Bilan de l’enquête sur la souffrance au travail
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Les résultats de l’enquête de l’Ordre et l’association Vétos-Entraide sur la souffrance au travail doivent inciter toutes les organisations professionnelles à se mobiliser. Le point avec Corinne Bisbarre, responsable de la commission sociale du Conseil national de l’ordre des vétérinaires.
Au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, un des chantiers majeurs de 2022-2023 sera celui de l’obligation de permanence et de continuité des soins, explique Corinne Bisbarre.
Quel bilan faites-vous de cette enquête ?
Nous voulions disposer d’une étude scientifique rigoureuse et représentative sur la souffrance au travail des vétérinaires. C’est chose faite. Les résultats de l’enquête menée par l’équipe du professeur Didier Truchot du laboratoire de psychologie de l’Université Bourgogne-Franche-Comté confirment ce que de précédentes études internationales avaient indiqué. L’enquête révèle un risque accru de burn-out chez les jeunes vétérinaires, les femmes, les vétérinaires en milieu urbain et semi-urbain et les praticiens exerçant en médecine des animaux de compagnie. Les commentaires laissés par les répondants dans l’espace expression libre en fin de questionnaire sont riches en informations. Ils nous apprennent notamment qu’il faudra se pencher sur le rapport entre salariés et employeurs libéraux, et sur l’organisation du travail. Il sera sans doute nécessaire d’accentuer la formation au management, en particulier la gestion humaine au sein de l’entreprise, afin d’apprendre aux futurs employeurs à accueillir différemment les jeunes vétérinaires dans leur structure, à leur faire gagner en confiance, à leur parler de leur travail, y compris lorsqu’ils font un travail de qualité. Du reste, parmi les stresseurs professionnels listés dans l’enquête, la peur de l’erreur est un facteur qui pèse sur la santé, d’autant plus que le vétérinaire est jeune. Les verbatims montrent aussi que la question de la rémunération joue probablement un rôle. En parallèle, les commentaires laissés par les employeurs, souvent plus âgés, prouvent que tout comme les jeunes diplômés, les libéraux souffrent de leur relation avec leurs salariés, en ce qu’ils ne comprennent pas ou ne voient pas les difficultés qu’ils affrontent en tant que gestionnaires de leur structure. Ces vétérinaires employeurs souffrent de cette image de nantis qui ne correspond souvent pas à la réalité du terrain.
On voit aussi que ce sont les jeunes diplômés qui présentent les scores les plus élevés de workaholisme (addiction au travail au point de travailler à la fois de façon excessive et compulsive). Les jeunes ne sont pas moins engagés dans le travail, au contraire ; en revanche, la jeune génération souhaite certainement bénéficier de conditions de travail différentes.
L’enquête indique un épuisement émotionnel plus marqué dans les réseaux et chaînes de cliniques. Qu’en est-il ?
Il ne s’agit que d’un résultat statistique, de données chiffrées mesurées à un instant T, à prendre avec le recul nécessaire. Cette donnée doit aussi être interprétée en fonction des autres résultats de l’étude, au risque d’être stigmatisée. En effet, l’épuisement émotionnel, une des composantes du burn-out avec le cynisme et la baisse d’efficacité professionnelle, est particulièrement élevé chez les jeunes diplômés, les femmes, les célibataires sans enfants, les vétérinaires urbains et périurbains travaillant auprès d’animaux de compagnie, et les vétérinaires salariés. Or, il semble que ce soit précisément cette typologie de vétérinaires qui soit représentée majoritairement au sein des salariés des chaînes de cliniques ; il nous faudra donc attendre de disposer des résultats de l’étude longitudinale pour savoir si ce résultat statistique est en lien avec le type de salarié concerné ou le type d’employeur, d’organisation du travail au sein d’un regroupement de cliniques. La prudence doit nous pousser à ne pas conclure trop hâtivement ; en revanche il faut nous intéresser à cette donnée et l’approfondir dans les futures étapes de l’enquête.
Quels axes de travail allez-vous engager ?
Toutes les instances professionnelles devront se saisir des résultats de l’enquête. Chacune devra traiter la part qui la concerne. À ce stade, nous pouvons déjà identifier certaines pistes de travail. Le management d’entreprises, la question des rapports entre employeurs et salariés et les niveaux de rémunération. Un des chantiers qui échoit au Conseil national sera celui de la permanence et la continuité des soins. Il est aussi question du maillage territorial, pour laquelle les instances professionnelles sont déjà mobilisées. Mais à court terme, il n’y a malheureusement pas forcément de solution immédiate pour la surcharge de travail qui s’avère le premier facteur de stress, et de loin, de l’ensemble de la profession, salariés et libéraux confondus.
Enfin, la profession va devoir s’interroger sur le taux très important de workaholisme en son sein, tant il est évident qu’une telle addiction ne peut que nuire à la santé de celui ou celle qui en est victime.
L’enquête va être poursuivie. Que peut-on en attendre ?
Il s’agira de faire une étude longitudinale. Elle va nous permettre d’avoir des résultats robustes sur les liens probables de causalité, et de sens de cette causalité, entre la santé des vétérinaires et les facteurs de stress ressentis par la profession. 91 % des participants se sont portés volontaires pour y participer. Un deuxième questionnaire sera mis en œuvre dans le courant de l’automne 2022, soit un an après le premier, puis un troisième au second semestre 2023.