La xénotransfusion, une pratique acceptable en urgence féline - La Semaine Vétérinaire n° 1946 du 27/05/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1946 du 27/05/2022

Urgences et soins intensifs

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Transfuser du sang de chien à un chat est possible dans un contexte d’urgence vitale. Si cette intervention est relativement bien tolérée par le chat, elle ne peut être envisagée qu’une unique fois sur le même animal.

La transfusion de sang d’un chien à un chat a-t-elle encore sa place en médecine vétérinaire ? Oui, soutiennent Jack-Yves Deschamps et Françoise Roux, professeurs en urgences-soins intensifs à Oniris (Nantes) dans un récent article1 publié dans la revue Veterinary Sciences en février dernier. Cette opinion s’appuie sur les données de la littérature scientifique – 127 cas publiés – qui apportent des arguments en faveur d’une pratique efficace rapidement (c'est bien rapidement car l'effet recherché va arriver très vite), bien tolérée, qui a toute sa place dans un contexte d’urgence. Dans la dernière série de cas publiée dans le Journal of Small Animal Practice en 2020, incluant 49 cas issus du Royal Veterinary College à Londres et l’université d’Edimbourgh, l’hématocrite médian des chats xénotransfusés passait de 10 % à 25 % en 12 heures. La mortalité rapportée n’était pas liée à la xénotransfusion mais à la maladie primaire de l’animal. Le bénéfice n’est toutefois que de courte durée : de 2 jours dans cette série de cas, mais cela oscille généralement entre 4 à 7 jours, avant l’observation d’une hémolyse des érythrocytes canins par les anticorps du chat. Pour comparaison, le bénéfice de l’allotransfusion dure environ 30 jours. Toutefois, suivant les études, il apparaît qu’une seconde transfusion – et dans ce cas, l’allotransfusion est obligatoire (voir encadré) - n’est pas systématiquement nécessaire : seul 1/3 des 127 cas de la littérature le nécessite. « La durée des effets de la xénotransfusion est souvent suffisante pour passer un cap, sans qu’une seconde transfusion soit nécessaire. Si l’anémie réapparaît après 2 à 4 jours, une allotransfusion peut être effectuée », indiquent ainsi les auteurs.

Aucune description de réaction transfusionnelle grave

En termes de tolérance, la série britannique rapporte six cas de réactions fébriles sans gravité et aucun cas de réaction transfusionnelle aiguë. Au moment de l’érythrolyse des hématies du chien, un ictère peut avoir lieu, associé à une hyperbilirubinémie sans autre trouble clinique particulier. Des effets mineurs et immédiats d’hyperthermie et de tachypnée sont aussi rapportés dans les études, mais rarement. De manière générale, il n’y a pas d’effets indésirables graves immédiats ou retardés rapportés dans les 127 cas publiés.

D’autres arguments, plus pratiques, jouent en faveur de la xénotransfusion. D’abord, la facilité de collecte du sang du chien par rapport à celui du chat, lesquel doit être sédaté ou anesthésié pour un prélèvement obligatoire à la veine jugulaire. De plus, le volume sanguin à prélever pour un chat, de 30 à 80 ml en général, est peu problématique pour un chien de taille moyenne ou plus grande. Dans certains cas, le volume à transfuser est plus élevé, impliquant donc d’avoir plusieurs chats à prélever (ou l’accès à une banque de sang félin), quand il suffit d’un seul chien si une xénotransfusion est envisagée. À noter toutefois qu’il n’existe pas de publications rapportant des cas pour lesquels un grand volume de sang de chien aurait été transfusé à un chat.

Moins de contraintes matérielles

Trouver un donneur compatible à temps dans un contexte d’urgence vitale, notamment si le chat est de groupe B est difficile. En effet, il est estimé qu’en moyenne 85 % des chats sont du groupe A et seulement 15 % de groupe B2 ; en France, selon une étude de 2020, la prévalence du groupe B ne serait que de 10 %. Donc « il faudrait théoriquement tester en moyenne 10 chats pris au hasard pour trouver un donneur compatible ». Il n’existe pas de banques de sang félin, qui sont de toute façon trop complexes à créer3. D’un point de vue strictement matériel, il est plus facile de prélever le sang d’un chien, car il n’existe pas de système de collecte adapté au chat. Les poches de 250 ml destinées à l’humain utilisées pour les chiens, ont des aiguilles trop grandes pour le chat, générant un risque de lésion de la veine jugulaire. Le chat est prélevé par aspiration, ce qui peut altérer les hématies à la différence du chien, qui peut être prélevé par gravité.

Pas de risques infectieux

Une xénotransfusion coûte moins cher étant donné qu’une transfusion de chat à chat est forcément associée à des examens complémentaires de typage du groupe sanguin du donneur et du receveur, mais aussi de tests de dépistage des rétrovirus (virus leucémogène félin - FeLV, virus de l’immunodéficience félin-FIV), d’un frottis sanguin pour exclure la présence de Mycoplasma haemofelis, potentiellement une échographique cardiaque du donneur avant sédation et enfin une sédation ou anesthésie. Sans oublier non plus une analyse PCR, pour détecter les chats porteurs du provirus du FeLV. En effet, le test rapide pour le FeLV, via la détection de l’antigène p27, permet d’exclure les chats virémiques, mais certains individus peuvent avoir un virus persistant dans la moelle osseuse, uniquement détectables par PCR. Ce dépistage est essentiel, puisqu’une étude de 2015 a montré que pour 10 chatons (exempts de pathogènes spécifiés) transfusés avec du sang de chats porteurs du provirus, 4 ont développé un lymphome à cellules T et un une anémie non régénérative. De plus, 1 des 3 chats donneurs est mort d’un lymphome. Ce risque d’infections est totalement exclu en cas de transfusion de sang de chien, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur de cette pratique.

« La xénotransfusion reste préférable à l’inaction et à l’inoculation d’un agent infectieux », soutiennent les auteurs de cette publication. L’allotransfusion reste préférable dans les situations non urgentes, comme traitement d’une anémie chronique compensée, ou si un donneur approprié (négatif pour le provirus du FeLV) est disponible ».

Questions à Jack-Yves Deschamps, professeur en urgences-soins intensifs à Oniris (Nantes).

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Votre position fait-elle consensus au sein de la communauté scientifique ?

Non, elle est au contraire iconoclaste. Je pense que c’est la première fois qu’elle est exprimée de la sorte, donc ce n’est pas un consensus. Notre démonstration est très argumentée, mais cette position ne respecte pas la bien-pensance.

Y a-t-il des points spécifiques de contrôle, tant pour le chat que pour le chien, avant d’effectuer une xénotransfusion ?

Très peu, c’est bien la force de notre argumentaire. Lorsqu’on utilise du sang de chien, il n’est pas nécessaire de connaître le groupe sanguin du chat receveur, ni nécessaire de connaître le groupe sanguin du chien donneur, il n’est pas nécessaire de dépister les chiens contre les pathogènes félins (FelV, FIV, bartonellose). En revanche, il existe une contre-indication absolue : ne jamais renouveler une xénotransfusion. À la première xénotransfusion, le chat a fabriqué des anticorps, s’il rencontre à nouveau les antigènes canins, il déclenchera une réaction immunitaire systématiquement mortelle aux premières gouttes.

Le recours à du sang de chat repose surtout sur le dogmatisme de l’infranchissabilité de la barrière d’espèce. Selon nous, de nombreux arguments plaident en faveur d’une utilisation plus répandue de sang de chien pour la transfusion de chat dans un contexte d’urgence. Quitte à devoir pratiquer une allotransfusion 48 heures plus tard, si l’hématocrite chute et si le chat se dégrade cliniquement, sachant que la xénotransfusion qui l’a précédée n’a pas constitué un préjudice.

A-t-on des données particulières pour les nouveaux animaux de compagnie (NAC) ?

La xénotransfusion présente potentiellement les mêmes avantages chez les NAC, ces avantages sont même susceptibles d’être plus marqués même si les études manquent. En premier lieu, les NAC sont souvent de petit format, ce qui rend difficile le prélèvement de sang. Puis, souvent, il n’existe pas de congénères donneurs disponibles. Enfin, la plupart du temps, très peu de choses sont connues sur leurs groupes sanguins et les compatibilités intraspécifiques.

Je ne serais pas surpris que les arguments que nous avançons pour pratiquer la xénotransfusion chez le chat puissent être repris pour d’autres espèces de compagnie, comme le furet ou des espèces captives ou sauvages.

La xénotransfusion, un coup unique !

Selon une série de cas datant de 1962, une seconde xénotransfusion est fatale dans la quasi-totalité des cas dans les minutes à heures suivant l’acte. Il s’agit donc d’une contre-indication absolue. Dans cette optique, il est essentiel de bien informer les propriétaires de chats ayant reçu une xénotransfusion de conserver précieusement cette information afin de le signaler si besoin à tout vétérinaire.

  • 2. Il existe aussi un groupe AB qui est très rare.
  • 3. Les auteurs préconisent plutôt de disposer d’une liste de donneurs félins potentiels pour les besoins en allotransfusion.
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