Changement climatique : comment s’engager pour une clinique écoresponsable ? - La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1967 du 25/11/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Par Fabrice JaffréFabrice Jaffré

La planète se réchauffe. En cause, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Pour les réduire, des efforts à la fois collectifs et individuels sont nécessaires. À l’échelle d’une clinique vétérinaire, quelles actions peuvent être engagées et par où commencer ?

Les vétérinaires n’ont pas attendu les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pour entreprendre des démarches écoresponsables. La gestion des déchets de soins et l’utilisation raisonnée des antibiotiques et des antiparasitaires ont très rapidement fait écho dans la profession. Malgré tout, il semble qu’elle ait en partie regardé passer le « train carbone », en tout cas par rapport aux professionnels de santé humaine. Absence de formation spécifique, incertitude sur la méthode à suivre et sur les coûts, interrogations sur l’efficacité des mesures : les motifs pour hésiter à se lancer dans cet énième chantier ne manquent pas. C’est l’un des intérêts du calcul de l’empreinte carbone que de pouvoir identifier les principaux postes d’émission de gaz à effet de serre (GES) de la clinique et d’agir en conséquence. Sans bilan chiffré, les écogestes n’en restent pas moins efficaces, qu’ils soient intuitifs ou inspirés par des associations, comme Éco Véto. Quelles mesures peut adopter un vétérinaire pour contribuer à limiter le réchauffement climatique à 2 °C (par rapport à sa température à l’ère préindustrielle1) ?

Identifier les sources d’émissions

Le secteur de la santé représenterait 6 à 8 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2) en France2. À ce jour, Il n’existe pas de données concernant les structures vétérinaires. Cela n’empêche pas de lister les postes d’émissions et, si possible, de les mesurer.

Pour une clinique, les émissions de CO2 les plus évidentes sont liées à la consommation de fuel ou de gaz pour le chauffage, ou à la combustion de carburant pour effectuer les visites à domicile. L’utilisation de la gazeuse peut entraîner des fuites d’isoflurane, gaz dont le potentiel de réchauffement global est 510 fois3 plus élevé que le CO2. Cela peut arriver s’il y a un défaut d’étanchéité (par exemple si le ballonnet de la sonde endotrachéale est sous-gonflé), si l’extubation a lieu trop tôt, en cas de fausse manipulation, etc. Des fuites de gaz frigorigènes sont également possibles avec les réfrigérateurs, les congélateurs, la climatisation ou la pompe à chaleur. Ces émissions directes sont classées dans le scope 1 (périmètre 1) d’un bilan de gaz à effet de serre réglementaire, qui en compte 3 (un nouveau découpage en 6 scopes sera bientôt proposé). Le scope 2 correspond principalement à la consommation d’électricité au sein de la clinique, que ce soit pour l’éclairage ou pour les différents appareils électriques. En France, l’électricité provient de sources variées : le nucléaire, l’hydraulique, l’éolien, le charbon, etc. Derrière cette dépense énergétique se cachent donc des émissions indirectes de gaz à effet de serre, CO2 et méthane (CH4), entre autres. Mais ce n’est que la face cachée de l’iceberg. Le scope 3, qui n’est pas obligatoire à l’heure actuelle dans les bilans réglementaires, représente pourtant environ 70 % des émissions totales d’une entreprise. Il rassemble les émissions indirectes hors énergie, à la fois en amont (achats de médicaments, d’aliments et de matériel, véhicules professionnels, déplacements, investissements, immobilisations, etc.) et en aval (déchets de la clinique, usage direct des produits achetés, utilisation par les clients des produits vendus, etc.).

Le bilan carbone doit inclure l’ensemble des activités liées à la clinique. Pour le poste des déplacements, outre les visites à domicile, il faudra donc compter le trajet domicile-clinique des membres de l’équipe, mais aussi celui des fournisseurs et des délégués vétérinaires à la clinique et, théoriquement, celui des clients quand ils viennent en consultation. Un raisonnement identique s’applique aux déchets : les déchets directs (compresses, déchets d’activités de soins à risques infectieux, essuie-tout, champs de table, gants, tubulures de perfusion, déchets anatomiques, etc.) sont bien évidemment comptabilisés, ainsi que ceux des produits vendus (les sacs des paquets de croquettes ou les blisters des médicaments, par exemple).

Première étape : mesurer son empreinte carbone

La cacul de l’empreinte carbone a l’avantage de mettre en exergue les postes d’émission les plus importants, afin de hiérarchiser les actions prioritaires. Même si chaque kg de CO2 évité compte, autant concentrer ses efforts sur les postes à haute émission. Le fait de disposer d’une valeur chiffrée permet de définir des objectifs et de motiver les équipes.

Les émissions des différents GES sont exprimées en CO2e (équivalent CO2), qui regroupe sous une seule valeur l’effet additionné de tous ces gaz. Sur le site de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), des guides sectoriels sont à disposition pour trouver les facteurs d’émission4, grâce auxquels on peut convertir un produit, une consommation ou une dépense en son équivalent CO2. Par exemple, un ordinateur portable avec un écran 15 pouces correspond à 392 kg CO2e ; une seringue à 89,1 g CO2e ; un gant en vinyle à 4,48 g CO2e, un courriel sans pièce jointe à 4 g de CO2e, etc. Des équivalences sont également proposées : 1 kWh vaut 25 g CO2e, 1 litre d’essence 3 kg CO2e. Par souci de simplification, certaines émissions sont calculées en fonction du prix d’achat, par exemple 54 g CO2e par euro de médicaments achetés, ou 315 g CO2e par euro de matériel médical acheté. Mais l’incertitude est alors élevée (voir l’encadré avec Floriane Lanord).

Obtenir une valeur relativement précise des émissions d’une clinique représente donc d’une tâche fastidieuse. Même s’il est réalisable par un membre de l’équipe (formé spécifiquement), le travail de recueil et de calcul sera généralement confié à un prestataire spécialisé en bilan carbone, du secteur de la santé dans l’idéal, comme Ecops Conseil5 ou Primum non nocere6, et coûtera entre 900 et 1 500 €. Une estimation grossière peut également être effectuée gratuitement par des calculateurs en ligne7. Un projet de grille de calcul spécialement adaptée à une clinique vétérinaire est à l’étude par l’association Éco Véto. Elle permettrait à chacun de mesurer l’empreinte carbone de sa structure, à partir de données bien connues, comme l’équipement, la consommation électrique, la surface des locaux, les achats, etc.

La connaissance du bilan chiffré a des avantages certains. Les ordres de grandeur déterminés par poste d’émission vont servir à la fois à hiérarchiser les actions à entreprendre et à mesurer le succès de celles-ci dans le temps.

Malgré tout, il est possible de s’affranchir de cette étape, et d’appliquer certains écogestes sans aucune valeur d’émission, avec du bon sens et quelques principes simples. Et ce d’autant plus qu’une clinique vétérinaire n’a pas d’obligation réglementaire de réaliser un bilan de ses émissions de GES.

Mettre en œuvre son projet d’amélioration 

Que l’on dispose ou pas du bilan carbone, les étapes de son projet d’amélioration sont similaires, à commencer par le choix d’un pilote qui sera chargé du suivi, bien que toute l’équipe sera impliquée dans la définition des objectifs. La deuxième étape consiste à établir un état des lieux : c’est-à-dire calculer de l’empreinte carbone. En son absence, on part des données disponibles, comme la consommation électrique, de carburant, la quantité de consommables achetés, le poids des déchets à la fin de la journée, etc. « On compte classiquement entre 50 et 100 g de déchets par consultation », indique Mannaïg de Kersauson (Liège 06), cofondatrice de OCO, un intermédiaire en financement participatif pour compenser son empreinte carbone. Un diagnostic de performance énergétique (DPE), facturé entre 100 et 250 € TTC, pourra confirmer les bénéfices de travaux d’isolation thermique.

Dans l’étape suivante sont définis des objectifs collectifs, si possible chiffrés. Pour les prioriser, on se base sur leur impact environnemental, leur coût (ou les économies réalisées) et leur facilité de mise en œuvre. Débrancher physiquement l’imprimante laser chaque soir ne représente qu’environ 40 kWh d’économie par an, soit à peu près 2 kg CO2e annuels, mais cette action est simple à appliquer. À l’inverse, agir sur le déplacement des clients semble hors de portée. Il est toutefois envisageable de favoriser l’utilisation de vélos en leur réservant des emplacements dotés d’un système d’accroche sécurisée, inciter à l’achat de plusieurs semaines ou mois de traitement pour les maladies chroniques, ou développer la téléconsultation (notamment pour les suivis).

En général, les établissements de santé focalisent leur attention sur quatre chantiers : une politique d’achats écoresponsables (voir encadré), le développement des mobilités douces, l’optimisation des consommations d’énergie et la réduction de la production de déchets.

Les mêmes principes d’écoresponsabilité peuvent s’appliquer à la vente ou aux actes. L’écoprescription incite à trouver une alternative à la délivrance, ou sinon de choisir, entre deux médicaments à efficacité équivalente, celui qui a le plus faible impact sur l’environnement, et de délivrer l’exacte quantité nécessaire au traitement de l’animal. Une écoprescription, c’est aussi parfois ne pas prescrire, par exemple en privilégiant les actions préventives. Il est certes difficile d’imaginer que le praticien soit rétribué pour « non-prescription » qui n’émet pas de CO2. Mais il peut, pour un chat vivant en appartement, remplacer dans certains cas une dispensation de vermifuge par une coprologie, en expliquant la démarche au client. Enfin, il faut inciter le client à rapporter les médicaments non utilisés ou, au minimum, à ne pas les jeter dans l’évier ou dans les toilettes.

Une fois l’ensemble des objectifs déterminés, reste à les planifier. La baisse des émissions de la clinique s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue. À un rythme défini en amont, les objectifs devront être analysés afin d’être reconduits à l’identique, revus à la baisse ou augmentés, en tenant compte des changements intervenus dans l’établissement ou de nouvelles données chiffrées disponibles.

Une autre solution pour réduire l’empreinte carbone de son entreprise est d’investir dans des pratiques de compensation, comme planter ou en faire planter des arbres. Pourtant, c’est un peu comme acheter le droit d’émettre du CO2. Malgré tout, c’est une des actions possibles, et assez facile à mettre en œuvre (voir l’encadré avec Mannaïg de Kersauson).

Floriane Lanord (A 12)

Vétérinaire à Payns (Aube) et présidente de l’association Éco Véto

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Une réflexion profonde pour atteindre la neutralité carbone

Les facteurs d’émission pour les achats de médicaments sont très controversés, avec parfois une incertitude de facteur 100 ! Et c’est encore plus délicat de l’appliquer à une clinique vétérinaire étant donné les différences de prix entre les produits à destination des humains et ceux pour les animaux. On attend davantage de données de la part des industriels du secteur pour disposer de facteurs d’émissions plus précis. Au-delà de ce bilan chiffré, afin d’atteindre les objectifs ambitieux mais nécessaires de neutralité carbone, il faudra sans doute engager une réflexion bien plus profonde sur notre profession, tout comme sur nos modes de vie.

Mannaïg de Kersauson (Liège 06)

Vétérinaire à Neuvy (Allier), agricultrice, référente Omaa1 Auvergne Rhône-Alpes et titulaire d’un master biodiversité écologie environnement

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Opter pour la compensation carbone orientée sur l’agroécologie

L’offre de « compensation » de l’empreinte carbone en France est assez mince, ou alors uniquement orientée vers la plantation d’arbres forestiers. OCO, dont je suis la cofondatrice, s’inscrit dans une démarche légèrement différente : nous travaillons pour l’agriculture, afin qu’elle redevienne le puits de carbone qu’elle a été. Nous pouvons séquestrer à nouveau du CO2 en restaurant les sols agricoles, les haies bocagères et les arbres agroforestiers, avec un triple impact : social, économique et écologique. Le vétérinaire peut choisir le lieu de la compensation carbone et le type d’actions qui lui tient à cœur. Il a la possibilité de suivre l’avancement du projet, qui dure de 5 à 10 ans en moyenne.

Matthieu Weissenbacher (Liège 12)

Vétérinaire à Rumilly (Haute-Savoie)

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Agir sur plusieurs niveaux

Nous avons installé une pompe à chaleur pour le chauffage de la clinique. L’achat d’un utilitaire électrique (Peugeot e-Partner) est en cours, mais nous ne le prendrons a priori pas lors les gardes. Nous avons également entamé une réflexion sur les déchets, en remplaçant notamment les alèses par des serviettes lavables, et nous limitons l’utilisation du sèche-linge. Tous les collaborateurs sont incités à prendre le vélo. Nous avons organisé en mars dernier une soirée « prise de conscience », durant laquelle nous avons fait une Fresque du climat (un atelier collaboratif et pédagogique de 3 heures autour des enjeux liés au réchauffement climatique et de l’impact de nos modes de vie sur le climat).

La politique d’achat écoresponsable en pratique

Une politique d’achat écoresponsable s’appuie sur la règle des 5 R : réduire, réutiliser, reconditionner, recycler, repenser.

Réduire : autrement dit se passer de l’achat ou le restreindre. Par exemple, on peut diminuer le nombre d’alèses jetables utilisées en demandant au propriétaire d’apporter une serviette, qui remplira la même fonction et qui sera de plus imprégnée de son odeur, ou du moins de celle de la maison. « On économise environ 41 g CO2e pour chaque alèse jetable non achetée », précise Floriane Lanord, présidente de l’association Éco Véto. Pour un appareil qui ne sera pas souvent employé, on peut s’orienter vers une location ou un prêt gracieux. On peut également limiter le nombre de livraisons de médicaments par semaine, ou de baisser la consommation de papier en imprimant recto verso, en passant au format A5, etc.

Réutiliser : si on ne peut se passer de l’achat, il faut, si possible, choisir préférentiellement du matériel réutilisable à la place du jetable, par exemple des champs chirurgicaux lavables, sans concession sur les bonnes pratiques en matière d’hygiène bien sûr. L’usage unique est une des premières sources de déchets des établissements de santé.

Reconditionner : si la réutilisation n'’est pas possible, s’orienter alors vers le reconditionné. Des sites internet et des groupes Facebook réservés aux vétérinaires proposent de vendre ou de donner du matériel d’occasion1.

Recycler : s’il n’existe pas de reconditionné, on sera alors attentif lors de l’achat à sélectionner des produits les plus recyclables ou recyclés possible. Un vétérinaire consomme en moyenne 1,5 kg de papier (imprimante ou papier absorbant) par mois, dont seulement 45 % est d’origine recyclée, selon une enquête d’Éco Véto auprès de 11 cliniques.

Repenser : l’objectif est ici d’examiner l’ensemble des achats de la clinique à l’aune de la protection de l’environnement, en faisant participer chaque membre de l’équipe.

1. bit.ly/3XpnDEe et bit.ly/3XpnII2.

Cinq bonnes raisons pour devenir écoresponsable

Au-delà de la baisse d’émissions de CO2e, au moins cinq autres motifs peuvent motiver à s’investir dans une démarche écoresponsable :

- la mise en place d’actions écoresponsables s’accompagne souvent d’économies, d’énergie ou de consommables ;

- il est facile de valoriser cette démarche en affichant une charte d’engagement ou une liste des mesures prises dans la salle d’attente ou sur son site internet1. La perception est toujours positive, sauf si ce sont des « mesurettes », qui seront alors qualifiées par certains propriétaires de greenwashing, autrement dit d’image trompeuse d’écoresponsabilité ;

- les jeunes vétérinaires diplômés sont sensibilisés à l’impact de l’activité sur l’environnement. Ce sera un critère de choix d’une clinique pour plus de 62 %, selon une enquête d’Éco Véto auprès de 274 étudiants ;

- c’est un bon moyen d’anticiper les futures réglementations ;

- cela représente également un levier d’action pour donner du sens, pour remotiver certains salariés.

1. Voir par exemple bit.ly/3TO26BS.

Quelques exemples d’émissions de CO2 

1 courriel sans pièce jointe : 0,004 kg CO2e

1 paire de gants en vinyle : 0,0045 kg CO2e (estimation)

1 recherche sur Google : 0,006 kg CO2e

1 seringue : 0,089 kg CO2e (estimation)

100 km en TGV : 0,3 kg CO2e

1 bière : 0,67 kg CO2e

100 km en voiture à essence : 22 kg CO2e

1 smartphone : 26 kg CO2e

1 entrecôte grillée : 43 kg CO2e

1 ordinateur portable : 162 kg CO2e

1 aller-retour Paris-New York : 1517 kg CO2e

Source : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

  • 1. De 1850 à 1900.
  • 2. bit.ly/3Ek4ef3.
  • 3. bit.ly/3GrXn5O.
  • 4. Ratio entre la quantité de polluants atmosphériques ou de gaz à effet de serre émis par un bien, un service ou une activité et une quantité unitaire de celui ou de celle-ci.
  • 5. bit.ly/3GwbU0q.
  • 6. bit.ly/3EHMVpC.
  • 7. Par exemple : bit.ly/3Ebs7W8 ; bit.ly/3Eil3He ; bit.ly/3tMCgUd.
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