La Nouvelle-Aquitaine veut son école vétérinaire publique - La Semaine Vétérinaire n° 1956 du 06/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1956 du 06/09/2022

Politique régionale

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Validé en Conseil régional en juin dernier, un budget de plusieurs millions d’euros a été accordé au projet d’une cinquième école vétérinaire publique à Limoges. Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine, compte bien convaincre l’État de sa pertinence.

Après l’ouverture du nouveau cursus vétérinaire privé porté par UniLaSalle, après le plan1 de renforcement annoncé par l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie des quatre écoles nationales vétérinaires, une nouvelle et cinquième école vétérinaire publique verra-t-elle le jour en France ? C’est en tout cas la volonté du président de la région Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset, qui a obtenu le soutien du Conseil régional qu’il préside. Lors de la séance plénière du mardi 21 juin 2022 à Bordeaux, un plan de soutien à la médecine vétérinaire pour animaux de rente (voir encadré) a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés (164 suffrages sur 183 élus – abstention des 19 élus du groupe Écologiste, solidaire et citoyen). Ce plan inclut le projet d’ouverture d’une école vétérinaire publique à Limoges. « Ce vote à la quasi-unanimité montre que le projet dépasse les clivages politiques. La volonté démocratique est bien là », soutient Claire Jacquinet, nouvelle conseillère régionale et vétérinaire praticienne en filière avicole en Gironde.

Une enveloppe de 24 millions d’euros sur cinq ans

Le plan voté s’inscrit dans le contrat de plan État-région (CPER) 2022-2027. Les CPER servent à la politique publique locale. Ils définissent des grandes orientations stratégiques pour le développement d’un territoire, avec des plans d’investissements publics associés. Ils sont actés entre l’État et une région, permettant donc d’avoir des sources de financement régionales et étatiques. « La région a la compétence en matière d’immobilier, d’enseignement supérieur et de recherche. C’est à ce titre qu’elle a inscrit le projet de future école vétérinaire dans le CPER », explique Claire Jacquinet. Toutes les grandes orientations stratégiques définies dans le CPER sont discutées en amont avec l’État. Nous avions obtenu une signature de principe2 pour ce plan fin 2021, lequel incluait déjà une ligne dédiée à un projet d’école vétérinaire, sur des fonds du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. »

Pour ce projet, les fonds proviennent donc uniquement de la région. Une cinquième école publique n’est, en effet, pas du tout affichée comme une orientation stratégique par l’État actuellement… qui laisse tout de même une porte ouverte, en ayant acté le CPER ? En tout cas, le Conseil régional a consacré 24 millions d’euros au projet. Soit plus de 90 % du budget du plan de soutien à la médecine rurale qui est de plus de 26 millions d’euros3 !

Construire pour convaincre

Comment va être réparti ce budget ? « Il ne s’agit pas de financer de la masse salariale. Le cadre du CPER sert à contractualiser des investissements publics, précise Claire Jacquinet. Ce budget servira ainsi à financer des études de faisabilité mais aussi du bâti et premiers équipements. Il faut encore bien définir les choses, dont la méthodologie de travail, mais on pourrait imaginer, par exemple, orienter des premiers investissements vers l’université de Limoges pour parfaire l’accueil d’étudiants dans le master One Health (voir encadré) et pour la création d’une année d’approfondissement spécifique à Limoges. »

« Il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir une école en quelques mois », admet Claire Jacquinet. Mais d’ici 2026, l’objectif est d’être « suffisamment engagé dans le projet ». En clair, il faut préparer le terrain pour convaincre, à terme, l’État de soutenir la création d’une nouvelle école nationale. Et les instances professionnelles, sont-elles convaincues ? Comme l’explique la conseillère, la construction du projet sera collective, avec la participation des différentes parties prenantes. « Nous avions déjà initié des contacts courant 2021 et 2022, avec les vétérinaires de terrain, leurs instances professionnelles, les écoles nationales vétérinaires (ENV), les chambres d’agricultures… Certains voient le projet avec un grand intérêt, les syndicats et l’Ordre y sont tout à fait favorables. Le bémol qui peut être émis, est que cette école ne devra pas perturber le budget des ENV existantes, et ce point de vigilance est tout à fait compréhensible. »

Une école avec un ancrage en rural

Le choix de Limoges peut aussi poser question. « L’idée est de s’appuyer sur l’existant. La plateforme de l’université de Limoges s’inscrit déjà dans l’approche Une seule santé, notamment avec son master One Health et santé publique, que nous avons d’ailleurs associé à un dispositif d’aide au maillage vétérinaire (voir encadré). De plus, la ville de Limoges présente un environnement ouvert sur la ruralité. L’ancrage en rural et la démarche One Health, sont les deux piliers que nous défendons, pour une future école vétérinaire. Si nous implantions une école dans une autre grande métropole, comme les quatre écoles existantes, nous aurions encore probablement les mêmes profils d’étudiants, urbains, et nous nous éloignerions des besoins du monde rural », indique Claire Jacquinet. Rendez-vous en 2026 donc. D’ici là, à voir tout de même, le modèle de l’école évoluera -t-il ? Lors de la séance plénière, en effet, le conseiller départemental de la Corrèze, Pascal Coste, avait émis des réserves sur la faisabilité d’une nouvelle école publique, soulignant le manque manifeste de soutien de l’État. Une école, non pas publique, mais privée, pourrait être une solution pour le territoire, avait-il argué. « Pour un métier tourné vers la santé publique, nous défendons un modèle public, accessible à tous, appuie Claire Jacquinet. De plus, les frais de scolarité du privé ne sont pas anodins, pouvant limiter les profils orientés vers la rurale. »» •


 

Un soutien à la médecine rurale

Le projet d’école s’inscrit dans un plan1 plus global de soutien à la médecine vétérinaire des animaux de rente. En tout, un peu plus de 26 millions d’euros ont été dédiés à ce plan : 24 millions étant attachés au projet de l’école, il ne reste donc plus que de 2 millions pour le reste, soit 400 000 euros par an.

Des mesures actées

Une première série de mesures correspond à des mesures déjà mises en œuvre ou prêtes à démarrer. Il y a celles qui visent à pérenniser l’exercice rural. Jusqu’à 300 000 euros par an pourraient y être consacrés. À ce stade, il n’y a pas encore de détails précis sur les actions hormis que l’argent devra aider à construire des nouveaux modèles, comme la contractualisation avec les éleveurs, la délégation de certains actes à des auxiliaires spécialisés vétérinaires infirmiers, la création de structures type Samu vétérinaire, les relations avec les acteurs économiques des filières, etc.

D’autres mesures sont attachées à la formation initiale. Un premier dispositif vise les étudiants vétérinaires de dernière année. Le principe : un soutien financier de 6 000 euros par étudiant, pour au maximum six étudiants (soit un budget de 36 000 euros par an), qui s’engageraient à suivre pour leur dernière année d’études, un master One Health et santé publique à l’université de Limoges, suivi d’une installation pour au minimum cinq ans sur le territoire en exercice rural. Un budget est aussi consacré aux stages tutorés. Les praticiens engagés à accueillir des stagiaires pourraient prétendre à recevoir, outre le budget déjà prévu par le ministère (6 500 euros par étudiant en 2020), un financement régional de 3 000 euros par étudiant. Pour cette mesure, la région se fixe un maximum de 15 étudiants stagiaires par an, ce qui correspond à une enveloppe budgétaire de 45 000 euros par an.

Des mesures complémentaires

D’autres pistes de mesures sont évoquées : soutien aux étudiants stagiaires via des indemnités de logement et de déplacement ; action de sensibilisation au métier de vétérinaire dans les lycées agricoles de la région ; soutien aux études aux élèves avec un profil agricole ; soutien aux investissements et équipement des cabinets vétérinaires ruraux ; accompagnement à la professionnalisation via des formations en gestion d’entreprises pour les vétérinaires et des formations pour les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) et éleveurs vers des métiers d’infirmiers vétérinaires ; aide à l’installation avec un objectif de 120 jeunes dans les cinq ans.

À noter : dans le plan, 50 000 euros de budget par an sont consacrés à la semaine d’intégration des étudiants de première année du post-bac des quatre ENV.

1. bit.ly/3cx2wwW

  • 1. L’application du plan est dans l’attente de la prochaine loi de finances 2023.
  • 2. La signature définitive du CPER est toujours en attente.
  • 3. Le budget total du CPER s’élève à environ 1921 millions d’euros.
    Le projet de l’école publique correspond donc à un peu plus de 1 %
    du budget total du CPER.