LA CONTRACTUALISATION INDIVIDUELLE : PISTE D’AVENIR EN MIXTE ET EN RURALE ? - La Semaine Vétérinaire n° 1950 du 24/06/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1950 du 24/06/2022

DOSSIER

Auteur(s) : PAR CHANTAL BÉRAUD

La contractualisation individuelle avec les éleveurs a-t-elle de l’avenir ? Elle est encore trop peu scientifiquement documentée. Examen d’une hypothèse qui analyse ses conséquences côté praticiens et regards croisés avec des attentes d’éleveurs bovins.

« Le développement d’un marketing plus élaboré afin de promouvoir l’offre de services en rurale est l’un des enjeux du praticien d’aujourd’hui », notait fin 2016 Matthieu-Pierre Leblanc, en conclusion de sa thèse vétérinaire. Il ajoutait : « Si le développement de leur structure est une évidence pour presque 70 % des praticiens interrogés, il apparaît que pour 30 % d’entre eux, ce développement se fera via la canine, au détriment de la rurale. En effet, les structures vétérinaires mixtes, particulièrement celles de taille moyenne, ont deux choix d’évolution : soit dynamiser la canine, au détriment donc de l’activité rurale, soit parvenir à développer d’autres activités de services en rurale ».

Mieux vivre de la rurale ?

Afin d’obtenir une meilleure rentabilité en rurale, l’une des pistes évoquées depuis plusieurs années est la contractualisation individuelle avec les éleveurs. Selon le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), dans son rapport n° 18119 de décembre 2019, « les contrats éleveurs/vétérinaires semblent en effet présenter divers avantages. Pour l’éleveur, ils permettent de sécuriser son activité, d’améliorer la productivité de son élevage, de pouvoir étaler et programmer les dépenses de santé, et de faire ainsi face à des coups durs plus facilement. Pour le vétérinaire, cela lui permet de développer des relations plus constructives avec ses clients, d’avoir au-delà de la gestion des urgences une approche préventive du troupeau, d’intégrer tous les facteurs de risque, d’optimiser les déplacements et de s’assurer des revenus réguliers ». Mais le CGAER regrette aussi « de n’avoir jusqu’ici pas eu communication de tels contrats “éleveur-vétérinaire” » pour vérifier concrètement les avantages supposés – notamment économiques et médicaux – d’un tel nouveau modèle d’organisation…

Une théorie simple

C’est cette interrogation fondamentale qui a intéressé un jeune confrère, Nicolas Courdent, dans une thèse parue en 20211. « La contractualisation individuelle repose sur la création d’un contrat entre l’éleveur et le vétérinaire, explique-t-il. Elle est à différencier du conventionnement, qui est une contractualisation collective conclue généralement avec une association d’éleveurs. Il s’agit donc d’un contrat où la structure vétérinaire s’engage à la réalisation, en cas de demande de l’éleveur, d’un ensemble d’actes définis par le contrat pour garantir la santé et le bien-être des animaux. Pour sa part, l’exploitant agricole s’engage au versement, à échéances fixes, d’une somme d’argent définie par le contrat ».

Mise en œuvre complexe

La théorie est simple, mais sa mise en pratique reste beaucoup plus complexe puisque les deux parties ont énormément de liberté pour la rédaction du contenu des différentes clauses dudit contrat, en fonction de leurs habitudes de travail en commun et des diversités de leurs situations respectives (type d’élevage, etc.).  « Et là, rebondit Nicolas Courdent, notre profession manque encore cruellement de données. Certes, il est déjà paru des témoignages de pratiques qui permettent de donner du corps à ces concepts. Mais j’ai voulu en chiffrer les impacts réels en termes de rentabilité économique du praticien. Je remercie donc la clinique vétérinaire des Lizardais, en Ille-et-Vilaine, de m’avoir donné accès à ses données puisqu’elle développe justement cette forme de contractualisation, principalement depuis 2015. Quatre vétérinaires (trois associés, un salarié) y travaillent. Son activité est mixte, avec une activité équine marginale. Les animaux soignés sont pour trois quarts des troupeaux laitiers et pour un quart des troupeaux allaitants. » Au premier mars 2021, la structure vétérinaire travaillait donc sous contractualisation avec 44 exploitations laitières (sur un total de 150 exploitations faisant partie au total de sa clientèle). Avec trois offres de contrats de soins différents : le contrat « fécondité », le contrat « sanitaire » et le contrat « global ».

Analyse des évolutions

« Pour constituer mon échantillon, poursuit Nicolas Courdent, j’ai choisi de me concentrer sur 11 exploitations laitières en contrat sanitaire (lire encadré 1), travaillant toutes avec des vaches de race prim’holstein. J’ai donc observé l’évolution de leurs variables d’activité sur deux années consécutives (avant et après la contractualisation). J’explique ensuite dans ma thèse quelles données j’ai utilisé afin de parvenir à un comparatif en termes de différences de chiffre d’affaires généré, en termes de marge sur les coûts spécifiques de visite et enfin en matière de nombre total annuel de visites (hors garde et en période de garde). »

20 % de plus du CA global

Dans son analyse finale, Nicolas Courdent a calculé que la mise en place du contrat a notamment permis d’augmenter le chiffre d’affaires global de la clinique vétérinaire de 20 % en moyenne par vache et par an (soit une augmentation de 18 € en moyenne par vache et par an). « Je n’ai trouvé aucune autre étude à laquelle comparer mon résultat, regrette néanmoins le jeune docteur. Il serait donc très intéressant d’enquêter pour savoir si ce résultat est observable dans d’autres structures vétérinaires. Par ailleurs, mon résultat reste également à nuancer car il ne prend pas en compte tous les scénarios possibles d’évolution de l’exploitation. Par exemple, qu’arrive-t-il quand surviennent des années d’épidémie ? Il faudrait donc réaliser le même travail non par uniquement sur deux années, comme je l’ai fait, mais sur plusieurs années tant antérieures que postérieures, afin de bien vérifier si l’intérêt perdure pour l’entreprise vétérinaire. »

Intérêt pour l’éleveur ?

En outre, il faudrait également mener une étude approfondie sur les conséquences économiques que le contrat génère côté éleveur. Tout l’enjeu étant notamment de savoir « s’il parvient à compenser ces frais vétérinaires supplémentaires par une meilleure santé des animaux, par une meilleure productivité de l’atelier lait et/ou une diminution des pertes animales », s’interroge aussi Nicolas Courdent. Le jeune homme ajoute : « Il serait également essentiel d’évaluer quel impact a ce genre de contrat sur la relation existant entre le praticien et l’éleveur concerné. En particulier, est-ce un moyen de mieux fidéliser sa clientèle ? Je suis aussi persuadé que cette manière de travailler améliore leur bien-être commun mais cet angle mériterait de faire l’objet d’un autre travail de thèse ».

Autres résultats en bref

« Mon étude expérimentale montre également, entre autres, que le contrat a permis de revaloriser sur le CA global l’acte vétérinaire par rapport au médicament, mais faiblement, de l’ordre de 4 % en moyenne seulement. C’est donc une augmentation modeste dans le cas étudié. Et si le préventif est bien favorisé par rapport au curatif, mon étude montre cependant que la consommation d’antibiotiques a également continué à augmenter, alors que l’on aurait pu espérer au départ obtenir un résultat inverse ».

Un groupe d’éleveurs

« En conclusion, ajoute Nicolas Courdent, je suis conscient que la mise en place d’un tel contrat n’est pas simple. Elle nécessite du temps, qu’il faudrait considérer comme un investissement et non pas comme une charge. Par ailleurs, ce type de contrat ne peut pas s’appliquer à tous les éleveurs : le praticien devra sélectionner un groupe avec lequel il souhaite tester cette nouvelle organisation du travail (leur choix se basant par exemple sur la fréquence des achats, la fréquence des visites, le montant moyen des achats, mais aussi la qualité des rapports humains déjà entretenus, etc.). Par la suite, cette nouvelle activité contractuelle devra être évaluée régulièrement, pour vérifier si elle convient, si certains critères sont à changer… » Il peut aussi parfois être nécessaire d’en rediscuter les termes si un éleveur a du coup tendance à « abuser », en faisant appel trop souvent à son vétérinaire (puisque la facturation est ipso facto indépendante du nombre de visites).

L’animal « gagnant » ?

« Les quatre praticiens interrogés pour l’ensemble de cette thèse (soit Camille Pommereul, Julien Le Tual, Sylvain Coursager et Olivier Lecarte) qui pratiquent donc déjà la contractualisation, ne veulent en aucun cas l’abandonner », argumente Nicolas Courdent. « Et personnellement, j’ai l’intime conviction qu’il y a un troisième gagnant dans le contrat : l’animal. Car nous pouvons imaginer qu’avec une fréquence plus élevée de passage du vétérinaire dans l’élevage et un encouragement du recours au préventif, la santé des animaux d’élevage s’en trouvera heureusement améliorée. Je vais citer ici l’expérience en la matière du Dr Julien le Tual, même s’il ne l’a menée que sur une seule exploitation : l’année d’avant la mise en place du contrat, l’éleveur concerné avait constaté la mort de huit vaches en lactation et d’une dizaine de veaux. Contre deux vaches en lactation et trois veaux l’année immédiate après la mise en place du contrat. Il faudrait donc étendre et quantifier des observations de terrain ». Pour pouvoir peut-être ainsi confirmer ce qu’avait dès 2019 ainsi résumé Laurent Perrin, actuel président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) : « L’objectif de la contractualisation n’est pas une baisse du coût des vétérinaires, mais une optimisation de ces coûts par un passage du curatif vers le préventif, du soin vers le conseil ».

LIZA BASTIDE (T18)

Sondage auprès d’éleveurs bovins

Quels services complémentaires proposer en rurale ?

56 % des éleveurs laitiers et 77 % des éleveurs allaitants interrogés par Liza Bastide dans le cadre de sa thèse1 déclarent que le service supplémentaire qu’ils attendent le plus de la part de leur praticien concerne l’usage de médecines complémentaires, à intégrer dans la pratique des soins quotidiens des vétérinaires (notamment pour pouvoir disposer d’une option thérapeutique à moindre coût face aux médicaments allopathiques). Et, ajoute-t-elle, « si le praticien n’intègre pas ces pratiques à son arsenal thérapeutique, ils souhaitent, a minima, qu’il puisse leur donner des pistes et engager une discussion plus constructive que « je n’y crois pas », en les orientant éventuellement vers une autre personne compétente ».

En second, poursuit-elle « 35 % des éleveurs évoquent la parasitologie, c’est-à-dire un suivi à l’aide d’examens complémentaires recommandés par le praticien (coproscopies, sérologies, dosage de pepsinogène…) à un moment précis dans l’année, associé à un choix adapté de traitement. Certains éleveurs souhaitent aussi avoir un rappel de la conduite à tenir en fonction des moments clefs de l’année (mise à l’herbe, rentrée en bâtiment…). En revanche, l’avis du praticien lors d’un nouveau projet (tel qu’une construction, un réaménagement de bâtiment ou un agrandissement du cheptel) n’est envisageable que pour 18 % des éleveurs questionnés ».

Enfin, 70 % des éleveurs attendent que le vétérinaire participe à leur formation. « Il convient notamment de les faire évoluer en véritable infirmier de leur élevage afin d’améliorer la coopération éleveur/vétérinaire et la prise en charge de la santé animale » indique-t-elle dans une partie de ses conclusions, en précisant cependant bien qu’il ne s’agit là que de « tendances » observées.

Contenu du contrat sanitaire

Il comprend l’ensemble des actes courants pratiqués en élevage : déplacements et consultations, vêlages, perfusions, prises de sang, parage, injections, épidurales, bilans sanitaires, etc. Les actes techniques et chirurgicaux (césariennes, opérations de caillette, etc.) sont facturés avec une réduction comprise entre 28 % et 52 % par rapport à leur prix hors contrat. Ce contrat intègre les audits ponctuels en cas de problème de qualité du lait ou de maladies respiratoires. Le tarif de ce contrat est de 20 euros par vache et par an, prélevés en douze mensualités.

À chaque clinique son contrat

Impossible de faire seulement un « copié/collé » de contrat ! Chaque structure vétérinaire doit établir le sien propre. Il est conseillé de l’établir en prenant en compte les compétences de la structure et en écoutant attentivement « ses » éleveurs. En leur posant par exemple comme questions : « Quels sont les plus gros problèmes de votre exploitation ? », et « Quels sont les deux services que vous aimeriez trouver à la clinique qu’elle ne vous propose pas aujourd’hui ? » Un « business plan » devra aussi être établi, avec le calcul du nombre d’années pour le retour sur investissement.

  • 1. Tous les résultats de l’étude et éléments de méthodologie (dont « comment et combien facturer », pages 56 à 57), à lire dans : La contractualisation, un partenariat rémunérateur pour le vétérinaire en pratique rurale, Nicolas Courdent, 2021 (Lyon).
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