Les laboratoires sur la voie de la sobriété   - La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022

Crise énergétique

PHARMACIE

Auteur(s) : Par Michaella Igoho - MoradelMichaella Igoho-Moradel

Alors que l’exécutif appelle les entreprises à établir leur propre plan de sobriété pour éviter un rationnement cet hiver, les industriels de la santé animale n’ont pas attendu les annonces gouvernementales pour changer leurs habitudes. 

Crise énergétique oblige, le gouvernement attend des entreprises qu’elles réduisent leur consommation d’énergie. Ces appels n’épargnent pour l’instant aucun secteur, les industriels de la santé animale compris. Objectif : réduire de 10 % la consommation d’énergie de la France sur les deux prochaines années. L’exécutif rassure : le plan de sobriété énergétique ne concerne pas directement les processus de production. Il s’agit précisément de faire des économies qui n’engendrent pas des baisses importantes d’activité. De leur côté, les laboratoires disent vouloir être acteurs de ces changements et pour cela, perfectionnent leurs stratégies.

Maintenir la production

Concrètement, le gouvernement demande aux entreprises de consommer moins et autrement (carburant, gaz naturel, électricité). Il vise particulièrement l’industrie dont les activités sont énergivores. Pour cela, il invite les industriels à établir leur propre plan de sobriété. Il ne s’agit pas par exemple d’arrêter des chaînes de production mais plutôt de mieux maîtriser le chauffage, l’éclairage, de baisser la température lorsque les bâtiments sont inoccupés ou encore de réduire les consommations des serveurs numériques. Début octobre, le gouvernement fera un point sur les initiatives prises par chaque secteur. Mais il a aussi précisé que la réussite de son plan sobriété permettra d’éviter les mesures contraignantes, comme des coupures ciblées et temporaires de l’approvisionnement en énergie, qui pourraient survenir cet hiver. Les laboratoires pharmaceutiques seront-ils épargnés par ces rationnements ? Il faudra attendre quelques semaines pour y voir plus clair. À ce stade, en santé humaine, le LEEM (Les Entreprises du Médicament), syndicat qui représente les laboratoires pharmaceutiques, confirme que ce secteur est concerné par ces possibles rationnements électriques et collecte actuellement les initiatives des entreprises de ce secteur afin d’établir une recommandation.

Le gaz, une matière cruciale

Côté santé animale, le Syndicat de l’industrie du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV) se dit préoccupé par les risques de pénurie qui risqueraient de compromettre la possibilité de protéger contre les zoonoses et de menacer l’approvisionnement sûr et continu d’aliments d’origine animale. Le représentant de l’industrie a de quoi s’inquiéter car des coupures d’approvisionnement en gaz pourraient significativement impacter les chaînes de production. « Le gaz naturel est une matière cruciale nécessaire à la stérilisation des matériels et matériaux pour la fabrication de nos médicaments, notamment les vaccins et les médicaments injectables. Cette activité mobilise 90 % de notre consommation de gaz » a alerté le SIMV dans un courrier transmis au ministre de la Transition énergétique. Pour limiter les risques de pénuries, ce dernier a demandé d’inclure l’industrie de la santé animale dans les services sociaux essentiels pour la fourniture de gaz, alors que des listes d’exemption sont en cours d’élaboration par les préfectures. La charge revient aux préfets de définir les éventuels priorités et délestages. « Il est important que les sites de production de médicaments vétérinaires soient clairement identifiés et exemptés de délestage. (…) Le Simv va travailler avec ses membres afin que les entreprises puissent être identifiées rapidement auprès des préfets pour une exemption une fois le caractère stratégique de notre secteur confirmé » avance le syndicat qui facilite aussi le partage de meilleures pratiques entre ses membres.

La sobriété en marche?

Les laboratoires ont déjà pris le sujet à bras-le-corps. Beaucoup changent leurs flottes de véhicules pour des véhicules hybrides. Des initiatives qui ne datent pas d’hier, comme en témoigne Julien Rochet, président d’Osalia : « La crise actuelle a cette vertu de communiquer sur ce que les entreprises font et parfois depuis longtemps. Nous savons que de par leur nature nos activités économiques ont un impact environnemental. En avoir conscience est la première étape avant de déployer des actions concrètes. Nous apportons déjà modestement notre contribution à cet effort collectif, sans tomber dans le greenwashing. » Il cite ces initiatives : « 100 % de nos produits sont fabriqués au sein de l’Union européenne. La France représente la moitié de cette production et ce pourcentage ne cesse d’augmenter. Localiser nos stocks dans l’Hexagone a également un impact bénéfique sur les coûts de transports et l’empreinte carbone. Depuis 2017, nous proposons à nos clients des télévisites. La crise sanitaire a accéléré le phénomène mais nous l’avions initié bien en amont. Cette vision de long terme a aussi été intégrée à notre politique commerciale. Faire preuve de sobriété dans le jeu des remises commerciales participe aussi à cette démarche globale. » Même constat du côté d’Agnès Sharareh, Associated director Facilities Management chez MSD Santé Animale France : « Les objectifs visés par notre entreprise répondent aux attentes du gouvernement et à une réglementation qui évolue très vite. Nous souhaitons réduire notre empreinte carbone en améliorant nos pratiques et en devenant sobre énergétiquement. La situation actuelle est une opportunité pour notre laboratoire d’accélérer le déploiement de notre feuille de route en termes d’efficacité et sobriété énergétique. »

Des changements pour l’avenir

Parmi les changements opérés, Agnès Sharareh cite la rénovation énergétique des bâtiments de deux sites de Maine-et-Loire. « Le système de chauffage au gaz, de climatisation et de ventilation de notre entrepôt logistique a été remplacé par une pompe à chaleur électrique de dernière génération. Notre siège a également été raccordé à la chaufferie municipale biomasse de la technopôle de Belle Beille ce qui nous a permis d’arrêter nos deux grosses chaudières à gaz. Désormais, nous chauffons nos bureaux à 70 % avec de la biomasse. Nous achetons de l’eau chaude à la chaufferie qui utilise des déchets organiques (du bois à 70 % et du gaz à 30 %). » MSD Santé animale promeut aussi la mobilité douce pour les trajets domicile – travail. « Nous  réfléchissons à d’autres pistes qui pourraient répondre à l’appel du gouvernement comme l’optimisation des durées de chauffage ou de climatisation en fonction du taux d’occupation des bâtiments (fin de semaine, en période de congés estivaux) » poursuit Agnès Sharareh. Chez Ceva Santé animale, un plan d’action a été élaboré afin de faire face aux tensions sur l’approvisionnement en énergie et à l’accélération des conséquences du changement climatique. « Ceva a créé des groupes de travail dédiés à l’approvisionnement et aux prix de l’énergie ainsi qu’un groupe de travail France dédié à l’objectif de réduction de 10 % de la consommation énergétique des entreprises fixé par le gouvernement. Tous les sites de Ceva en France sont mobilisés pour assurer la baisse de leur consommation d’énergie » indique le laboratoire, qui lancera bientôt une campagne d’information et de sensibilisation auprès de l’ensemble de ses collaborateurs pour rappeler les bonnes pratiques à adopter au quotidien. De son côté, Elanco a réduit la température dans les locaux administratifs et les locaux de production de son site de fabrication de Huningue qui se fournit à 100% en électricité renouvelable. « En matière énergétique, un engagement fort est un approvisionnement en électricité renouvelable de l’intégralité de nos sites de production en 2030 » indique le laboratoire. En plus de ses engagements pris dans le cadre de sa politique RSE, le laboratoire favorise le transport maritime au lieu du transport aérien pour les expéditions vers les États-Unis. « En trois ans nous sommes passés de 100 % d’expédition par air à seulement 20 % aujourd’hui. » L’entreprise encourage ses salariés du site de Huningue à prendre les transports en commun. « En matière de bureaux, nous sommes passés de trois à deux sites cette année et nous n’aurons plus qu’un site à Sèvres en juin 2023, alors que les effectifs ont doublé en 2020 avec l’intégration des équipes de Bayer Santé Animale. L’optimisation de la surface de bureaux liée à la pérennisation de la possibilité de télétravailler permet des économies d’énergie substantielles » poursuit Elanco. 

La crise énergétique, source de pénuries ?

La flambée des prix de l’électricité et du gaz ainsi que les risques de coupures ou pénuries, accentuent-ils les tensions d’approvisionnements en médicaments vétérinaires ? Le Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV) rassure : « Nos entreprises ont montré dans des situations très critiques, comme lors de la crise du Covid récemment, leurs capacités d’assurer l’approvisionnement des praticiens. Nous avons une procédure d’anticipation et de gestion de ces ruptures pilotée par l’Anses-ANMV qui a montré son efficacité. Le tableau des 13 ruptures critiques en cours montre qu’indépendamment des questions d’approvisionnement en énergie, nos laboratoires font face à des aléas de production. Leurs origines en sont très variées et nous ne prévoyons à ce stade pas d’influence majeure des tensions d’approvisionnement en gaz sur la disponibilité de nos médicaments. » Le maître mot reste l’anticipation. Julien Rochet, président d’Osalia, indique avoir anticipé les conséquences d’un hiver rude. « Nous avons augmenté notre niveau de stock au printemps. Cela représente un véritable coût mais notre objectif est de réduire nos besoins d’approvisionnement et limiter la sursollicitation des appareils productifs, qu’ils soient en France ou ailleurs en Europe, et ainsi la consommation d’énergie associée. Cet hiver, nous allons réduire d’environ 30 % nos approvisionnements standards. »

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