La police unique de la sécurité sanitaire de l’alimentation soulève de vives inquiétudes - La Semaine Vétérinaire n° 1966 du 18/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1966 du 18/11/2022

Santé publique vétérinaire

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Pour les inspecteurs de santé publique vétérinaire présents à la dernière assemblée générale de leur syndicat, la réforme en cours de l’organisation des contrôles sanitaires de l’alimentation pourrait aggraver leurs contraintes quotidiennes, et altérer les liens avec la DGCCRF.

Lors de la dernière assemblée générale (AG) du Syndicat national des inspecteurs de santé publique vétérinaire (SNISPV), qui s’est tenue les 13 et 14 octobre dernier à Bourges (Cher), force est de constater que l’insuffisance des effectifs consacrés aux missions de l’État reste toujours le maillon faible de l’organisation sanitaire. Cette année, de nouvelles inquiétudes liées à la réforme du fonctionnement de la sécurité sanitaire de l’alimentation ont émergé. Cette réforme correspond à la création d’une police sanitaire unique de l’alimentation avec la Direction générale de l’alimentation (DGAL) (ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire), qui devient la principale direction administrative chargée des questions sanitaires. Dans cette optique, toutes les missions relevant de ce domaine, qui étaient jusqu’alors portées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (ministère de l’Économie et des Finances), passent dans le giron de la DGAL. Cette décision avait été annoncée en mai 2022, à la suite des scandales alimentaires causés par les pizzas Buitoni contaminées aux Escherichia coli productrices de shigatoxines et par les chocolats Kinder contaminés aux salmonelles. Elle était toutefois en discussion depuis plus de deux ans au sein des ministères concernés.

Une réforme pour gagner en efficacité

Avec cette réforme, plusieurs objectifs sont visés, a souligné durant l’AG Stéphanie Flauto, cheffe du service du pilotage de la performance sanitaire et de l’international à la DGAL. Elle intervenait en tant que représentante de la directrice générale de l’alimentation, Maud Faipoux. « L’idée était d’abord de rendre l’organisation sanitaire plus lisible pour les citoyens, mais aussi pour les partenaires européens et les pays tiers. Il s’agissait également d’améliorer les relations avec la DGCCRF et de renforcer les contrôles. Dans ce cadre, nous visons une hausse de 10 % des contrôles hors remise directe, et un renforcement de ceux effectués en remise directe, mais sans objectifs chiffrés définis pour l’instant. »

Les missions sanitaires nouvellement attribuées à la DGAL correspondent au contrôle, au niveau de la fabrication, des produits végétaux et mixtes (avec une composante animale mineure) de l’alimentation animale et humaine, et des aliments spécialisés (lait infantile, par exemple), ainsi qu’au contrôle des produits au niveau de la distribution (restauration collective ou commerciale, grandes et moyennes surfaces, commerces de bouche).

Plus de contrôles avec moins d’agents

En pratique, ces nouvelles compétences seront assurées grâce à une redistribution des moyens humains entre administrations centrale et départementale : est visé un transfert de 60 équivalents temps plein (ETP) depuis la DGCCRF vers la DGAL. À cela s’ajoute le recrutement de 90 ETP supplémentaires, pour arriver à un effectif total de 150 ETP. Parmi ces agents, 127 exerceraient dans les services déconcentrés. Toutes les personnes recrutées auront des profils de techniciens.

Par ailleurs, les inspections menées dans les établissements de remise directe, ainsi que les prélèvements des plans de contrôle, seraient délégués.

Côté calendrier, la réforme serait appliquée progressivement pendant l’année 2023.

Le problème est que la théorie se heurte à la réalité du terrain. Les ISPV sont globalement tous en phase avec le principe que les missions de sécurité sanitaire soient regroupées au sein d’une même entité administrative pour améliorer l’efficacité sanitaire. Mais la mise en œuvre de la réforme, telle que menée actuellement, soulève des grandes inquiétudes.

La première concerne les effectifs. En effet, un rapport interinspections générales de 2019 avait estimé que la réussite de ce transfert nécessitait 245 ETP, et non 150, sans prendre en compte l’objectif d’augmentation de 10 % des contrôles, ni le travail administratif supplémentaire lié aux certificats d’exportation (55 000 par an). En outre, les auteurs montraient que le maintien des fréquences d’inspection sanitaire reposait également sur la délégation d’une partie des plans de surveillance et de contrôle ainsi que sur une expérimentation de la délégation pour les contrôles de remises directes.

« À moins de 300 ETP, nous ne serons pas capables de remplir les objectifs fixés par le bleu de Matignon. Nous avons porté ce message au ministre », ont indiqué les administrateurs du syndicat lors de l’AG. Ce constat de manque d’effectifs est partagé par toute l’assemblée. Stéphanie Flauto a essayé de rassurer en rappelant l’existence d’une clause de revoyure ; en clair, le ministère de chargé de l’agriculture pourra prétendre à des embauches supplémentaires s’il est montré que les moyens attribués en première intention n’ont finalement pas été suffisants.

Des difficultés de recrutement attendues

Dans l’assemblée, des ISPV ont signalé de possibles difficultés de recrutement d’agents contractuels B dans les directions départementales (DD), étant donné qu’ils vivent déjà cette situation au quotidien. L’annonce d’une revalorisation de la rémunération de base, dorénavant 18 % au-dessus du Smic, pourrait toutefois aider. Certains ISPV craignent par ailleurs que la DGCCRF entrave le transfert de ses agents, quand d’autres ont évoqué que, dans leur département, plusieurs agents des fraudes avaient manifesté leur souhait d’être transférés vers la DGAL, mais « j’étais bien incapable de leur donner des informations sur les modalités de transfert, leurs perspectives d’évolution, leurs retours possibles à la DGCCRF. Les agents qui accepteraient un transfert, tout comme ceux qui resteront, ne savent pas ce qui les attend », a confié une cheffe de service départemental. « Notre organisation permettait de mobiliser des agents de la DGAL et de la DGCCRF en cas d’urgence sanitaire. Mais, avec la réforme, nos capacités d’intervention seront forcément réduites pour les crises futures », a souligné un autre inspecteur.

La compétence des agents nouvellement recrutés est également source d’inquiétude. Dans les services déconcentrés, sur les 127 ETP visés, il y aurait 20 transférés, 27 nouveaux agents passés par la voie des concours de la fonction publique (interne et externe, catégorie B), et donc par une formation d’un an, et 80 contractuels. Ces derniers ne recevraient qu’une formation de cinq mois. Pour rappel, à la DGCCRF, les contrôles sanitaires étaient effectués par des agents de catégorie A (titulaires d’un diplôme bac + 3 complété de deux ans d’études à l’École nationale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). « Au sein d’une même équipe, des agents de catégories différentes pourront faire le même travail : cela engendrera des tensions en matière d’équité », a relevé une cheffe de service, qui s’est aussi enquise de la formation des cadres pour gérer les nouvelles missions et encadrer les équipes.

Incertitudes quant à l’évolution du métier

Les appréhensions de l'assemblée ont également porté sur les conséquences de la réforme sur le travail quotidien des ISPV : Quel sera leur périmètre d’action ? quelle méthodologie de travail, eu égard aux contraintes d’effectifs ? En outre, si la délégation des plans de surveillance et de contrôle soulève peu de remarques, celle des inspections en remise directe a fait l’objet d’un long débat. À ce stade, il reste beaucoup d’inconnues : Qui assurera les missions de délégation ? À quel niveau, national ou départemental, les prestataires seront-ils choisis ? Quels seront les contours exacts des contrôles délégués ? comment s’assurer de leur qualité ? La délégation permettra-t-elle vraiment de dégager du temps ? Certains évoquent le fait qu’elle pourrait, en pratique, représenter une charge supplémentaire de travail, en raison de la gestion des suites, toujours du ressort des DD. À noter que la délégation passerait par des marchés publics payés par l’État, alors qu’il aurait pu être choisi d’instaurer une redevance pour les opérateurs privés afin de financer les contrôles, comme permis par la réglementation européenne.

Face à toutes ces inquiétudes, autant de facteurs d’échec de la réforme, une motion rédigée par le Syndicat et ses membres sera envoyée au ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

Une réforme conflictuelle ?

En toile de fond de la mise en œuvre de la réforme de l’organisation des contrôles sanitaires, une problématique plus profonde a émergé : celle du lien avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il est connu que les relations avec la Direction générale de l’alimentation (DGAL) sont depuis longtemps plus ou moins compliquées, mais cette réforme pourrait les aggraver, selon plusieurs participants à l’assemblée générale du Syndicat national des inspecteurs de santé publique vétérinaire, qui ont évoqué l’existence de forts ressentiments du côté de la DGCCRF. Pour le Syndicat, les tensions, quelles qu’elles soient, auraient pu être apaisées par une évolution sanitaire en faveur d’une police non pas unique mais unifiée, c’est-à-dire en préservant les compétences techniques spécifiques de la DGAL et de la DGCCRF, et avec des agents supervisés par une structure administrative unique de l’alimentation, interministérielle, qui coordonnerait leurs missions. La police unifiée de l’alimentation avait en outre l’avantage de ne pas dissocier la prévention sanitaire de la lutte contre les fraudes. Les deux peuvent en effet être intimement liés, et le seront encore plus à l’avenir, compte tenu de la pression budgétaire croissante sur les chaînes de valeur.

Renouvellement du bureau

Le conseil d’administration du Syndicat national des inspecteurs de santé publique vétérinaire sera renouvelé au début de l’année 2023. Après deux mandats, Olivier Lapôtre, le président actuel, ne se représentera pas à ce poste.

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