Combattre la malnutrition lors de l’hospitalisation - La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022

Nutrition

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Gwenaël Outters

Article rédigé d’après une conférence présentée au congrès de l’association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) en novembre 2021 à Bordeaux, Gironde. Les conférenciers étaient Ludivine Boiron diplômée du Collège américain des urgences et des soins critiques vétérinaires (ACVECC), praticienne au centre hospitalier vétérinaire Languedocia de Montpellier (Hérault) et Claude Paolino, praticien à Six-Fours-les-Plages (Var).

La malnutrition est grave et a des conséquences importantes sur tous les systèmes : balance nitrogène négative, catabolisme musculaire, diminution de l’élasticité, de la ventilation et de la perméabilité pulmonaire, diminution de la cicatrisation, dépression de la réponse immunitaire, augmentation de la perméabilité intestinale, augmentation de l’excrétion urinaire en calcium et phosphore, diminution des excrétions acides, diminution du débit de filtration glomérulaire, perte de poids du muscle cardiaque et arythmies, augmentation des complications, de la mortalité, hospitalisation allongée. Il est impératif de comprendre les conséquences de la malnutrition et savoir comment et quand entreprendre des interventions nutritionnelles susceptibles d’atténuer ses effets délétères.

Systématique en humaine, l’évaluation nutritionnelle ne fait pas partie de la pratique courante vétérinaire, mais des lignes directrices sont publiées par l’American Animal Hospital Association (AAHA) et ont été adoptées par la World Small Animal Veterinary Association (WSAVA). Elles placent la nutrition en cinquième signe vital d’évaluation clinique des animaux après la respiration, le pouls, la douleur et la température.

Les animaux à surveiller sont ceux avec un indice de masse corporelle (IMC) très élevé ou très bas, ceux qui ont une masse musculaire faible ou des besoins énergétiques accrus (croissance, reproduction), ceux qui sont anorexiques depuis plus de trois jours ou hyporexiques depuis plus de sept jours (besoin d’entretien au repos [BER] < 75 %), tous les animaux critiques, surtout ceux avec septicémie, brûlures, traumatismes, pancréatite, abdomen ouvert, ventilés mécaniquement et tous ceux qui ont une mauvaise qualité du pelage, une fonte musculaire, une cicatrisation inadéquate et une hypoalbuminémie.

Évaluer les besoins nutritionnels

L’évaluation nutritionnelle se base sur des facteurs liés à l’animal, à l’alimentation et à l’environnement. Le poids vif, sujet aux variations hydriques, ne suffit pas pour évaluer les besoins. Le score de condition corporelle, reproductible et fiable, évalue les tissus adipeux. Il est utile dans l’évaluation nutritionnelle (score idéal pour le chat 5/9, pour le chien 4-5/9). Un autre score, moins utilisé, évalue la masse maigre ; il se base sur la palpation de zones spécifiques du corps : muscles temporaux, os scapulaire, côtes et pelvis.

L’apport nutritionnel doit être évalué et suivi chez l’animal hospitalisé afin de prévenir un catabolisme supplémentaire des tissus maigres, subvenir aux besoins nutritionnels continus, prévenir ou corriger les carences et les déséquilibres nutritionnels, minimiser les dérangements métaboliques, éviter ou détecter les complications.

La restauration du poids corporel optimal n’est pas systématiquement l’objectif. Chez les animaux gravement malnutris, il est orienté vers la préservation des tissus maigres et de la fonction des organes. Le but est de donner les nutriments et les calories nécessaires jusqu’à ce que l’animal consomme volontairement une quantité adéquate de nourriture dans son propre environnement.

Couvrir les besoins

Des formules permettent de calculer le besoin d’entretien au repos (voir encadré).

L’alimentation apporte de l’énergie et des nutriments (protéines, glucides, lipides, vitamines, minéraux et fibres). Des six catégories de nutriments, seuls trois apportent de l’énergie : protéines, lipides et glucides. Si glucides et protéines apportent la même énergie, et s’il est plus facile d’apporter de l’énergie nette avec des glucides, les carnivores ne peuvent pas en consommer trop.

Les besoins hydriques sont importants ; ils sont apportés par la sonde ou par la voie veineuse. L’eau des repas et celle utilisée pour flusher les sondes sont comptabilisées.

25 % de l’apport protéique est utilisé pour le métabolisme général. À défaut, l’animal catabolise ses propres protéines. Un rapport protido-calorique supérieur ou égal à 80 est souhaitable dans la plupart des cas (plus bas lors d’insuffisance rénale). La valeur biologique des protéines, couvrant les besoins en acides animés essentiels (11 chez le chat, dont la taurine, et 10 chez le chien) est primordiale. L’apport en acides aminés essentiels (particulièrement l’arginine chez le chat, leucine) et non essentiels (glutamine, citrulline) doit être accru pour augmenter la masse maigre. Certains acides aminés sont peu présents dans le monde végétal et présentent des difficultés dans l’alimentation des carnivores à partir de végétaux. L’arginine entre dans la fabrication de l’urée. En son absence, l’ammoniaque s’accumule, ce qui est rapidement problématique, surtout chez le chat. Pour les opérations de convenance, l’animal ne doit pas être trop à jeun et doit être rapidement réalimenté, dès que le réflexe de déglutition revient, dans les trois ou quatre heures après la chirurgie.

Ω6 et ω3 (dont EPA et DHA) doivent être apportés avec un rapport ω6/ω3 inférieur à 5. Ils sont ubiquitaires et leur apport par l’aliment est primordial. Si l’acide linoléique d’origine végétale peut être transformé en EPA et DHA, le rendement est très faible (1 %) ; EPA et DHA d’origine animale doivent être apportés.

D’autres éléments doivent être évalués : les antioxydants (vitamine E et C), les vitamines A et B.

Formuler un plan nutritionnel

Le plan nutritionnel, adapté à l’animal, est formulé précisément (aliment, quantité [x ml/y fois/j], voie, fréquence) (Voir Tableau). Il donne les objectifs nutritionnels sur la journée et permet de noter le suivi de l’animal (quantité réellement absorbée, état clinique). Le gavage à la seringue ou au doigt est difficilement objectivable. L’aliment est le plus souvent administré en trois à quatre fois, moins lors de pancréatite, plus lors de troubles intestinaux.

Le but est d’au moins compenser le BER, bien que trois à quatre jours soient nécessaires pour y parvenir. Par exemple, chez un chien de 28 kg anorexique depuis trois jours, le BER est de 852 kcal. Un tiers sera apporté le premier jour (280 kcal), deux tiers le second (560 kcal) et la totalité le troisième jour (850 kcal).

L’évaluation nutritionnelle doit être considérée comme un processus continu afin que le plan d’alimentation puisse être ajusté en temps opportun en cas de changement de l’état de l’animal. L’appétit peut être testé sans ôter la sonde ; il peut être stimulé par l’ajout d’acides gras essentiels sur la ration ou une ration distribuée à température ambiante. Les animaux sont rendus quand ils mangent spontanément 75 % de leur ration.

L’animal anorexique ou hyporexique depuis à un à deux jours est scrupuleusement suivi, les quantités absorbées sont notées (un à cinq) pour ne pas retarder la pose d’une sonde. Si l’animal est anorexique depuis trois à quatre jours et n’est pas susceptible de reprendre l’appétit spontanément, une assistance nutritionnelle est souhaitable. Une assistance nutritionnelle est indispensable au-delà de cinq jours d’anorexie.

Plusieurs aliments liquides vétérinaires sont disponibles. Même si l’aliment doit avoir des caractéristiques adaptées à la situation et dépend de l’affection, l’aliment adapté à la maladie est utilisé une fois l’animal sorti de l’état d’anorexie (également pour éviter l’aversion alimentaire). La forme liquide permet une utilisation par sonde, la forme humide (gel ou mousse) facilite une réalimentation spontanée. La dilution des mousses ou des gels pour les faire passer dans la sonde n’est pas recommandée car ils augmentent fortement l’apport hydrique et passent difficilement dans les sondes. L’aliment choisi soit être appétent (pour stimuler la prise spontanée), avoir une densité énergétique élevée, être hyperdigestible, avoir un taux de fibre le plus bas possible et une énergie apportée par les protéines supérieure à 30 % et par les lipides supérieure à 30 %. Les aliments utilisés en médecine humaine ne conviennent pas : ils sont trop riches en glucides, trop pauvres en protéines et lipides.

Les compléments sont intéressants, mais non complets ; ils peuvent induire des carences (lors de taux de protéines très faible alors qu’il est très fort en énergie). Les aliments de réhydratation apportent différents nutriments mais ils ne sont pas équilibrés (gel de réhydratation, bonne prise spontanée pour faire boire le chat).

Les stimulants de l’appétit

Les stimulants de l’appétit sont une solution à court terme si l’anorexie est due au stress (cela ne fonctionne pas si elle est associée à des maladies). Leur utilisation peut retarder la mise en place d’un soutien de nutrition ou donner un faux sentiment de nutrition correcte : benzodiazépine (diazépam 0,1 à 0,2 mg/kg IV), mirtazapine, gabapentine (dans un contexte douloureux). Il convient de ne pas utiliser de Valium par voie orale chez le chat (risque de nécrose hépatique).

Besoin d’entretien au repos

Besoin énergétique au repos (en cage)

Chien < 5 kg ou > 25 kg : BER = 70 x poids actuel + 0,75

Chiens entre 5 et 25 kg : BER = poids actuel x 30 + 70

Besoin hydrique

Chat : 50 ml par kg par jour

Chien : 60 ml par kg par jour

Volume gastrique maximal : 10 à 12 ml par kilo.

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