Technique de pointe
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Fabrice Jaffré
Une formation à la chirurgie robotique s’est déroulée du 11 au 15 juillet 2022 près de Nancy, réalisant ainsi une première mondiale en médecine vétérinaire. Qu’apporte la chirurgie robotique par rapport à la cœlioscopie ? Quelles sont ses limites ? Et quel avenir lui prédire ? Voici quelques éléments de réponse.
La formation en robotique vétérinaire, organisée du 11 au 15 juillet 2022 à la faculé de médecine Nancy-Brabois (Meurthe-et-Moselle), a réuni huit vétérinaires. Au programme des quatre jours et demi figuraient la formation aux techniques microchirurgicales, l’entraînement sur simulateur et la réalisation d’une chirurgie en laboratoire humide (ou expérimental). Les initiateurs du projet étaient Velvet Innovative Technologies, le professeur Nguyen Tran, porteur du projet du futur Centre d’entraînement aux pratiques avancées vétérinaires1, ainsi que Jérôme Maire (Lyon 89), praticien et consultant chez Velvet Innovative Technologies.
En chirurgie humaine, les premiers robots ont véritablement fait leur entrée dans les blocs opératoires au début des années 2000. À ce jour, plus de 6 700 robots Da Vinci (de la société Intuitive Surgical, leader mondial) sont en fonction dans le monde, avec plus de 10 millions de procédures chirurgicales effectuées2. La France est le troisième pays au monde en nombre pourvu de systèmes Da Vinci, avec environ 130 robots installés.
Si la formation en chirurgie robotique vétérinaire réalisée à Nancy représente une première mondiale, cela fait plusieurs années que des expériences ont eu lieu en médecine animale. En 2010 par exemple, un robot Da Vinci-S a été utilisé pour la suture d’artères et de nerfs chez le rat et pour la réimplantation d’un membre chez un porc3. En 2020, une prostatectomie à l’aide d’un robot Da Vinci s’est déroulée avec succès chez un chien atteint d’un adénocarcinome de la prostate4.
Fonctionnement du robot
À l’instar de la laparoscopie (ou cœlioscopie abdominale), le robot chirurgical permet de réaliser une chirurgie mini-invasive.
Le robot proprement dit, situé au-dessus de l’animal, comporte trois ou quatre bras manipulateurs (selon les modèles). L’un d’entre eux est équipé d’une caméra avec deux canaux optiques séparés, afin d’offrir au chirurgien une vision stéréoscopique haute définition. Les autres sont dotés à leur terminaison d’un poignet miniature, qui porte un instrument interchangeable : une pince de dissection, un bistouri électrique, un scalpel, un porte-aiguille, etc. Ils disposent de sept degrés de liberté afin de reproduire les possibilités de mouvements du poignet, de l’avant-bras et d’action des doigts.
Une seconde partie comprend, outre le siège, deux écrans pour la vision stéréoscopique (avec un zoom grossissant jusqu’à 10 fois) et deux manettes pour contrôler simultanément deux instruments chirurgicaux. Plusieurs pédales permettent au chirurgien de manipuler la caméra, de sélectionner les bras qui vont être contrôlés, ou encore d’actionner la coagulation.
« La chirurgie robotique est particulièrement indiquée pour la chirurgie viscérale, précise Nguyen Tran. On la limitera aux animaux de plus de 15 kg, en l’absence actuelle de robot adapté aux petits animaux ». « Elle se révèle particulièrement bien adaptée pour la prostatectomie, la gastropexie, la cholécystectomie et la néphrectomie », ajoute Éric Monnet (Alfort 85), professeur en chirurgie des petits animaux à l’Université d’État du Colorado (Colorado, États-Unis), qui a fait partie des huit vétérinaires formés en juillet. « Concernant la prostatectomie par exemple, la chirurgie robotique va permettre de mieux visualiser et préserver les pédicules neurovasculaires afin de diminuer les risques d’incontinence urinaire. L’anastomose vésico-urétrale sera également plus facile à réaliser qu’en laparoscopie. »
De nombreux avantages
L’adage « grande cicatrice, grand chirurgien » des années 90 n’est plus : la tendance est à la forte réduction de la taille des cicatrices, ce qui permet souvent d’éviter le port d’une collerette en postopératoire, et qui est particulièrement adaptée aux animaux devant se relever rapidement.
La chirurgie robotique se démarque de la laparoscopie en ce qui concerne la maniabilité des instruments (deux à trois degrés de liberté de plus), la vision stéréoscopique (qui apporte la profondeur), une image stable (la caméra est fixée sur le bras du robot) et une position assise plus confortable.
Elle améliore également la précision du geste, en filtrant numériquement les tremblements de l’opérateur. De plus, elle permet une démultiplication du déplacement : par exemple, avec un rapport d’1/5e, l’instrument ne bouge que de 2 mm si le chirurgien déplace sa main d’un centimètre.
Sa courbe d’apprentissage est plus courte que celle de la laparoscopie, facilitée par la concordance entre les mouvements des manettes et ceux reproduits dans la cavité abdominale. « Les vétérinaires pratiquant déjà la microchirurgie se révèlent spontanément plus à l’aise avec la robotique que les habitués de la laparoscopie », souligne Nguyen Tran.
Au final, la chirurgie robotique permettrait une baisse des saignements, une diminution du risque de complications, une limitation des douleurs postopératoires et une réduction de la durée d’hospitalisation. De la littérature scientifique en humaine ressort en moyenne un taux de complication plus faible et une durée d’hospitalisation plus courte qu’en laparoscopie, mais avec un temps opératoire plus long5. En médecine vétérinaire, les premiers résultats encourageants doivent être confirmés par des études comparatives plus complètes.
Au prix fort
La chirurgie robotique a un coût élevé : le prix d’un robot Da Vinci dernier modèle est de 1 à 2 millions d’euros selon le modèle. Il faudra y ajouter le contrat de maintenance (10 % du prix d’achat) et le coût du matériel jetable à chaque opération (quelques centaines d’euros).
À l’heure actuelle, les nombreux avantages de la chirurgie robotique, tant pour l’animal que pour le chirurgien, ont donc du mal à compenser le surcoût global. La formation réalisée en juillet (d’autres sessions vont être programmées) témoigne pourtant d’un intérêt certain de la profession envers la chirurgie robotique, qui gomme de nombreux inconvénients de la laparoscopie. « L’apparition de robots plus petits ou le développement de concurrents au Da Vinci pourraient favoriser son développement dans le monde vétérinaire, souligne Nguyen Tran. Mais déjà certaines universités se positionnent, comme l’université de Cornell, qui a un projet d’acquisition d’un robot Da Vinci, probablement en 2023 », précise Nguyen Tran. Même optimisme du côté d’Éric Monnet : « Je suis convaincu que la chirurgie robotique sera disponible dans des centres spécialisés vétérinaires dans les 5 à 10 ans ».
Le couplage avec l’intelligence artificielle pourrait aider le vétérinaire à choisir la meilleure stratégie opératoire. Alors, chirurgien-robot-IA, sera-ce la triade vétérinaire des années 2030 ?