Nouveau gouvernement, législatives : de grands enjeux en santé animale  - La Semaine Vétérinaire n° 1953 du 23/08/2022
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La Semaine Vétérinaire n° 1953 du 23/08/2022

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Michaella Igoho-Moradel

Les défis du quinquennat et de la XVIe législature ne manquent pas : prévention des maladies zoonotiques émergentes, déserts vétérinaires, souveraineté alimentaire, bien-être animal…

Après le scrutin de juin dernier, le Syndicat du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV) a choisi un thème d'actualité pour sa conférence annuelle, qui s'est tenue le 28 juin 2022 à Paris : « Quelle politique, pour la santé animale, dans la nouvelle feuille de route gouvernementale  ? » Si la santé animale semble avoir été la grande oubliée des débats électoraux, les pandémies, qui s'enchaînent, rappellent pourtant qu'il est indispensable que les politiques se saisissent de ce sujet. Gilles Salvat, directeur de laboratoire et directeur de la santé animale et du bien-être des animaux à l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et Jean-Luc Angot, président de la section « prospective, société, international » du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), ont tour à tour abordé les enjeux en santé animale pour le gouvernement et la nouvelle législature.

Brassages et transmissions inter-espèces

Le Covid-19 et plus récemment le monkeypox rappellent que la santé humaine et la santé animale sont liées. L'être humain partage en effet environ 60 % des maladies récentes avec les animaux et cela va jusqu'à 75 % pour les maladies émergentes. « La plupart des émergences viennent de virus animaux car c'est là que sont les ressources de virus à travers l'intrusion violente de l'humain dans la biodiversité » explique Gilles Salvat. Pour lui, le mécanisme d'émergence actuel fait que demain plus de 75 % des émergences seront d'origine animale. « Actuellement, lorsque l'on va chercher du coltan dans une forêt au Congo, cela crée une urbanisation et un contact avec des espèces animales qui sont des réservoirs de virus.Qui dit biodiversité animale dit biodiversité virale ! » Pour le biologiste, la prochaine crise sera certainement une grippe «  car c'est un virus qui s'y prête bien et est très présent dans le monde animal. » Il cite l'actuelle épizootie de grippe aviaire hautement pathogène (IAHP), connue jusqu'alors comme un virus « d'épizootie », qui présente le risque de devenir endémique. « Si ces virus circulent durablement, ils passeront sur le cochon et ensuite à l'humain » alerte Gilles Salvat. Présents dans la faune sauvage, les coronavirus restent aussi de bons candidats pour une nouvelle émergence. « En France, ce sont les bêtacoronavirus, présents chez les hérissons, qui sont une source d'émergence. » Et puis, il y a des candidats inattendus comme le monkeypox et des « virus de maladies vectorielles, qui ont une propension à la pandémie mais avec moins de cas massivement. » L'antibiorésistance est aussi un enjeu majeur. En matière de santé publique et de santé animale, les défis sont donc nombreux. L'Anses travaille sur une liste prioritaire de virus pour lancer des programmes de recherche sur les émergences.

Des enjeux portés à l'international

L'anticipation est le maître mot. Jean-Luc Angot rappelle que de nombreux textes réglementaires ont été pris avec des mesures incitatives pour favoriser la vaccination notamment dans les élevages. Il cite l'encadrement juridique du mandat sanitaire, le plan Écoantibio ou encore la plateforme d'épidémiossurveillance en santé animale. « Pour la préparation de la loi de santé animale, la position française a été très axée sur la surveillance. Ce point a été intégré dans le texte alors qu'il n'existait pas avant » relate Jean-Luc Angot. Pour prévenir les risques de zoonoses et de pandémies, la France a également lancé en 2021 l'initiative internationale "Prezode". Au niveau européen, des évolutions réglementaires sont attendues en matière de vaccination (fièvre aphteuse ou IAHP). « Cela amène à revoir les négociations au niveau international. L'Organisation mondiale de la santé animale (Omsa) a élaboré des normes internationales de référence sur les maladies et les échanges d'animaux et de produits, reprises dans le cadre de l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. Ce sujet est toujours sensible car il y a une vision différente du sanitaire selon les pays. En Europe, les normes sont élevées en matière de bien-être et de santé animale. 95 % de la réglementation sur l'alimentaire et la santé animale vient de l'Union européenne (UE). » Le chemin à parcourir est long. Jean-Luc Angot regrette par exemple l'absence d'une réglementation obligeant les pays tiers à appliquer des normes spécifiques en matière de bien-être animal. « Il est nécessaire d'introduire dans la réglementation européenne des clauses miroirs ou de prévoir dans le cadre d'accords de libre-échange des clauses spécifiques en matière de santé animale et de bien-être animal. » Autre enjeu important avec la guerre en Ukraine, la souveraineté alimentaire. Pour la première fois, ce concept est clairement identifié dans le portefeuille du ministère de l'Agriculture. Les intervenants s'accordent à dire que des politiques nationales et européennes doivent être prises pour relever ce défi.

Le défi de la souveraineté alimentaire

« L'Europe ne pourra pas nourrir le monde. L'agriculture européenne doit être structurée pour nourrir les Européens. Est-ce que cela peut se faire en faisant du bio ? » interroge Gilles Salvat. Pour le biologiste, il faut se demander si l'agroécologie est viable à l'échelle européenne. Il est nécessaire d'évaluer les bénéfices et les risques de l'élevage en plein air. « Ce sont des questions délicates pour les personnes qui défendent une forme d'écologie. Ce sont des mutations profondes qui ne se font pas à la faveur d'une campagne électorale, il faut des plans sur le long terme ». La France a les outils nécessaires a rappelé Jean-Luc Angot. Il y a le plan protéines végétales, qui vise à réduire la dépendance de la France aux importations de protéines végétales des pays tiers, et le plan de résilience économique et social pris par le gouvernement suite à la crise ukrainienne, tous les deux lancés dans le cadre de politiques publiques. Quid des aides aux éleveurs ? Des gains de productivité liés à la santé animale sont possibles. « Des mesures d'accompagnement financier existent. Les maladies animales sont responsables de 20 à 30 % des pertes au niveau mondial. Nous avons encore du potentiel de production si l'on parvient à maîtriser la santé animale et à éviter les pertes et le gaspillage alimentaire » martèle Jean-Luc Angot. L'industrie de la santé animale se trouve au carrefour de tous ces enjeux comme en matière de recherche. « Dans le public, nous pouvons travailler sur des maladies orphelines ou des espèces mineures ; des domaines dans lesquels les industriels ne vont pas mettre un maximum de leurs moyens en recherche et développement. Nous pouvons faire des concepts vaccins et ensuite trouver des relais industriels pour les produire s'il y a un intérêt » explique Gilles Salvat.

Le bilan optimiste de Loïc Dombreval

En conclusion, Loïc Dombreval (A90), ancien député (LREM) des Alpes-Maritimes (2 e circonscription), a partagé son bilan du premier quinquennat d'Emmanuel Macron sur la condition animale. « L'image du président de la République et de la majorité présidentielle, a été assez injuste au regard des avancées qui ont été faites. Sur le bien-être animal, comme sur l'écologie, on n'en fait jamais assez. On a toujours des associations militantes qui considèrent que l'action politique est insuffisante et qu'il faut toujours en faire plus. » De nombreux défis restent à relever. « Le premier est le désert vétérinaire, c'est un vrai problème qui met en péril la structure de notre élevage, de même que les conditions d'élevage et de travail des éleveurs. L'autre enjeu est la mise en œuvre du One Health à un niveau international avec une approche très locale par l'attribution aux régions d'une compétence « Santés ». Le bien-être animal sera un thème qui se développera mais qui en sera le relais à l'Assemblée nationale. Y aura-t-il des lois effectivement votées ? Je n'en suis pas certain au regard des profils qui se sont radicalisés dans un certain nombre de groupes politiques. » Autre sujet : la question de la viande cellulaire. « Tous les grands instituts précisent qu'en 2040 nos assiettes en auront. Peut-être devra-t-on vivre cette transition alimentaire ? »

Santé animale et partis politiques

Bertrand Neveux, gérant du cabinet Net’UpWellinG, a présenté les tendances tirées d’une cartographie des positionnements des partis politiques sur la santé animale. « J’ai eu beaucoup de mal à trouver des candidats qui ont parlé de santé animale. C’est la première fois que je vois cela lors d’une campagne » a constaté Bertrand Neveux au sujet de la campagne présidentielle. Le bien-être animal est passé devant la santé animale. La quasi-totalité des candidats ont en effet pris position sur le bien-être animal, très souvent sur les réseaux sociaux et en réaction à une actualité immédiate. Comme pour d’autres thèmes, qui suscitent des débats dans l’opinion publique, ce sujet a été au cœur de batailles virtuelles menées par les candidats notamment sur Twitter. Selon Bertrand Neveux, le bien-être animal a même été utilisé par certains candidats pour « attaquer le modèle agricole actuel ». Par exemple, les épizooties successives d’influenza aviaire ont été utilisées par des candidats pour pointer du doigt le système agricole français, quitte à partager des contre-vérités, notamment sur le rôle de la faune sauvage dans la propagation des virus. « Il y a eu énormément de connexions faites avec la crise Covid-19 ». Autre tendance de ces campagnes électorales, des ONG de protection animale ont demandé aux candidats de se positionner clairement par rapport au bien-être animal. Leurs programmes ont été décortiqués et notés. Objectif : engager les candidats à la présidentielle et aux législatives en faveur des animaux.