Maîtriser le risque d’antibiorésistance chez les carnivores domestiques - La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022

Traitements antibiotiques

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Au centre des préoccupations de santé publique, l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire fait l’objet depuis plusieurs années d’un encadrement renforcé, notamment dans le dernier règlement européen1 sur le médicament vétérinaire. En cause : le risque de partage de bactéries résistantes aux antibiotiques avec l’humain. Si les animaux de rente sont particulièrement visés, quels sont les risques associés à l’usage des antibiotiques chez nos animaux de compagnie ? Le point avec Jean-Yves Madec, directeur de recherche à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Face au manque de données, un programme de recherche va se focaliser sur l’étude de la transmission des bactéries résistances de l’animal de compagnie à l’humain, indique Jean-Yves Madec, chercheur à l’Anses.

Les animaux de compagnie – chats, chiens – contribuent-ils à créer un réservoir de bactéries résistantes aux antibiotiques ? Quelles bactéries sont impliquées ? Quelles différences y a-t-il avec les animaux d’élevages ?

Ils ne font pas exception : quelle que soit l’espèce animale, l’utilisation d’un antibiotique est toujours associée à une sélection de bactéries résistantes. Il n’y a pas de différence notable avec l’animal de rente. Les bactéries concernées sont soit des bactéries très généralistes non spécifiques, comme Escherichia coli, soit des bactéries plus spécifiques et responsables d’infections pouvant être graves, comme certains types de staphylocoques, notamment Staphylococcus pseudintermedius, qui est plus prévalent chez le chat et le chien que le staphylocoque doré (S. aureus). Les mécanismes de sélection sont classiques. D’une part par la pression de sélection : l’emploi d’un antibiotique élimine les bactéries sensibles au profit des bactéries résistantes. D’autre part, par transfert de gènes de résistance, via les plasmides, entre bactéries résistantes et sensibles. Dans ce cadre, une des problématiques est que la diffusion d’un antibiotique ne se limite pas à l’organe cible, mais peut atteindre d’autres communautés bactériennes, notamment les flores commensales digestive et cutanée. 

La transmission de bactéries résistantes de l’animal de compagnie à l’humain est-elle beaucoup documentée ?

Actuellement, les données sont limitées. C’est ce qui a justifié l’obtention de financements du programme prioritaire de recherche sur l’antibiorésistance de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), pour un projet de recherche, Dyaspeo2, dédié à ce sujet. L’objectif est d’étudier la transmission des bactéries résistantes de l’animal de compagnie à l’humain. L’Anses en est le coordinateur. Le principe est de collecter des échantillons biologiques d’animaux de compagnie (chats et chiens) ayant séjourné dans un établissement de soins vétérinaires, en association avec une collecte d’échantillons biologiques des membres humains du foyer, afin d’évaluer les échanges de bactéries résistantes entre eux au retour de l’animal dans son foyer. Outre l’aspect microbiologique, il est aussi prévu d’aborder le sujet sous un angle sociologique, avec des enquêtes, entretiens et séquences filmées, ce qui permettra de mettre en relation des facteurs de risque associés à des événements de transmission. Le projet va s’étaler sur une période de six ans.

Ceci dit, s’agissant des animaux de compagnie, certaines choses sont connues : d’abord, la diffusion des bactéries résistantes ne se fait pas par la voie alimentaire étant donné que nous ne consommons pas les animaux de compagnie. De plus, on suspecte que le contact direct ou indirect avec ces derniers soit une des voies de transmission. Cela se fonde sur le fait qu’il a été montré que les chats et chiens pouvaient être porteurs de S. aureus résistants à la méticilline, avec une prévalence estimée à 2 %, provenant très probablement d’une contamination humaine. Ces données montrent bien qu’il y a des possibilités de contacts rapprochés. Intuitivement, il est aussi clair que les détenteurs d’animaux de compagnie peuvent avoir des contacts plus étroits avec eux, par rapport à ce que l’on peut observer entre un éleveur et son troupeau. On ne sait pas toutefois à quel point ces transmissions peuvent être fréquentes, ce qui sera évalué dans le projet Dyaspeo.

Quels sont les leviers de maîtrise de ce risque ?

S’il est établi que l’animal est infecté par une bactérie résistante aux antibiotiques, par exemple un staphylocoque doré, il faut informer le propriétaire sur les risques de transmission. Cela vaut quel que soit le profil du propriétaire, bien que ce soit probablement plus particulièrement important si le détenteur est âgé, immunodéprimé… Les recommandations à faire portent sur les mesures classiques d’hygiène et gestes barrières, se laver les mains, laver plus souvent les couvertures de l’animal, réduire les contacts…

Il y a aussi une vigilance à avoir avec les animaux ayant été hospitalisés. Il a été, en effet, montré que 20 à 25 % des chiens sortant d’une hospitalisation, étaient porteurs3 de bactéries résistantes aux antibiotiques. Dans cette étude, la très grande majorité des chiens étaient hospitalisés plus de 48 heures, seuil au-delà duquel on peut considérer que l’animal a acquis la bactérie à l’hôpital. On ne sait pas combien de temps ils le restent, cela sera analysé dans le cadre du projet Dyaspeo, ce qui pourrait nous permettre de faire des recommandations. Chez l’humain, on sait par exemple, qu’en rentrant de voyages dans des pays où l’antibiorésistance est très prévalente, jusqu’à 1 personne sur 2 peut être porteuse d’une bactérie résistante, qui sera éliminée dans les deux à trois mois.

La maîtrise de ces transferts bactériens est un des deux volets de maîtrise du risque, tout comme la réduction de l’usage des antibiotiques.

Faut-il aller plus loin dans cette réduction ?

L’usage des antibiotiques a déjà diminué avec les plans Écoantibio. L’important est de continuer à avoir un usage raisonné des antibiotiques.

Que répondre aux personnes qui associent antibiorésistance chez l’humain à l’usage des antibiotiques chez l’animal ?

Il n’y a pas plus de raison de dire que l’animal de compagnie ou l’animal de rente est responsable de l’antibiorésistance chez l’humain. La résistance chez l’humain est sélectionnée principalement par l’utilisation des antibiotiques chez l’humain ; et de la même manière, la résistance chez l’animal est sélectionnée principalement par l’usage des antibiotiques chez ce dernier. De temps en temps, il peut y avoir des échanges, mais ils sont réduits. Rappelons qu’avec la diminution importante de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire avec dix ans de plans Écoantibio, on a effectivement observé une réduction toute aussi importante de l’antibiorésistance chez l’animal, et surtout pour les antibiotiques critiques dont l’usage a le plus diminué (voir encadré)… mais cela n’a absolument rien changé au niveau des courbes en humaine. La vérité est qu’on a affaire à deux « autoroutes » parallèles de résistance, et de temps en temps, il y a des « chemins de traverse ».

Il faut poursuivre les efforts déjà engagés, et faire que la réduction des antibiotiques soit associée à des changements de pratique durables, beaucoup plus axés sur la prévention et l’hygiène. La question n’est pas de supprimer les antibiotiques, mais de les utiliser à bon escient, de manière à ne pas donner des « opportunités » à certains qui seraient tentés d’en restreindre encore plus l’usage, prétendument pour la lutte contre l’antibiorésistance en médecine humaine.

Les résultats des plans ÉcoAntibio

Selon le dernier bilan1 2020 de l’Anses sur les ventes d’antibiotiques (rapport publié en octobre 2021), le niveau d’exposition aux antibiotiques des chats et chiens, évaluée par l’ALEA (Animal Level of Exposure to Antimicrobials – rapport entre le poids vif traité estimé et la biomasse de la population animale), a diminué de 11,8 % depuis 2011 (données acquises jusqu’en 2020). Par comparaison, l’exposition globale de tous les animaux évalués (incluant aussi bovins, porcs, volailles, lapins), est de 45,4 %. Cette baisse ralentit depuis 2016. Ainsi, si entre 2011 et 2016, l’ALEA a diminué de 19,5 %, l’indicateur a par la suite augmenté, avec +9,6 % de hausse en 2020 par rapport à 2016. Sur la dernière année, entre 2019 et 2020, la hausse était de +5,1 %. En cause : une augmentation de l’exposition aux pénicillines, notamment via les comprimés d’amoxicilline/acide clavulanique.

Une baisse de l’exposition aux antibiotiques critiques

Il ne s’agit toutefois pas d’antibiotiques critiques pour l’humain, qui eux, ont bien poursuivi leur baisse : – 69,3 % pour les fluoroquinolones par rapport à 2011, – 71,9 % pour les céphalosporines de dernières générations, – 59,6 % pour les macrolides, et – 38,1% pour les aminoglycosides. Les deux premiers sont des antibiotiques critiques en médecine humaine, classés de catégorie B pour l’EMA2, c’est-à-dire dont l’usage est à restreindre ; les deux familles suivantes de la catégorie C (« attention ») c’est-à-dire pour lesquels il existe des alternatives en médecine humaine aux antibiotiques de cette catégorie.

Une hausse de la résistance pour l’amoxicilline/acide clavulanique

Ces données sont corroborées par le Résapath3, réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales. Les résultats de 2020 montrent que la baisse entamée depuis dix ans des résistances aux céphalosporines de dernières générations et aux fluoroquinolones chez les souches d’Escherichia coli isolées d’infections se poursuit, avec un bémol pour le chien. Pour ce dernier, a été constaté un rebond de la résistance aux céphalosporines entre 2019 et 2020. Une hausse de la résistance à l’amoxicilline et acide clavulanique pour E. coli chez le chat et le chien entre 2018 et 2020 a aussi été constatée.

Les prochains bilans, pour l’année 2021, sont attendus d’ici décembre 2022.

1. bit.ly/3AaVvve

2. bit.ly/3AewxeE

3. bit.ly/3AhYthL

  • 1. urlz.fr/jh4E
  • 2. bit.ly/3NokTAN : le projet va se focaliser sur des bactéries du microbiote digestif, résistantes à deux types d’antibiotiques, les céphalosporines à spectre étendu et les carbapénèmes.
  • 3. Il faut bien différencier l’infection du portage.
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