Les actualités scientifiques sur la leishmaniose - La Semaine Vétérinaire n° 1957 du 13/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1957 du 13/09/2022

Congrès

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Nicolas Soetart, praticien hospitalier en pathologie clinique vétérinaire, Laboniris, Oniris, Nantes.

Le premier congrès sur la leishmaniose en médecine vétérinaire, qui s‘est tenu en avril dernier en Espagne, a permis de montrer l’état d’avancement de la recherche sur la maladie. Les points clés de lutte contre la maladie chez nos carnivores domestiques ont aussi été rappelés.

Pour la première fois, un congrès a été consacré à la leishmaniose en médecine vétérinaire. Organisée par l’association LeishVet1, la première édition d’Alive, pour Animal leishmaniosis international veterinary event, s’est tenue du 31 mars au 2 avril 2022, à Malaga, en Espagne, et a réuni près de 400 personnes, issues de 26 pays. Ces « leishmaniaques », comme ils se définissent, ont exposé les récentes avancées scientifiques permettant de mieux comprendre la maladie, en insistant notamment sur les relations parasite – vecteur – hôte – environnement. Cette compréhension écologique est indispensable à la mise en place des stratégies de lutte contre la maladie, et illustre parfaitement le concept One Health.

Diversité génétique et évolution

Une nouvelle définition des leishmanioses a été proposée : « Infection, avec ou sans signes cliniques, par des parasites de la sous-famille des Leishmaniinae et transmises essentiellement par des phlébotomes ». Cette définition large illustre bien le fait que la leishmaniose concerne une multitude d’hôtes, tant humains qu’animaux, et plusieurs espèces de leishmanies. Aujourd’hui, au moins 52 espèces sont recensées. Cette très grande diversité génétique des parasites responsables de la leishmaniose est le fruit d’une évolution très ancienne (des millions d’années) chez des vecteurs et des hôtes aujourd’hui disparus. L’adaptation des leishmanies est associée à l’essor des mammifères terrestres durant les 66 derniers millions d’années (on trouve également des parasites chez des animaux à sang froid). Le profil d’hôtes et la répartition géographique dépendent des espèces. Les espèces du sous-genre Leishmania, dont les principales espèces zoonotiques (Leishmania infantum en fait partie) ont une très vaste répartition, et il est admis que les rongeurs, principaux hôtes sauvages, ont joué un rôle dans cette distribution en raison de leur adaptation une grande diversité d’habitats, et constituent une part essentielle du réservoir. Nos mammifères domestiques (chien en tête) pourraient alors constituer des espèces sentinelles pour l’humain.

Le vecteur au cœur de la pathogénie

Lorsqu’un phlébotome injecte des promastigotes dans un hôte lors d’un repas sanguin, ces derniers voient leur survie favorisée par l’inflammation causée notamment par le microbiome salivaire de l’insecte, permettant le recrutement de granulocytes neutrophiles qui phagocytent les promastigotes sans les détruire, mais en les rendant ensuite moins sensibles à la phagocytose ultérieure par les monocytes/macrophages, cellules de choix pour le développement intracellulaire du parasite et sa dissémination. De plus, les mécanismes anti-inflammatoires secondairement mis en jeu, également favorisés par la piqûre, permettent ensuite une survie à plus long terme du parasite.
Par ailleurs, le comportement hématophage des vecteurs favorise d’une part la pathogénicité des leishmanies, à travers une augmentation de leur pouvoir infectant au cours des repas de sang successifs et, d’autre part, en promouvant le brassage génétique de la population parasitaire chez le vecteur. La durée de vie des phlébotomes, leur saison d’activité (mars-octobre en région méditerranéenne, mais qui pourrait être allongée en raison du changement climatique) et donc le nombre de repas dont ils sont capables, sont déterminants dans la possibilité de transmission de la maladie. On comprend dès lors qu’une protection efficace contre les piqûres est déterminante dans la lutte contre la maladie.

Actualités diagnostiques…

En pratique clinique, la prise en charge de la leishmaniose canine évolue à la faveur de l’accroissement des connaissances des effets immunopathologiques et de leurs marqueurs2.

Pour le diagnostic, les principaux outils restent d’abord la sérologie quantitative et l’évaluation cytologique (ou histopathologique) des lésions. Une étude, dont les résultats ont été présentés au cours du congrès, a par ailleurs montré que les résultats sérologiques des principaux laboratoires académiques européens spécialisés dans la leishmaniose étaient fortement concordants. La recherche du parasite par réaction de polymérisation en chaîne (PCR) quantitative (en temps réel) peut être utile notamment en cas de forte suspicion si les tests précédents se sont révélés négatifs. Pour cela les prélèvements doivent être multiples : ponctions de moelle osseuse ou ganglionnaire, frottis conjonctivaux offrant la meilleure sensibilité.

… et thérapeutiques

Pour le traitement, outre les recommandations actuelles avec les traitements leishmaniostatiques (Allopurinol) et leishmanicides (antimoniate de méglumine, miltefosine), des innovations thérapeutiques sont en cours de recherche et développement. Les signes cliniques étant dus à la réponse immunitaire contre le parasite, plusieurs études se sont intéressées récemment à l’immunomodulation. La dompéridone (antidopaminergique), en stimulant l’immunité cellulaire (par sécrétion de prolactine) serait en particulier intéressant pour la préservation de la fonction rénale. Des traitements d’immunothérapie sont également à l’étude et pourraient élargir l’arsenal thérapeutique dans les prochaines années.

Côté prévention, la protection contre les insectes vecteurs par des insecticides topiques répulsifs reste centrale. De nouvelles études de terrain ont confirmé l’efficacité des principaux médicaments sur le marché disposant d’une indication contre les phlébotomes, pour diminuer le nombre de piqûres et donc le risque de contracter l’infection. Les formes galéniques permettant une longue durée d’action sont particulièrement intéressantes pour organiser des stratégies de luttes au sein d’effectifs canins (élevages, fourrières, etc.).

En Europe, la vaccination est possible en complément. Le vaccin disponible pour les chiens de plus de 6 mois séronégatifs permet une protection contre le développement clinique de la maladie. Les vaccins ne protègent pas contre une éventuelle infection et la prévention insecticide reste primordiale y compris chez des chiens vaccinés En outre, il n’y a pas d’interférence avec les techniques de diagnostic sérologique.

La leishmaniose féline

Plusieurs conférences portaient sur la leishmaniose dans l’espèce féline. Encore peu décrite, la maladie est sous-estimée notamment en raison de formes subcliniques plus fréquentes. Les signes cliniques les plus fréquents sont cutanés et des comorbidités peuvent être présentes chez les chats symptomatiques (maladie rénale, malnutrition). Des co-infections (FIV, FeLV, FCov, …), responsables d’une immunosuppression sont également à rechercher. Sur la base d’une revue de la littérature (description de cas), le traitement à base d’allopurinol semble être bien toléré et efficace. Les points clés de gestion de la maladie sont détaillés dans un guide édité par l’association Leishvet à l’adresse urlz.fr/j8E7.

  • 1. L’association LeishVet a été créée en 2005. Elle regroupe des spécialistes de différents pays européens (leishvet.org)
  • 2. Voir le guide élaboré par LeishVet : urlz.fr/j8DV
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