« Les ENV sont dans une démarche d’amélioration continue » - La Semaine Vétérinaire n° 1963 du 28/10/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1963 du 28/10/2022

Enquête santé des étudiants

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Tanit Halfon

À la suite d’une enquête de l’IVSA, qui a mis en lumière un certain mal-être étudiant, les directions des écoles nationales vétérinaires rappellent que cet enjeu est déjà au cœur des préoccupations de leurs établissements. Le cursus, en constante évolution, va dans le sens d’une amélioration des pratiques. Le point avec Laurence Deflesselle, directrice générale d'Oniris.

Niveau de stress qui augmente d’années en années, sentiment de ne pas être à la hauteur, surcharge de travail… dans l’enquête1 menée en 2018 par la branche nantaise (Loire-Atlantique) de l’International Veterinary Students’ Association (IVSA), avec l’aide de l’association Vétos-Entraide, et publiée récemment, il avait été montré que les études vétérinaires n’étaient pas épargnées par le mal-être étudiant. Pour Vétos-Entraide, ces résultats doivent alerter la profession et les écoles nationales vétérinaires (ENV). Lesquelles n’ont pas attendu ce rapport pour se préoccuper de la santé psychologique de leurs élèves, ont tenu à souligner les quatre directions des ENV lorsque nous les avons sollicitées pour connaître leur position. « La qualité de vie étudiante, au même titre que celle des personnels, est une valeur essentielle dans le fonctionnement de nos écoles. En tant que chef(fe)s d’établissement, l’enjeu de la santé étudiante est une priorité constante et notre responsabilité. Nous disposons ainsi de canaux d’alerte2 diversifiés, ce qui nous permet de prendre régulièrement en charge des situations de mal-être individuelles ou collectives. […] Les réponses au questionnaire de l’IVSA mettent en évidence des difficultés, dont certaines font déjà l’objet de plans d’action précis, partagés avec nos représentants étudiants dans les instances, comme les conseils de l’enseignement et de la vie étudiante, ou lors des réunions régulières informelles. », ont indiqué les 4 directions. Elles ont rappelé en outre qu’une démarche d’amélioration continue était déjà engagée pour le cursus vétérinaire, avec des maquettes pédagogiques régulièrement révisées et enrichies par le retour des étudiants.

Une nouvelle organisation clinique

Laurence Deflesselle, directrice générale d’Oniris (Nantes), livre des détails pour le compte des quatre directrices et directeurs d’ENV : « Même si cette enquête est une photographie partielle de la qualité de vie étudiante dans nos écoles, elle permet d’alimenter nos dispositifs d’amélioration continue des pratiques. Et nous sommes toujours ouverts à toute discussion en ce sens. » Par exemple, il est apparu dans les résultats que les étudiants souffraient d’une surcharge de travail, notamment en lien avec les rotations cliniques, qui alimentaient le sentiment de stress. « Nous avons revu l’organisation des rotations depuis 2018, afin de réduire la pression et de préserver des temps de repos », souligne la directrice. Au-delà du planning, d’autres leviers sont mobilisés pour qu’elles ne soient plus subies. « Nous avons l’obligation légale de mettre à disposition des étudiants un règlement des études dans lequel est détaillée l’organisation des cliniques. Il est complété par un guide sur les astreintes de nuit et de week-end qu’ils devront assurer dans nos hôpitaux et les règles qui y sont associées, ainsi que les personnes responsables. Les objectifs sont de faire en sorte que les étudiants s’approprient mieux le cadre de fonctionnement et de casser certaines images déformées qui pourraient leur être véhiculées. Nous proposons des temps de debrief après les rotations cliniques, qui ne sont pas uniquement consacrés aux apprentissages. » Un nouveau dispositif d’évaluation des cliniques a également été mis en place : « Cet outil n’est pas encore totalement investi par les élèves, mais il est très utile pour faire remonter des difficultés d’ordre matériel, organisationnel…de même que les axes d’amélioration possibles ». Toutefois, les directions soulignent qu’il ne faut pas non plus perdre de vue que les rotations cliniques ont pour but de faire vivre aux étudiants ce qui les attend dans leur future vie professionnelle. « La formation française dans les cliniques est historiquement fondée sur la place centrale des étudiants dans la conduite des cas cliniques : ils sont en position d’acteurs et non de spectateurs, dans des situations les plus variées possible. Effectuer l’ensemble des tâches, même peu gratifiantes, permet de mieux comprendre le vécu de toutes les personnes qui composent de l’équipe de soins. »

Faire avec les contraintes

Transposer le modèle de l’enseignement clinique de la faculté vétérinaire de Saint-Hyacinthe (Montréal, Canada), comme l’a suggéré Vétos-Entraides3, est difficilement envisageable. « En tant qu’établissements d’enseignement supérieur publics français, notre travail est de mettre en adéquation nos missions et les moyens dont nous disposons. Faut-il rappeler que le modèle économique de la faculté québécoise n’est pas le même qu’en France ? Malgré nos contraintes, le bien-être des étudiants reste évidemment au centre de nos préoccupations, et nous gouvernons nos écoles dans le respect de la loi. » Dans ce cadre, le Code du travail ne s’applique pas pour des étudiants ; c’est le règlement des études qui les encadre. « Les “conventions de stage” ne sont requises que pour les stages extra-muros. En prévoir pour les rotations cliniques pourrait être contre-productif, dans le sens où cela ajouterait une charge administrative pour les services et pour les étudiants, sans réelle plus-value et sans que cela ne réponde non plus efficacement aux objectifs poursuivis », poursuit-elle. À Saint-Hyacinthe, les enseignants suivent des formations obligatoires sur le harcèlement, la fatigue et la détresse psychologique. Un axe auquel les directions adhèrent : « Le renforcement de la formation actuelle des personnels à l’encadrement pédagogique, en incluant une sensibilisation à la prévention et au repérage du mal-être, est effectivement un levier important à mobiliser. »

Renforcer les liens avec les professionnels

Parmi les autres résultats de l’enquête, la faible estime de soi des étudiants, qui alimente leur stress, est particulièrement marquant. Un peu plus de la moitié des 620 répondants avait indiqué s’inquiéter souvent de ne pas être de bons vétérinaires, sans que cela ne s’améliore au cours du cursus. Près de 15 % des répondants ont même envisagé parfois ou souvent d’arrêter leurs études. « Nous avons des remontées du terrain en ce sens, avec des étudiants qui vivent un syndrome de l’imposteur. Les organisations professionnelles le ressentent aussi. Nous ne devons pas hésiter à leur rappeler que ne pas tout savoir à la sortie des ENV est normal. Les équipes pédagogiques y ont déjà beaucoup travaillé ; nous développons dans cette optique les liens avec les professionnels. » Par exemple, en 2022, pour la première fois, les universités de printemps du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral ont eu lieu dans une ENV, et cela perdurera pour les années à venir. « Ce type de liens avec les professionnels, déconnectés des enseignements, est essentiel pour le développement des soft skills, dont nous consolidons aussi l’apprentissage au sein des écoles. » Grâce à ces soft skills, les étudiants peuvent appréhender leurs forces et leurs limites professionnelles et personnelles avec la prise de hauteur adaptée. « Des confrères et des consœurs viennent donner des conférences sur la gestion du stress, la posture professionnelle, etc. car ils ont fait le constat de la plus-value à traiter ces sujets plutôt que des questions scientifiques. Les liens avec les professionnels peuvent aussi aider à dissiper des incompréhensions dans le monde du travail : les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes, et il faut en tenir compte », indique la directrice d’Oniris.

Suivre l’insertion des étudiants diplômés

Les directions des écoles ne sont toutefois pas inquiètes. « L’étude met également en évidence les ressources dont disposent nos étudiants. Aussi ne sommes-nous pas inquiets sur leur évolution et leur devenir. » Laurence Deflesselle rappelle que les ENV ont un taux très faible de non-obtention du diplôme : « C’est beaucoup plus rare que dans d’autres pays européens ; cela est lié à nos processus de sélection. » Par ailleurs, selon les écoles, il pourrait y avoir « un intérêt à regarder cette évaluation de l’estime de soi par rapport à celle de la population actuelle des étudiants, dans une société qui leur en demande toujours plus, plus vite, et dont le poids des réseaux sociaux peut accentuer le phénomène. »

Pas d’inquiétude n’empêche pas de reconnaître qu’un suivi plus poussé de l’insertion professionnelle serait pertinent, comme le recommande Vétos-Entraide. « Il serait effectivement intéressant de disposer d’une vision dynamique, qui apporterait beaucoup à la formation comme à la profession, laquelle pourrait mieux appréhender le recrutement de ces nouvelles générations de vétérinaires, souligne Laurence Deflesselle. De tels travaux pourraient venir en complément des enquêtes d’insertion qui sont déjà menées par nos établissements ».

Tous ces nouveaux enjeux de la vie étudiante s’inscrivent dans une évolution plus globale de la société, analyse la directrice d’Oniris. « C’est davantage au cœur de nos priorités que dans le passé, et c’est tant mieux. Mais attention à ne pas laisser penser que la situation actuelle est pire qu’auparavant. Aujourd’hui, nos étudiants ont la chance et le droit de s’exprimer et de donner leur avis. Ce n’était pas le cas il y a quelques années. Il faut évidemment s’emparer des difficultés, tout en veillant à ne pas accentuer les peurs qui alimentent la mauvaise confiance en soi et déforment les projections professionnelles. »