Quelles sont les perspectives d’avenir du vétérinaire en filière apicole ? - La Semaine Vétérinaire n° 1951 du 01/07/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1951 du 01/07/2022

EXPRESSION

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Depuis plusieurs années, les vétérinaires s’investissent dans la filière apicole, ce qui s’est notamment matérialisé au niveau de la formation, par le diplôme inter-universitaire en apidologie et pathologie apicole à Oniris et sur le terrain, par le lancement d’une expérimentation territoriale d’un dispositif de veille sanitaire, l’Observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère1 (Omaa), coordonné par un réseau de vétérinaires compétents en apidologie. Magré cet engagement, des freins persistent pour le développement de la médecine vétérinaire en apiculture.

François Rabasse

Vétérinaire animateur de la section apicole GTV/OVVT Île-de-France

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Améliorer la gouvernance sanitaire

Exercer une activité vétérinaire en apiculture n’est pas rémunérateur : l’activité est exercée par des passionnés. Culturellement, le secteur apicole ne fait pas spontanément appel aux vétérinaires, et les missions pour les services de l’État (mandat sanitaire) ou un dispositif d’utilité publique, comme l’Omaa, constituent le principal levier de financement des praticiens… Pourtant, il est admis que la gestion sanitaire est la clé de la survie de la filière, et les vétérinaires apicoles qui une bonne connaissance de la zootechnie et de la pathogénie sont les plus qualifiés. Si l’évolution des habitudes des professionnels prend du temps, une gouvernance sanitaire plus lisible ou la généralisation d’un dispositif de type Omaa sur le territoire national permettrait d’avancer. Cet outil d’épidémiosurveillance en temps réel rendrait un vrai service aux professionnels, à un coût raisonnable. Les choses vont bouger, d’autant que l’abeille s’invite dans le débat public, et je ne vois pas d’alternative viable à la disparition préoccupante et continue des populations d’abeilles et de pollinisateurs.

Huguette Jalon (Lyon, 2008)

Praticienne rurale, PSE apicole GDS42 (Loire), répartitrice/investigatrice Omaa Auvergne-Rhône-Alpes, mandatée en apiculture dans la Loire

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Être persévérant

Je constate une nette différence entre les apiculteurs amateurs et professionnels. Les premiers sont demandeurs de conseils vétérinaires, et assez à l’écoute. Ce sont les principaux usagers de l’Omaa. Dans mon secteur, les professionnels n’ont pas une grande estime pour ce dispositif de veille sanitaire. Globalement, ils sont plutôt réfractaires aux interventions vétérinaires dans leur rucher. Ils voient le vétérinaire comme une personne qui alourdira les charges liées au sanitaire et imposera des nouvelles règles. Pour eux, le niveau d’expérience en apiculture l’emporte sur la formation sanitaire. Le fait que la filière apicole soit peu organisée, avec de multiples structures et intervenants, et des discours disparates sur la gestion du sanitaire, complique aussi cette situation. Il faut être persévérant pour faire sa place. Je m’aperçois tout de même que je commence à me faire connaître dans le département, via le plan sanitaire d’élevage apicole (PSE), avec des apiculteurs qui me sollicitent pour des conseils, mais il s’agit encore surtout d’apiculteurs amateurs.

Pascal Gilles (Lyon, 1995)

Praticien mixte canin, vétérinaire conseil groupement de défense sanitaire section apicole, répartiteur/investigateur Omaa, mandaté en apiculture

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Trop de freins pour durer ?

L’activité a du mal à décoller, car notre expertise est récente : nous faisons encore nos preuves. Il y a peu de travail pour un vétérinaire apicole débutant, ce qui ne facilite pas la montée en compétences, et entretient la méfiance des apiculteurs. Pros ou amateurs, ils ne sont pas prêts à payer un conseil vétérinaire. Notre rémunération est encore fortement dépendante de l’État, qui finance notamment nos missions dans l’Omaa ou encore la gestion des dangers sanitaires. Avec la disparition prochaine de la loque américaine (Paenibacillus larvae) des dangers réglementés, la question de la pérennité économique de l’exercice vétérinaire se pose, en particulier dans les départements sans Omaa. Et donc in fine du maillage vétérinaire en apiculture, encore en construction. Le monde apicole peut aussi être réfractaire à certaines règles et l’exercice illégal de la médecine vétérinaire par des techniciens est encore trop répandu, limitant nos marges de manœuvre sur le terrain. Les vétérinaires qui s’engagent en apiculture peuvent se décourager et laisser tomber l’activité, de toute façon marginale.

  • 1. L’Observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère est un dispositif de surveillance évènementielle, mis en place en 2017 dans trois régions pilotes : en Bretagne, dans les Pays de la Loire Loire et en Auvergne-Rhône-Alpes. Son objectif est de détecter précocement les anomalies de santé en cours dans la filière, d’améliorer leur compréhension, et de consolider le maillage sanitaire apicole.
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