans impact sur la qualité cellulaire du lait de tank du pays. Enfin, ce ciblage va dans le sens du règlement européen9, selon lequel les antibiotiques ne devraient être utilisés en prophylaxie que dans des cas exceptionnels et uniquement pour un animal donné. De nombreuses preuves montrent d’ailleurs que seul un traitement sélectif peut être intéressant pour diminuer de moitié le recours aux antibiotiques. Comme a conclu Guillaume Lequeux, « de nombreux progrès ont déjà été accomplis dans les usages des antibiotiques en élevage laitier, mais de multiples voies d’amélioration existent, comme le traitement sélectif au tarissement. Il s’agit d’une démarche encore volontaire, qui pourrait rapidement s’imposer aux éleveurs ».

  • 1. Antimicrobial Resistance Collaborators. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. Lancet. 2022;399:629-55.
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  • 5. bit.ly/3V2QDPU.
  • 6. Pol M., Ruegg P.L. Treatment practices and quantification of antimicrobial drug usage in conventional and organic dairy farms in Wisconsin. J Dairy Sci. 2007;90(1):249-61.
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  • 8. bit.ly/3TZ2AWd.
  • 9. bit.ly/3UDgdeC.
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