PPA : « Le meilleur outil de lutte reste la biosécurité » - La Semaine Vétérinaire n° 1949 du 17/06/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1949 du 17/06/2022

Maladies réglementées

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Dans un contexte à haut risque d’introduction de la maladie sur le territoire français, les moyens de lutte reposent avant tout sur la biosécurité en élevage, et la détection précoce des foyers et cas. La vaccination pourrait être une solution complémentaire. Les explications de Marie-Frédérique le Potier, chercheuse à l’Anses.

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Depuis son arrivée en Géorgie en 2007, la peste porcine africaine (PPA) s’est étendue progressivement au sein du compartiment sauvage en Europe de l’Est. Après l’incursion maîtrisée en Belgique en 2018-2020, les récentes détections en Italie et en Allemagne de l’Ouest (voir encadré), élèvent le risque d’un cran pour le territoire français. État des lieux sur les moyens de lutte contre la maladie avec Marie-Frédérique le Potier, cheffe de l’unité de virologie, immunologie, porcine (VIP) du laboratoire de Ploufragan-Plouzané.

Dans le contexte européen actuel, est-ce une question de temps avant que la PPA arrive en France ?

Il est difficile de faire des prédictions, même si on constate effectivement que la pression infectieuse ne fait qu’augmenter. Une propagation à longue distance est possible, comme cela s’est passé en Belgique, et plus récemment en Italie et en Allemagne de l’Ouest, où on voit bien qu’il n’y avait aucun continuum d’infection. Ces introductions focales sont forcément liées à des erreurs humaines, en lien avec la grande capacité de résistance du virus. Il peut être ainsi véhiculé par du matériel souillé mal nettoyé ; il peut résister aussi dans de la viande de porc, même transformée et congelée (produits de salaison…), laquelle pourrait être jetée dans la nature ou aux ordures ménagères en zones indemnes, et consommée par des sangliers, voire des porcs.

Les situations italiennes ou allemandes peuvent se répéter, avec une émergence quelque part, là où on s’y attend le moins, et n’importe quand.

Vu l’atteinte du compartiment sauvage, la vaccination peut-elle être une solution ?

Elle pourrait être un outil complémentaire de lutte d’autant que l’Europe s’inscrit dans une stratégie d’éradication de la maladie. La vaccination serait à adapter au contexte local, comme cela a été fait dans le passé avec la peste porcine classique. À l’époque, la vaccination de la faune sauvage avait été employée pour éradiquer la maladie au sein d’un massif forestier continu entre la France et l’Allemagne, la configuration géographique du territoire étant peu propice aux mesures de type clôtures. Cela a quand même pris six ans. Pour la PPA, la vaccination serait intéressante dans les zones à risque d’endémisation, ou lorsqu’il y a des contraintes géographiques. Par exemple, en Allemagne de l’Est, où le front d’infection fait plusieurs centaines de kilomètres, le long de la frontière polonaise, il est possible qu’une vaccination par voie orale des populations de sangliers soit un outil intéressant. Cela n’empêcherait pas toutefois les abattages de sangliers pour limiter la diffusion de la maladie. Le recours à la vaccination serait aussi pertinent dans les zones de petits élevages familiaux qu’on trouve dans les Balkans, Roumanie, Bulgarie, etc., et dont la biosécurité n’est pas encore idéale. Cela permettrait de maîtriser le risque d’introduction, mais aussi de diffusion à longue distance, car ce genre d’élevages peut produire des produits transformés qui peuvent se retrouver à plusieurs milliers de kilomètres du lieu de production. Pour d’autres situations, on a vu qu’on pouvait s’en passer. Par exemple en Belgique, l’application des mesures de blocage type clôtures et dépeuplement drastique des populations de sangliers autour du foyer primaire d’introduction se sont avérées efficaces, puisqu’au bout de deux années de lutte la maladie a été éradiquée.

Une stratégie vaccinale nécessiterait une approche concertée au-delà de l’Union européenne au niveau du continent européen.

Où en sont les recherches sur la vaccination ?

Plusieurs pays travaillent sur ce sujet : États-Unis, Chine, Royaume-Uni, Espagne et France à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Nous travaillons tous sur des souches virales vivantes atténuées qui se sont avérées les plus prometteuses. La difficulté est de trouver un bon équilibre entre innocuité et efficacité. Les équipes américaines sont les plus avancées : elles en sont au stade d’essais cliniques menés au Vietnam. Mais leur candidat vaccin correspond à des souches modifiées par génie génétique, pour la délétion de gènes de virulence, ce qui pose question quant à un éventuel usage en population sauvage. À l’Anses, nous en sommes encore au stade de développement, avec des souches non OGM ; les résultats sont prometteurs. Toutes ces approches devront encore passer le stade de production industrielle et la validation des dossiers d’autorisations de mise sur le marché. Je pense donc qu’il faudra attendre entre deux et cinq ans avant d’avoir une première commercialisation.

Quels sont les autres moyens de lutte ?

Au niveau de la faune sauvage, pour l’instant, nous n’avons pas mieux que la détection précoce de cas de sangliers infectés (découverte de cadavres en plus grand nombre que d’habitude), et les mesures de type clôtures et dépeuplements pour maîtriser la diffusion de la maladie au sein des populations de sangliers. Mais ce n’est pas si évident de fragmenter les paysages, et cela peut aussi avoir des conséquences sur d’autres animaux. De plus, les populations de sangliers en Europe ne font qu’augmenter. Dans tous les cas, il faut adapter les mesures au contexte, en concertation avec les acteurs locaux.

Pour les élevages, la biosécurité reste à l’heure actuelle le meilleur outil de lutte, d’ailleurs on voit bien que depuis 2014, il n’y a que peu de foyers en élevages hors sol, et quelques foyers ponctuels en élevage plein air. Dans ce contexte, une vaccination préventive en élevage n’a pas d’intérêt. La détection précoce est aussi essentielle en élevage. Les vétérinaires doivent être vigilants, et ne pas hésiter à émettre une suspicion. Nous avons développé des outils diagnostics permettant d’avoir des résultats en moins de 48 heures ; au pire, on bloque un élevage pour rien, peu de temps ; au mieux, on évitera une diffusion dramatique.

La situation en France et en Europe

Actuellement, la France continentale fait face à deux menaces de proximité. D’abord, au sud-est, avec l’Italie du nord, dans le Piémont, où ont été confirmées dès janvier 2022 des cas de PPA chez des sangliers. Depuis, la maladie s’est étendue dans la zone, au sein du compartiment sauvage. Elle a aussi fait un saut au sud avec plusieurs cas détectés aux alentours de Rome. Un deuxième front se situe au nord-est de la France, avec un foyer confirmé dans un élevage porcin plein air en Allemagne, à 6,5 km de la frontière française (Bas-Rhin). L’Allemagne était déjà touchée depuis septembre 2020 mais à l’est du territoire, le long de la frontière polonaise. Que ce soit pour l’Italie, ou l’Allemagne de l’Ouest, l’origine des contaminations n’est pas connue, mais on peut suspecter une introduction par des activités humaines.

Une dizaine de pays européens touchés

En Europe, ce sont déjà seize pays qui sont touchés par la PPA depuis sa première incursion en 2007 en Géorgie : l’Allemagne, la Biélorussie, la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, l’Italie (continentale et Sardaigne), la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, la Pologne, la Roumanie, la Russie, la Serbie, la Slovaquie, l’Ukraine. Deux pays européens ont réussi le pari de l’éradication en faune sauvage : la République tchèque et la Belgique. En République tchèque, la maladie avait été détectée pour la première fois en juin 2017, en Belgique en septembre 2018. Après ces premières détections, les deux pays avaient mis environ deux ans pour éradiquer la maladie.

Rappelons aussi que la maladie est présente en République dominicaine et en Haïti depuis l’été 2021. À ce jour, aucun cas ou foyer n’a été confirmé dans la zone caribéenne française.

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