Microbiote ruminal : dysbiose et santé ruminale - La Semaine Vétérinaire n° 1951 du 01/07/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1951 du 01/07/2022

ALIMENTATION

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy

Récemment, des relations ont été mises en évidence entre microbiote ruminal, santé ruminale ou dysbiose. Tiruvoor. G. Nagaraja, professeur de microbiologie au Collège de médecine vétérinaire de l’Université du Kansas, a présenté les dernières connaissances sur le sujet.

Le microbiote ruminal est un écosystème anaérobie composé de bactéries, d’archées et d’eucaryotes (procayotes, champignons et de nombreux phages, y compris bactériophages). Il existe trois principaux phylums bactériens dans le rumen, représentant 90 % de la population bactérienne ruminale. D’abord le phylum des firmicutes (Butyvibrfio, Clostridium, Lachnospira, Lactobacillus, Megasphaera, Ruminococcus, Selenomonas, Streptococcus…), puis celui des Bacteroïdetes, avec le genre Prevotella et enfin celui des protéobactéries (Ruminobacter, Succinomonas, Succinivibrio). Les 10 % de bactéries restantes appartiennent à des phylums bactériens mineurs (Actinobacteria, Spirochaetes, Tenericutes, Fibrobacteres, Synergistetes, Fusobacteria, Sachharibacteria, Cyanobacteria, Verrucomicrobia).

Évolution du microbiote ruminal en fonction de la ration

En fonction de la composition de la ration, et plus particulièrement de la teneur en céréales, les proportions relatives des populations bactériennes évoluent. Ainsi, en introduisant 80 % de céréales dans la ration, les populations bactériennes se modifient, avec une augmentation numéraire des Firmicutes et des Bactéroidetes, notamment des genres Actinobacillus, Alcanivorax, Arthrobacter, et Taylorella. De plus, cela modifie également leurs proportions relatives, puisque le ratio firmicutes/bacteroidetes passe de 1,49 avec une ration uniquement à base de fourrage versus 0,89 avec une ration composée à 80 % de céréales.

Le microbiote ruminal comprend celui du contenu ruminal mais également celui de la paroi. Les bactéries épimurales sont en majorité protéolytiques et uréolytiques (Eubacterium, Corynecaterium, Lactobacillus, Micrococcus, Propionibacterium, Staphylococcus, Streptococcus). La particularité de ces bactéries est d’être peu affectées par la composition de la ration et de ne pas être impliquées dans la digestion alimentaire. En effet, la comparaison du microbiome des papilles ruminales et du contenu montre une population de firmicutes plus importante, mais moins de bacteroïdetes et de protéobactéries. Le phylum Epsilonbacteracea, comprenant essentiellement un Campylobacter non pathogène, dont le rôle est inconnu, est quant à lui surreprésenté dans l’épithélium. Le microbiote épithélial est constitué de moins de bactéries, mais de plus d’espèces bactériennes que celui du contenu ruminal. Si la proportion de phylum du microbiote épithélial évolue peu avec l’augmentation de la teneur en céréales, une étude montre que les changements (augmentation des firmicutes et diminution des protéobactéries) sont toutefois significatifs.

Acidose aiguë et subaiguë

La dysbiose ruminale la plus courante est l’acidose. Elle est susceptible d’être à l’origine d’une myriade de troubles (ruminite, abcès hépatiques, boiteries, polioencéphalomalacie, acidose systémique, météorisation gazeuse, météorisation spumeuse, baisse du taux butyreux, etc).

Il convient de distinguer l’acidose clinique de l’acidose subclinique (SARA pour Sub Acute Ruminal Acidosis), bien plus répandue. En dehors des considérations cliniques, l’acidose aiguë se caractérise par un pH ruminal inférieur à 5 (entre 5 et 5.5 lors d’acidose subaiguë), un contenu ruminal riche en acide lactique (la teneur est normale lors d‘acidose subaiguë) et une teneur en acides gras volatils (AGV) en dessous de la normale (elle est élevée en cas d’acidose subclinique). Lors d’acidose aiguë, seules les bactéries productrices d’acide lactiques sont en augmentation (S. bovis, Lactobacillus). En revanche, en cas de SARA, les populations de lactobacilles ainsi que les bactéries utilisatrices d’acide lactique (Megasphaera elsdenii, Selemonas ruminantium et protozoaires ciiés) augmentent.

Le pH ruminal est amené à changer au cours de la journée. On considère ainsi qu’un animal est atteint de SARA lorsque son contenu ruminal se situe pendant plus de 4 heures/j en dessous d'un pH de 5,6.

Accumulation de toxiques

Lors d’acidose aiguë, des produits toxiques s’accumulent dans le rumen, notamment l’éthanol, l’histamine, et des endotoxines. Ces dernières augmentent également lors de SARA. L’endotoxine, ou LPS (lipopolysaccharide) est un constituant de la paroi externe des bactéries gram-. La portion lipidique est responsable de l’activité biologique, la portion polysaccharidique joue un rôle dans l’antigénicité. En effet, la population d’Escherichia coli augmente avec la part des céréales dans la ration. En cas de SARA, l’augmentation des LPS est forte dans le rumen, l’intestin et les fèces, mais pas dans le plasma.

Malgré des différences structurelles des épithéliums ruminaux (4 couches stratifiées) et intestinaux (une seule couche et production de mucus), en présence de LPS et à pH acide, leur perméabilité augmente considérablement. Ainsi, en milieu acide, et en présence d’endotoxines, une inflammation systémique se met en place, caractérisée par une forte augmentation de la concentration sérique en amyloïde A et haptoglobine.

Rôle mécanique du fourrage

L’intégrité des papilles ruminales, essentielles au fonctionnement du rumen, est conditionnée par la présence de fourrage, fournissant les stimulations physiques et chimiques optimales pour le maintien de leur santé par effet de « grattage ». Avec une ration à base de céréales, les papilles ruminales ne présentent pas le même aspect, par manque de stimulation physique, entraînant une ruminite chronique, puis une parakératose, à l’origine d’une diminution des facultés d’absorption des AGV du rumen, dont l’accumulation engendre de l’acidose.

Ainsi, l’acidose ruminale limite la fonction de barrière ruminale, ce qui favorise également l’invasion microbienne et la ruminite avec l’installation de champignons responsables de nécrose ruminale, de ruminite bactérienne. Deux pathogène de l’intestin (Truperella pyogenes dans l’épithélium et Fusobcterium necrophorum anaérobie présent dans le contenu et l’épithélium) peuvent coloniser le rumen, voire le foie et engendrer des abcès hépatiques, particulièrement problématiques en ateliers d’engraissement aux Etats-Unis.

Certains biomarqueurs peuvent aider au diagnostic d’une SARA, et en premier lieu, la diminution de l’ingestion. En cas de SARA, il existe généralement une chute du taux butyreux du lait, facilement objectivable. La ration doit alors être rééquilibrée, en augmentant la part du fourrage, ce qui favorise également la mastication, et donc la production de salive, à fort rôle tampon.

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