Hygiène
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Le récent scandale sanitaire lié aux pizzas contaminées de la marque Buitoni pose la question de l’efficacité de notre système de sécurité sanitaire des aliments. Comment fonctionne-t-il ? Quelles sont ses limites ? Peut-il être encore renforcé ?
Ce début d’année 2022 a été bouleversé par une grave crise sanitaire en France : la contamination de pizzas Buitoni de la gamme Fraîch’Up par des Escherichia coli productrices de shiga-toxines, qui a entraîné près de 50 cas de syndrome hémolytique et urémique chez des enfants, dont deux sont malheureusement décédés. Ces pizzas étaient fabriquées dans une usine située dans la commune de Caudry, dans le département du Nord. Après l’affaire Lactalis, cette crise interroge à nouveau l’efficacité de notre système de sécurité sanitaire alimentaire. L’ensemble de règlements européens « Paquet hygiène », entré en vigueur en 2006 décrète que ce sont les professionnels qui sont responsables de la qualité sanitaire des denrées alimentaires mises sur le marché. Ces denrées doivent être propres à la consommation humaine (non préjudiciables à la santé). Cette responsabilité de la qualité des produits est assortie d’une responsabilité de traçabilité ainsi que d’une responsabilité de rappel des produits mis sur le marché lorsque la sûreté des denrées n’est plus assurée : dans ce cas, le professionnel doit aussi en informer les autorités compétentes, avec lesquelles il va collaborer, ces dernières pouvant décider d’un retrait du marché. Ce principe d’obligation de résultat pour le professionnel n’est pas pour autant une décharge de l’État : la réglementation européenne identifie, en effet, l’État comme responsable de l’application de la législation alimentaire via « un système de contrôles officiels et autres activités appropriées selon les circonstances, y compris des activités de communication publique ». C’est aussi à l’État de définir les sanctions applicables si besoin, qui « doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».
Pour les alertes sanitaires, l’État pourra compléter les actions mises en place par le professionnel, notamment si le risque sanitaire est élevé.
La question de l’agrément sanitaire
Neuf autorités compétentes, dont des services directement rattachés à des ministères, participent aux contrôles de sécurité sanitaire des aliments, des végétaux et des animaux (dont la protection animale) ainsi qu’à la qualité des produits et à la loyauté des transactions, obligatoirement définis dans un plan national de contrôles officiels pluriannuel (PNCOPA). Entre autres, sont concernés les services du ministère chargé de l’agriculture (via l’autorité de la direction générale de l’alimentation-DGAL), du ministère chargé de la consommation (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes-DGCCRF), du ministère de la Défense (service de santé des armées), du ministère chargé de la Santé (direction générale de la santé), etc.
La DGAL et la DGCCRF sont deux entités centrales pour les contrôles de sécurité sanitaire.
Pour l’affaire Buitoni, il s’agit de la DGCCRF. De manière générale, sa mission est de s’assurer du respect de la loyauté de la concurrence, de la protection économique des consommateurs, et de la sécurité et de la conformité des produits et des services. C’est ce dernier point qui entre dans le champ de la sécurité sanitaire. Dans ce cadre, la DGCCRF est en charge du contrôle de l’hygiène des établissements non soumis à agrément sanitaire, quand la DGAL est, elle, compétente pour la délivrance des agréments pour les établissements concernés, et de leur contrôle ; les deux directions se partagent les établissements de vente aux consommateurs, la restauration collective relevant de la DGAL. « L’activité d’assemblage de produits d’origine végétale et de produits d’origine animale déjà transformés et issus d’entreprises agréées n’est pas soumise à un agrément sanitaire. C’est ce qu’on appelle des produits composés. Sachant que dans une même usine, il peut y avoir des activités de production alimentaire non soumises à agrément, et d’autres le nécessitant », témoigne anonymement une inspectrice de santé publique vétérinaire, cheffe d’un service de sécurité sanitaire des aliments. L’activité de production des pizzas Fraîch’Up de l’usine de Caudry rentre dans la case des produits composés, et donc dans le champ d’action de la DGCCRF, qui a aussi géré l’alerte sanitaire. Cela n’empêche pas à l’entreprise de devoir élaborer un plan de maîtrise sanitaire, contrôlable par les autorités. « Ne faut-il pas réfléchir à étendre l’obligation d’agrément sanitaire à toutes les productions alimentaires ? Cette affaire montre bien qu’il serait bon de renforcer les contrôles, s’interroge l’inspectrice. Elle ajoute : « Je pense que le risque sanitaire est sous-estimé de manière générale dans la filière végétale, dont les établissements – par exemple lors de vente de produits en circuits courts – ne sont pas soumis à une obligation de déclaration d’activité. Or, on sait bien par exemple qu’une mise sous vide (qui augmente la durée de vie) peut faire des dégâts avec la listériose ».
La question des effectifs
Comme pour la DGAL, les contrôles quotidiens (dits de la première mise sur le marché) pilotés par la DGCCRF, sont programmés suivant une analyse de risque. « Elle permet de déterminer le niveau de risque et donc la fréquence de contrôle. Le contrôle est annuel pour un risque élevé, tous les 2 à 3 ans pour un risque moyen, et tous les 3 à 5 ans pour risque faible », explique l’inspectrice. Pour comparaison, pour la DGAL, les contrôles des établissements agréés se font au maximum tous les 2 ans : « Il y a 4 niveaux de risque, associés à 4 fréquences de contrôle : tous les 6 mois, les 18 mois, une ou deux fois par an. À noter que le contrôle des produits composés rentre aussi dans notre plan d’action, mais sur la base d’un pourcentage de contrôle ». La grande distribution, les restaurants étant contrôlés au mieux tous les 5 à 10 ans. Dans tous les cas, la fréquence de contrôles préventifs est trop faible, alerte Olivier Lapôtre, président du syndicat national des inspecteurs de santé publique vétérinaire (SNISPV) : « C’est lié à une insuffisance de moyens humains », rappelant pour la DGAL la baisse de 30 % des effectifs des services vétérinaires entre 2004 et 2014. Côté DGCCRF, les syndicats indiquent une baisse d’environ 1000 agents entre 2007 et 2020 (soit 27 % des effectifs de 2007). Ce manque de moyens avait été relevé dans le rapport parlementaire de juillet 2018 suite à l’affaire Lactalis, et la France faisait figure de très mauvais élève pour la pression de contrôles au regard d’autres pays européens. « Rien n’a changé depuis ce rapport, affirme M. Lapôtre qui insiste sur le fait que le principal problème n’est pas organisationnel mais de moyens. De plus, les contrôles sont surtout documentaires, incluant le contrôle des résultats des autocontrôles faits par les professionnels. « Il y a quelques années, on pouvait être amené à réaliser des prélèvements pour analyses microbiologiques, pour les comparer aux données fournies par les professionnels. Cela n’est plus fait que très exceptionnellement », indique-t-il. L’affaire Lactalis aura toutefois fait évoluer certaines lignes en rendant obligatoire la notification aux autorités, des résultats des autocontrôles défavorables sur les produits non encore mis sur le marché et sur l’environnement, si cela laisse à penser que cela pourrait être préjudiciable pour la santé.
Tout ceci dit, les deux interviewés soulignent bien que l’affaire Buitoni reflète aussi l’efficacité de notre réseau de surveillance épidémiologique.
Vers une police unique
Si augmenter les effectifs ne semble donc pas être une priorité, une autre voie a été choisie par l’exécutif qui vient d’annoncer, dans ce contexte sanitaire (et électoral ?), la création d’une police unique en charge de la sécurité sanitaire des aliments. Cela avait été évoqué dans l’affaire Lactalis, mais il n’y avait pas de consensus à l’époque : le ministère de l’Agriculture y était plutôt favorable, comme la commission d’enquête parlementaire ; Bercy était contre. Concrètement, la DGCCRF ne conserverait que ses compétences de loyauté et de lutte contre les fraudes, et la DGAL récupérerait la compétence liée à la sécurité sanitaire des aliments. Pour ce faire, a été annoncé le transfert de 60 emplois de la DGCRF vers la DGAL, l’objectif étant d’améliorer l’efficacité des contrôles. « Sur le terrain, cela fait sens d’avoir une vision globale de l’ensemble du secteur alimentaire pour la sécurité sanitaire des aliments », indique l’inspectrice. Mais… « le problème est que les contrôles transférés occupaient plusieurs centaines d’agents de la DGCCRF. Avec seulement 60 agents transférés, et des effectifs des services vétérinaires déjà insuffisants, qu’est-ce que cela donnera sur le terrain ? interroge Olivier Lapôtre. Il faudrait absolument que le ministère obtienne les recrutements supplémentaires correspondants… ». Y aura-t-il donc encore plus de travail avec toujours moins de moyens, à l’instar de ce que dénoncent unanimement depuis de nombreuses années les syndicats ? Le syndicat majoritaire de la DGCCRF alerte sur le risque que cette décision amène à « ouvrir la porte à un vieux serpent de mer : l’externalisation des missions en hygiène alimentaire à la distribution ». À suivre.
Les points clés de l’affaire Buitoni
- Février 2022 : signalement d’une dizaine de cas de SHU sur des enfants.
- 18 mars : suspicion d’un lien avec les pizzas de Buitoni. Par précaution, l’entreprise lance alors une procédure de retrait-rappel de toutes les pizzas commercialisées depuis juin 2021.
- 22 et 29 mars : contrôles menés à l’usine de Caudry, ayant révélé de « nombreuses anomalies graves en matière de nettoyage et d’entretien général des locaux et matériels ».
- 22 mars : ouverture d’une enquête pour « homicides involontaires », « tromperie » et « mise en danger d’autrui ».
- 30 mars : confirmation de liens épidémiologiques, microbiologiques et de traçabilité entre plusieurs cas et la consommation des pizzas.
- 1er avril : arrêté préfectoral stipulant la mise à l’arrêt des deux lignes de production de l’usine (une ligne pâtes crues, et une ligne pâtes cuites).
- 12 mai : ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Paris.
- Interrogé par l’AFP, le directeur de la communication de Nestlé France avait indiqué que l’usine avait été l’objet de contrôles inopinés en septembre 2020 et mars 2021.