Toutes et tous acteurs d'Une seule santé ! - La Semaine Vétérinaire n° 1957 du 13/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1957 du 13/09/2022

Dossier

DOSSIER

Auteur(s) : Par Chantal Béraud

Depuis la pandémie de Covid-19, le concept One Health ou Une seule santé fait beaucoup couler d’encre… Au-delà des discours commencent à émerger des actions locales de terrain transdisciplinaires. Focus sur des praticiens vétérinaires pionniers qui font leurs premiers pas dans une méthodologie Une seule santé territoriale.

One Health en pratiques : ce diplôme d’établissement (DE) a vu naître sa première session en 2020, à l’heure du Covid ! Tout un symbole pour cet enseignement de VetAgro Sup dont l’objectif affiché est de fournir des outils théoriques, mais aussi des déclinaisons pratiques d’une méthodologie Une seule santé visant à sortir de crises multidimensionnelles, d’une manière concrète.

Une promotion aux profils variés

En effet, pour résoudre efficacement des problèmes complexes sous l’angle conjoint des santés humaine, animale et environnementale, la transdisciplinarité est de mise ! « Cette année, nous étions une vingtaine avec des profils très différents » confirme Marie-France Cavernes, praticienne à Marcheprime (Gironde), qui vient d’achever, sous forme d’une formation continue, ce cycle d’étude. Elle énumère les qualités variées de ses anciens condisciples : « J’ai étudié en compagnie d’autres professionnels de santé animale (vétérinaires, inspecteurs de santé publique vétérinaire), avec des spécialistes de santé humaine (médecin, infirmier, pharmacien), des agents territoriaux, des agronomes, mais aussi avec des profils issus de l’environnement, des sciences humaines, de l’agriculture et de son enseignement. » En revanche, elle était la seule à exercer également un mandat politique, puisqu’elle est élue minoritaire du groupe Eilo1 à la mairie de Lanton (7 285 habitants, Gironde). Une précision qui prend tout son sens quand elle explique qu’elle souhaite promouvoir le concept – et surtout les solutions One Health – au niveau des collectivités territoriales.

Une méthodologie à suivre

Mais avant de passer aux actes, la formation apprend à tous comment gérer un sujet identifié (campagnols terrestres, fièvre Q ou coxiellose, maladie de Lyme… ) en suivant une méthodologie One Health. « En effet, explique Marie-France Cavernes, qu’il s’agisse aussi bien d’un problème de santé publique (chats errants, rats, tiques, moustiques…) que de toute autre question (sociale, transport, urbaine…), il convient de dresser le bilan initial de la situation et de définir les objectifs. Cette étape permet d’identifier les acteurs impliqués et de les mettre en relation. L’objectif final sera de proposer un plan d’action qui intègre bien tous les différents niveaux et les trois santés : humaine, animale et environnementale. L’ensemble, en pilotage avec le donneur d’ordre, par exemple la collectivité territoriale concernée qui veut gérer une situation. »

Quel apport des vétérinaires ?

Selon Marie-France Cavernes, un vétérinaire de formation peut pleinement s’impliquer dans une équipe de cette sorte. « En effet commente-t-elle, situé à l’interface entre l’homme et l’animal, le vétérinaire – par ailleurs polyvalent, puisque passant d’une espèce à l’autre et d’une discipline à une autre : médecine, chirurgie, ophtalmologie par exemple – est déjà imprégné d’une démarche transversale pluridisciplinaire. Sa formation à la santé publique par le dépistage et la gestion des zoonoses l’amène à considérer conjointement la santé animale et humaine. Sa place au sein de la démarche One Health y apparaît donc parfaitement légitime quel que soit son mode d’exercice (libéral, santé publique vétérinaire, industrie… ). En résumé, il apporte donc sa capacité de polyvalence. Et, en retour, il s’ouvre à des disciplines qu’il maîtrise moins comme les sciences environnementales, économiques, humaines… Ces dernières lui permettent d’acquérir un autre regard – qui certes l’obligent parfois à sortir de sa zone de confort – mais qui lui donnent aussi une ouverture d’esprit indispensable à une approche globale. »

De premiers engagements

Comment cette élue vétérinaire traduit-elle sa nouvelle approche du vivant dans sa vie quotidienne ? Désormais, c’est sous l’angle One Health que Marie-France Cavernes analyse les dossiers territoriaux. « Par exemple, pour une future unité de méthanisation d’une commune proche, j’ai alerté au cours d’un conseil municipal sur la nécessité de bien vérifier l’innocuité en termes de santé des épandages, dont une partie est destinée à un enfouissement dans des champs de notre territoire. Car cette unité va notamment utiliser de la graisse et des résidus issus du secteur agro-alimentaire – contenant potentiellement des micro-plastiques – ainsi que des fumiers issus de différents élevages ». Suite à son intervention, le conseil municipal a donc demandé aux services préfectoraux des contrôles additionnels. Pour bien veiller à ne pas polluer les nappes phréatiques affleurantes du bassin d’Arcachon.

De multiples actions possibles

Les niveaux d’intervention d’une démarche Une seule santé au point de vue communal deviennent ainsi valorisables sur quantité de points. Par exemple, pour un entretien Une seule santé des espaces verts, qui va au-delà d’un simple planning de plantations, de tontes et de tailles, il faudra veiller à concilier différents objectifs : aspect visuel attendu par le public, mais aussi maintien de la biodiversité (en favorisant par exemple l’activité d’insectes pollinisateurs), avec prise en compte de la résistance au climat, du réensemencement naturel, de l’obligation zéro phyto… Dans la commune de Lanton, cette démarche a conduit à classer en différents types les espaces verts, en privilégiant pour certains l’esthétisme, pour d’autres la biodiversité (avec donc des fiches d’entretien bien distinctes).

Une sensibilisation aux enjeux sanitaires

L’apport proprement vétérinaire est, selon Marie-France Cavernes, « de sensibiliser à renforcer la prise en charge des espèces animales à enjeux sanitaires (moustiques, rats, tiques, chenilles, frelon asiatique…) dans un tel plan de gestion différenciée. Ce qui se traduit concrètement dans le choix des plantes à installer pour leur effet répulsif ou attractif sur certains insectes (moustiques, mouches, abeilles). Pour prendre en compte le risque des tiques, il faut définir la hauteur acceptable des herbes, la densité des arbustes… Et il faut aussi favoriser la bonne utilisation des composteurs pour éviter les nuisances olfactives, les mouches, les rats, chats errants et les problèmes sanitaires liés (leptospirose, intoxications) ». Et, constamment, le vétérinaire doit rester vigilant pour rappeler aux élus que la santé globale est là, bien présente dans n’importe lequel de leurs projets ! Par exemple, en matière d’urbanisme, trop densifier à l’intérieur des villes en y détruisant la végétation encore présente, revient à s’y priver d’îlots d’absorption du carbone en outre intéressants pour y réduire, un peu, la chaleur estivale… Quant à la tendance actuelle qu’ont les élus de vouloir revégétaliser leurs cours d’école, elle ne doit pas totalement s’affranchir de la réflexion autour des risques sanitaires potentiels que la proximité des humains avec la biodiversité peut engendrer, comme les maladies de Lyme ou la leptospirose.

Une étude des chenilles processionnaires

Enfin, avec sa promotion, Marie-France Cavernes est en train de travailler sur un plan de gestion des chenilles processionnaires, en s’inspirant de la démarche de lutte contre les tiques. « Diana Sepulveda (ingénieure en environnement, chargée de mission biodiversité urbaine et santé, xylophages et champignons lignivores au sein des services de la ville de Lyon) nous a proposé de mettre en quelque sorte notre formation en pratique, en s’intéressant à un sujet qui touche aux trois santés. C’est pourquoi j’ai proposé le cas des chenilles processionnaires, qui déprécient les massifs forestiers, dont les poils dispersés ont des effets urticants en santé humaine et qui provoquent aussi des réactions violentes sur les animaux qui entrent en contact avec elles ». L’expertise du praticien vétérinaire prend ici tout son sens, dans une approche qui a le mérite d’être à la fois résolument globale et locale.

Claude Joly

Vétérinaire (Alfort 1978), spécialiste en reproduction bovine à Reprogen

4.DrClaudeJoly.CreditDR..JPG

Des vétérinaires dans des maisons de santé !

Je salue ici un projet enthousiasmant qu’est en train d’accomplir un diplômé de la promotion précédente du diplôme d’établissement One Health en pratiques. Je parle du cardiologue Pradip Sewoke, aussi président de l’association des professionnels de santé du Nord Franche-Comté. Il est en train de construire à Montbéliard la première cité de santé One Health de France puisqu’elle devrait associer les trois santés, humaine, animale et environnementale. En effet, dans le dernier bâtiment en construction (projeté pour ouverture en 2024), il y aura une clinique vétérinaire, ainsi que d’autres professionnels du comportement animal et du dressage. Quant au pôle bien-être, il sera occupé par une école de yoga, un centre de méditation, de la sophrologie ou bien encore de la médecine ayurvédique. Tous ces professionnels viendront donc rejoindre une équipe de paramédicaux plus une quarantaine de médecins et de spécialistes en santé humaine qui vont s’installer dès 2023 dans un premier bâtiment. Je trouve cela extraordinaire car je me rends bien compte que la profession vétérinaire n’est pour l’heure pas suffisamment prise en compte ni par les institutions (comme les agences régionales de santé), ni par les médecins, ni même par les élus. L’approche One Health peut nous servir de porte d’entrée pour qu’enfin ces différentes « bulles » professionnelles se mettent à communiquer et surtout à travailler ensemble. Pour ma part, par l’intermédiaire d’un médecin, Hugues Bocquet, qui ouvre une nouvelle maison de santé pluridisciplinaire (MSP) dans la communauté de communes du pays de Lumbres (Pas-de-Calais), je vais essayer de promouvoir aussi ce dialogue. Par exemple, il y aura je pense au minimum une fois par an une concertation entre médecins et vétérinaires locaux dans cette nouvelle MSP ! Venant de suivre moi aussi la formation du DE One Health, je suis en effet convaincu que des solutions pratiques en santé globale, pour exister réellement, doivent partir de la base, en étant le fruit de rencontre humaines entre des acteurs locaux aux compétences complémentaires.

Jean-Luc Angot

Vétérinaire (T 82), chef du corps des inspecteurs de Santé publique vétérinaire

5.CREDITCh.Saidou-Ministeredelagriculture.PortraitdeJean-LucAngot..jpg

Le One Health est le vrai moteur de la prévention

Les experts estiment que 75 % des maladies émergentes sont d’origine animale. L’enjeu pour éviter les pandémies d’origine zoonotique est d’intervenir en amont de la chaîne de transmission, à la source animale et au niveau des écosystèmes, afin de prévenir le franchissement funeste de la barrière d’espèce. C’est pourquoi, pour éviter que les agents pathogènes franchissent la barrière d’espèce, il faut que les êtres humains franchissent les barrières entre disciplines, en bâtissant de solides ponts et passerelles entre elles. Santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont intimement liées… C’est pourquoi j’ai accepté de préfacer un ouvrage de « One Health en pratiques » 1. Car One Health, c’est aussi et surtout One Life ! Sortir des crises comme nous y invite cet ouvrage, c’est aussi savoir ne pas y entrer. One Health est le vrai moteur de la prévention et de l’anticipation.

Modalités pratiques du DE

Ce DE se déroule sur trois semaines non consécutives, successivement sur le campus vétérinaire de Lyon et sur le campus des ingénieurs agronomes à Clermont-Ferrand. Il peut être financé en formation continue. Coût total : 2 000 €.

Pour tout renseignement complémentaire : diplome-ohep@vetagro-sup.fr et/ou contact de trois formateurs : Sébastien Gardon Lyon (sebastien.gardon@vetagro-sup.fr, tél. : 04 78 87 27 52 ou 06 63 17 59 73),  ou Amandine Gautier Lyon (amandine.gautier@vetagro-sup.fr), ou Christophe Dépres Clermont-Ferrand (christophe.depres@vetagro-sup.fr)

De nombreux vétérinaires pionniers

Le diplôme d’établissement One Health en pratiques de VetAgro Sup, dont la première session a eu lieu en 2020, forme à l’heure actuelle un tout jeune réseau de dix diplômés ! La moitié sont des vétérinaires, libéraux, de l’industrie, inspecteurs de Santé publique vétérinaire. La promotion suivante a compté 20 étudiants. Ce DE est encadré par différents intervenants, dont des vétérinaires. Avec, parmi eux, quelques praticiens : Christine Filliat, Sylvain Larrat, ou inspecteurs de la Santé publique vétérinaire : Julien Fosse, Thierry Galibert, ainsi que des vétérinaires chercheurs : Julien Cappelle, Emmanuelle Gilot-Fromont, Florence Ayral, Gwenaël Vourc’h… Il y a aussi des écologues de la santé, Serge Morand étant le parrain de la première promotion, des agronomes, dont Pierre Weill, à l’initiative de Bleu-Blanc-Cœur1

D’autres formations One Health ouvertes aux vétérinaires existent également en France.

1. Association qui privilégie une agriculture respectueuse des animaux et de la terre.

Bientôt, un outil Une seule santé contre les tiques ?

Grâce à la future carte météo de France métropolitaine des tiques1, les vétérinaires pourront suivre leur répartition géographique et adapter les plans de prévention antiparasitaires. Médecins et agents forestiers pourront aussi s’en servir. Quant aux mairies, elles sauront quelles sont les périodes de plus grande vigilance à observer et donc quand communiquer avec le public. Elles peuvent aussi dès maintenant agir en pratiquant une gestion différenciée des espaces verts (par le choix des plantes, différentes hauteurs de coupe, etc.).

1. L’Inrae, VetAgro Sup, l’Anses, le Cirad et Boehringer Ingelheim y travaillent : des premiers résultats ont déjà été publiés.

  • 1. Écho au terme hello, E pour élus, écouter, etc. I pour indépendants, intégrité, etc., L pour Lanton, O pour objectivité, optimisme, etc.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr