L’Europe, défis et opportunités pour les vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 1949 du 17/06/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1949 du 17/06/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Par Michaella Igoho-Moradel, Céline Lardy et Marine NeveuxMichaella Igoho-Moradel et Marine Neveux

Quels doivent être les atouts des vétérinaires de demain ? Les enjeux à venir pour la profession face à une actualité dense et difficile étaient l’objet de la séance de l’Académie vétérinaire de France du 9 juin 2022.

Les crises sanitaires internationales en santé animale et publique qui se succèdent rappellent que les vétérinaires sont à la croisée des chemins. À l’international et en Europe, les enjeux sont multiples pour la profession. Le 9 juin 2022, l’Académie vétérinaire de France s’est penchée, dans le cadre d’un évènement labellisé « Présidence française du Conseil de l’Union européenne », sur les défis et les opportunités du monde vétérinaire de demain. Crises sanitaires, Concept Une seule santé, formation, recherche, surveillance sanitaire, tour à tour les intervenants ont démontré que la profession a les atouts nécessaires pour s’adapter à un monde en perpétuelle évolution. Retour sur ces échanges.

Acteurs d’Une seule santé

La pandémie du Covid-19 a placé le vétérinaire dans la future gouvernance mondiale qui se dessine, a déclaré Monique Eloit, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Selon elle, la profession a des nombreuses cartes à jouer afin d’être d’un acteur encore plus influent à l’international. La prise en compte progressive du concept Une seule santé dans les politiques de santé en est un exemple. Sur le terrain, cette approche peut avoir des applications concrètes, comme le partenariat de l’OMSA avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Ces organisations sont réunies pour un projet commun comportant trois priorités : le contrôle de la grippe animale, la rage et la résistance aux antimicrobiens. « Notre collaboration se consolide sur ces trois dossiers. Pour la rage par exemple, nous avons élaboré une stratégie conjointe avec une plateforme de dialogue. Nos actions sont coordonnées sur un socle commun et une gouvernance unique. Un mécanisme financier commun alloue des fonds à des projets précis » détaille Monique Eloit. Ces organisations ont aussi créé un panel d’experts de haut niveau « Une seule santé » (One Health High-Level Expert Panel – groupe d’experts de haut niveau Une seule santé), dont le premier travail a été de proposer une définition de l’approche Une seule santé. « Il est intéressant de noter que ce groupe est coprésidé par un vétérinaire » souligne avec satisfaction la représentante de l’OMSA. Autre exemple de la traduction du concept Une seule santé, l’organisation de la santé animale et ses organisations internationales partenaires ont élaboré une stratégie et un programme conjoint d’action pour faire face à la crise de Covid-19. « Ce plan d’actions a été finalisé en à peine un an et présenté à nos membres respectifs. Actuellement, nous évaluons le coût de sa mise en œuvre. » Cette stratégie propose entre autres de renforcer les capacités des services de santé et de former les professionnels, dont les vétérinaires. Des ateliers conjoints réunissent des professionnels de la santé animale et de la santé humaine pour échanger sur leur rôle respectif et leur collaboration.

Vétérinaires au cœur du dispositif

Ces échanges sont d’autant plus importants que les vétérinaires sont aussi au cœur de crises sanitaires en santé animale. « L’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) de l’hiver 2021-2022 est la pire depuis cinquante ans dans l’Union européenne (UE). Et les mesures prises ont aussi permis de garder la plupart de l’UE indemne de peste porcine africaine » indique Bernard van Goethen, directeur gestion des crises alimentation, faune et flore à la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne. La nouvelle loi de la santé animale, adoptée en 2016, place la profession au cœur des stratégies européennes de lutte contre des épizooties. Ce texte européen harmonise la gestion des maladies animales dans les États membres. « Il fallait désigner avant tout un responsable de la santé animale et prévoir une réponse rapide aux menaces. Nous avons établi une liste de maladies prioritaires basée sur les données de l’OMSA et les avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). » Les États membres ont récemment convenu que la vaccination contre l’IAHP était un outil supplémentaire de lutte. Les vétérinaires jouent ici un rôle déterminant, a rappelé le représentant de la Commission européenne. « Nous travaillons sur un acte qui établira un cadre juridique permettant aux États membres de débuter la vaccination. […] Nos experts sont à leur disposition pour aider les autorités locales ou nationales. » Des vétérinaires européens sont en effet mandatés pour partager, avec les services compétents des États membres, les bonnes pratiques mises en œuvre dans d’autres États membres ou dans des pays tiers. « Les visites de ces vétérinaires ont eu lieu dans les États membres touchés par l’IAHP. Ils peuvent recueillir les meilleurs éléments des stratégies mises en place. »

Sortir des « silos »

« One Health, il s’agit de sortir de son confortable silo ! » martèle Jacques Legros, journaliste et animateur de la table ronde concluant la journée. Et d’inviter aussi sortir des « sous-silos » à l’intérieur des silos que ce soit dans le domaine médical ou vétérinaire. Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) renchérit, « One Health, c’est culturel chez nous. C’est notre formation. Sur les défis européens, la profession vétérinaire doit garder son influence. Les enjeux de demain sont globaux, on doit y contribuer ».

Loïc Evain (ministère de l’Agriculture) ajoute qu’il n’y a pas que le volet technique qui doit être pris en compte pour renforcer les approches Une seule santé, mais qu’il convient aussi de dépasser la difficulté de communiquer, d’expliquer les faits scientifiques. « Il y a besoin aussi de sociologie, de communication auprès du grand public. » Dressant un constat de la pandémie, il note que beaucoup de citoyens n’ont pas écouté la parole scientifique. En outre, si les vétérinaires sont familiers de la gestion des épizooties, le monde médical n’était pas préparé à la gestion d’une pandémie.

Jean-François Rousselot, président de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), constate aussi « qu’il y a plusieurs étages du One Health, la médecine comparée en est un, les zoonoses un autre. C’est aussi le mélange des étudiants en médecine, des vétérinaires, les échanges scientifiques. On a besoin de classifier ce qu’est le One Health, et pour que chacun puisse mieux communiquer avec le grand public. » Enfin, il estime que la solution est plus régionale que nationale pour que les vétérinaires et les médecins se retrouvent sur le terrain, localement en pensant aussi épidémiosurveillance. « On a eu une crise humaine, on a eu peur aussi qu’une crise animale y soit associée. Par le biais de l’épidémiosurveillance, nous pourrions réunir médecins et vétérinaires. »

La formation, un outil au service d’Une seule santé

De quel vétérinaire aura-t-on besoin demain pour travailler sur ses crises sanitaires internationales en santé animale et en santé publique ? « Nous avons besoin de vétérinaires sanitaires, dans les laboratoires, dans les ministères (agriculture, santé, étrangères), dans les entreprises pharmaceutiques, dans les organisations internationales et dans la recherche » déclare Emmanuelle Soubeyran, directrice adjointe de l’alimentation au ministère de l’Agriculture. Pour elle, l’étudiant vétérinaire doit savoir travailler dans l’interdisciplinarité. Plusieurs actions ont été mises en œuvre par les écoles nationales vétérinaires (ENV). Depuis 2018, le concept Une seule santé fait partie du référentiel de formation qui définit les macro-compétences des jeunes diplômés vétérinaires. À titre d’exemple, VetAgro Sup propose aux nouveaux étudiants une matière à propos des grands enjeux du XXIe siècle comme la santé publique, le concept Une seule santé, le bien-être animal. « Des groupes de travail entre des étudiants agronomes et vétérinaires abordent des thématiques spécifiques pour leur faire toucher du doigt toutes les facettes d’un problème et leur future complémentarité » poursuit Emmanuelle Soubeyran. Dès septembre 2022, VetAgro Sup proposera, en collaboration avec la Chaire industrielle en santé publique et l’université Claude-Bernard de Lyon-1, un master international consacré à Une seule santé. L’école dispense aussi des cours de parasitologie organisés en commun avec la faculté de médecine de Lyon. Côté industrie, les attentes concernant la formation des vétérinaires sont aussi fortes alors que la pandémie a davantage révélé le potentiel de ce secteur. « Nous avons mis au point un outil de dialogue entre le Syndicat des industries du médicament et réactif vétérinaires (SIMV) et les ENV pour sensibiliser les vétérinaires aux débouchés dans l’industrie » indique Jean-Louis Hunault, président du SIMV. Pour lui, un écosystème favorable doit permettre d’orienter les vétérinaires vers les industries de la santé animale. « Une cinquième année en école permettrait aux vétérinaires qui se destinent à une carrière dans l’industrie de tester leur motivation dans les entreprises de santé animale. »

Michaella Igoho-Moradel

Surveillance de la chaîne alimentaire en Europe

Des défis alimentaires majeurs attendent l’Europe dans les années à venir, en raison d’un contexte mondial dominé par le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité, la (ré) émergence de maladies, le risque de malnutrition et plus récemment le conflit ukrainien.

Depuis vingt ans cette année, l’European food safety agency (Efsa), créée suite à la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui a secoué la filière bovine en Europe, joue le rôle d’interface entre scientifiques et décideurs. Aujourd’hui plus que jamais, le monde fait face à des défis qui imposent un changement des principes de base afin de s’adapter aux maladies (ré) émergentes. De nombreuses saisines ont été réalisées dans ce sens par l’Efsa, à l’exemple des recommandations concernant les options de contrôle des maladies de catégorie A selon la nouvelle loi de santé animale.

Des projets ambitieux

Pour faire face à ces nouveaux défis, L’Efsa (European Safe Food Authority) collabore à de nombreuses initiatives. Ainsi, le réseau Vectornet, réalisé en collaboration avec le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (en anglais ECDC), vise à partager les données sur la répartition des arthropodes vecteurs de maladies animales ou humaines. Citons également le projet Enetwild, base de données concernant la faune sauvage ou le projet Sigma, base de données centralisant les données sur les maladies animales dans l’Union européenne.

Des actions pour la durabilité

Un autre challenge est celui de la durabilité du système alimentaire de l’UE. Lancée en 2020, la stratégie « de la ferme à la table » devrait être présentée l’année prochaine par la commission européenne. Elle a pour objectif de faire évoluer l’ensemble de la chaîne alimentaire européenne vers un système durable, du point de vue environnemental, social et économique. Pour cela, des objectifs chiffrés ont déjà été établis : réduction de 50 % de l’usage des antibiotiques et des pesticides, attribution d’au moins 25 % des terres cultivables à l’agriculture biologique d’ici à 2030… Ainsi, des mesures, tantôt incitatives, tantôt obligatoires, seront intégrées dans un plan d’action qui concernera les producteurs (nouvelles technologies génomiques, réforme de la PAC, législation concernant le bien-être animal), la distribution (étiquetage) et les consommateurs (incitation à de meilleurs choix alimentaires). « Les vétérinaires sont invités à contribuer à ces travaux toujours en cours d’élaboration » souligne Nathalie Chaze, chargée de la durabilité des aliments et des relations internationales à la Commission européenne.

La recherche pour anticiper les risques

Notre confrère Stephan Zientara, directeur UMR de virologie à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), modérait la table ronde sur la recherche. Jean-Charles Cavitte, de la direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne, explique que le financement européen de la recherche ne représente qu’une partie de ce qui est dépensé en recherche et innovation dans les États membres. « Cela représente 10 % de ce qui est dépensé dans l’UE tous secteurs confondus. L’objectif de cette coopération européenne est une collaboration scientifique transnationale, de mettre en commun des ressources, d’avoir plus de synergie, et c’est la question de la mobilité des chercheurs. » Il détaille le nouveau programme-cadre européen de Recherche et innovation (2021-2027). « Dans ce réseau Europe, il y a une volonté de stratégie de l’étable à la fourchette, qui définisse des priorités importantes. » La santé animale et le bien-être animal sont inclus dans le financement européen de la recherche. « Répondre aux défis de société et planétaire complexes nécessite des approches pluridisciplinaires systématiques, où la profession vétérinaire doit trouver sa place. »

François Moutou, épidémiologiste à l’Anses, s’attache à la biodiversité et aux recherches pour anticiper les risques. Ces dernières sont essentielles, car par exemple pour la maladie de Lyme, les connaissances en écologie permettent de diminuer les impacts de la bactérie sur la santé publique. Les petits mammifères sont le réservoir de la bactérie. L’étude du cycle montre l’importance des carnivores sur la régulation des populations de rongeurs (réservoirs), car la densité de nymphes de tiques infectées augmente avec une diminution de la prédation. Le renard « va » dans le sens d’une diminution du risque pour la santé publique. « Les connaissances en écologie existent et pourraient servir dans l’intérêt général. » Ainsi, « on n’a pas forcément besoin d’exterminer le réservoirs pour éviter la transmission. Les agents pathogènes font partie de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes. »

Marine Neveux

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