Toxicologie clinique
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Ce toxique induirait rarement une insuffisance rénale aiguë chez le chien, et plus souvent des troubles digestifs, lesquels sont aussi rapportés chez le chat, selon les données du centre néerlandais antipoison vétérinaire.
Parmi les multiples toxiques des carnivores domestiques, on trouve le raisin (Vitis vinifera), rappelle une publication1 faite par le centre néerlandais antipoison vétérinaire de février 2022 dans le Journal of Small Animal Practice. La connaissance de la toxicité de ce fruit est récente, depuis 2001, quand des premiers cas d’insuffisance rénale aiguë avaient été rapportés chez des chiens. À ce jour, on ne sait pas grand-chose de la pathogenèse de la toxicité, et les cas décrits ne penchent pas en faveur d’une relation de dose à effet. De fait, le postulat actuel est de dire qu’il faut traiter tous les chiens ayant consommé ce fruit (ou produits en contenant), quelle que soit la quantité ingérée, avec notamment une fluidothérapie d’au moins 48 heures (voir encadré). Afin de pouvoir mieux justifier cette approche, les équipes du centre antipoison ont mené une étude prospective sur toute l’année 2018. Quatre-vingt-quinze chiens ont été inclus dans l’étude, mais aussi 13 chats. Pour ces derniers, il n’y a quasiment pas de données dans la littérature actuellement, si ce n’est le signalement en 2009 par le centre antipoison vétérinaire de Londres2 de deux cas d’insuffisance rénale aiguë associé à la consommation de raisins.
Un seul chien avec une IRA
70 chiens avaient ingéré des fruits y compris des raisins secs, tandis que les 25 autres avaient consommé des produits alimentaires en contenant (gâteaux, jus de raisin). Il en ressort que 86,3 % n’ont pas développé de signes cliniques. Pour les autres, la plupart présentaient des troubles digestifs. Seul un chien a développé une insuffisance rénale aiguë : il s’agissait d’une chienne stérilisée de race croisée labrador/rottweiler, qui avait ingéré environ 25 raisins rouges. Cette chienne n’avait pas développé de signes cliniques les premières heures après ingestion de raisins, ce qui avait déjà été décrit dans une précédente étude. Elle est restée hospitalisée pendant 10 jours, avec à la sortie, une persistance de la polyuro-polydipsie et une créatinine sanguine élevée. Seuls quatre chiens ont été traités selon les recommandations actuelles, les autres ayant reçu un traitement partiel avec ou pas une mise sous perfusion. Huit chiens n’ont pas du tout été amenés chez le vétérinaire, sans conséquence clinique particulière. Une semaine après, tous les chiens – excepté la chienne ayant développé une insuffisance rénale aiguë (IRA) – étaient en bonne santé.
Des chats peu médicalisés
Deux chats avaient consommé un quart ou un raisin entier, tandis que les 11 autres avaient ingéré des raisins secs. Au final, seuls deux chats ont présenté des signes cliniques (15,4 %) l’un chat ayant vomi et l’autre ayant été anorexique pendant 12 heures. Les analyses biochimiques faites sur 6 chats n’ont pas révélé d’anomalies. Un chat n’a pas consulté le vétérinaire. Certains chats ont reçu des traitements, dont l’administration d’émétiques, mais seul un individu a été hospitalisé pour une mise sous perfusion intraveineuse, mais en prévention d’une éventuelle dégradation de son état général. Une semaine après, tous les chats étaient en bonne santé.
Des questions ouvertes pour le traitement
Ces résultats confirment ainsi déjà la vigilance nécessaire suite à une ingestion de raisins : en effet, l’incidence globale des signes cliniques est significative, aux alentours de 15 % chez les chiens comme chez les chats, sachant qu’elle oscille entre 12 et 43 % suivant les études. En revanche, pour cette étude, les conséquences cliniques sont en général de faible gravité, puisque le développement d’une insuffisance rénale aiguë n’a concerné qu’un seul chien, et aucun chat. Les précédentes études à ce sujet avaient révélé des incidences très variables : de 0,17 % à 32,6 % ! Pour les auteurs, s’il ne peut être exclu la présence de lésions rénales subcliniques, « l’incidence de l’IRA due aux fruits de Vitis dans une population de patients liée à un centre d’information antipoison a diminué de 10 % (32,6 %) à 1 % dans cette étude et pourrait encore diminuer lorsque des populations plus importantes sont analysées ». De plus, les études menées jusqu’à présent sont rétrospectives, avec des données potentiellement incomplètes ou absentes, et issues de différentes sources (cliniques d’urgence, hôpitaux universitaires, centres antipoison), ce qui pose la question de savoir si les incidences rapportées, tant pour les signes cliniques que pour l’IRA, sont vraiment représentatives de ce qui est vu en clientèle généraliste. Au vu des données partielles disponibles, des questions restent donc aussi ouvertes pour la prise en charge médicale. Pour le chat, l’emploi d’émétiques peut être envisagé, mais sans que cela ne soit suffisamment étayé. Ceci dit, les auteurs remarquent que des chiens ont expulsé, après administration d’un émétique, des morceaux de raisins jusqu’à 12 heures après l’ingestion, justifiant d’y avoir recours au-delà des premières heures post-ingestion.
Quelles recommandations de traitement ?
Comme il est résumé dans l’étude, la plupart des chiens vont présenter des signes cliniques dans les 24 heures suivant l’ingestion de raisins. Les signes cliniques sont des vomissements, de la diarrhée, de l’apathie et anorexie, pouvant se compliquer d’une insuffisance rénale aiguë (PUPD, oligurie-anurie, ataxie, douleur abdominale) dans les 24 à 48 heures après l’ingestion. Dans les cas les plus sévères, l’animal peut présenter des signes neurologiques. Au centre néerlandais antipoison vétérinaire, il est recommandé de traiter de manière agressive tous les chiens, quelle que soit la dose ingérée. Le traitement consiste en l’administration d’émétiques et de charbon actif, en association avec une fluidothérapie par voie intraveineuse pendant au moins 48 heures. Une surveillance des paramètres sanguins biochimiques doit être effectuée pendant 72 heures. L’utilisation d’autres biomarqueurs rénaux plus spécifiques comme le diméthylarginine symétrique (SDMA), peut être envisagée. En cas de développement d’une insuffisance rénale aiguë, le traitement devra être prolongé jusqu’à amélioration.