La réalité virtuelle : une avancée réelle dans le secteur vétérinaire - La Semaine Vétérinaire n° 1944 du 13/05/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1944 du 13/05/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Par Fabrice Jaffré*

La réalité virtuelle et la réalité augmentée prennent peu à peu leurs marques dans le secteur vétérinaire, notamment dans la formation. En quoi se distinguent-elles ? Et quel intérêt représentent-elles par rapport aux méthodes traditionnelles ? Éléments de réponse.

Plusieurs réalités !

On distingue la réalité augmentée et la réalité virtuelle. La réalité augmentée (AR) insère des objets virtuels dans le monde réel. Un exemple célèbre est le jeu Pokémon Go, qui fait apparaître des créatures à travers l’écran du smartphone. On peut utiliser pour cela des lunettes spéciales ou simplement un smartphone ou une tablette. La réalité augmentée est principalement exploitée en téléassistance, maintenance et logistique, mais également en formation.

La réalité virtuelle (VR) a deux caractéristiques essentielles. La première est l’immersion dans un monde virtuel (réel ou imaginaire) au travers d’un casque : on ne voit plus le monde réel. La deuxième est l’interactivité. Autrement dit, on va pouvoir interagir dans le monde virtuel grâce à des contrôleurs, les manettes physiques, qui fournissent des représentations virtuelles des mains, afin de prendre un objet, appuyer sur un bouton, etc.

Déjà bien exploitée dans le monde des jeux et de la simulation militaire ou aéronautique, la réalité virtuelle se développe à vitesse exponentielle dans la formation professionnelle et notamment dans la formation médicale.

La réalité mixte (MR) correspond à une réalité augmentée avancée, avec une meilleure intégration des objets virtuels dans le monde réel et une forte interactivité avec eux.

Enfin, la réalité étendue (XR pour extended reality) englobe les trois notions : réalité virtuelle, réalité augmentée, réalité mixte.

Un nombre croissant de logiciels

Sans prétendre à un panorama complet, voici quelques applications de réalité virtuelle ou mixte dans le secteur vétérinaire.

La visite virtuelle d’élevage porcin a été développée en 2019 et mise en application dans les quatre écoles vétérinaires en 2020. Dans cette expérience, l’étudiant équipé du casque Meta Quest (nouveau nom de l’Oculus Quest) se déplace dans l’élevage virtuel tout en contrôlant les règles de biosécurité et en vérifiant de nombreux paramètres (voir l’interview de Maxime Delsart).

De son côté, Royal Canin a mis en place une visite virtuelle d’un élevage canin dans le but d’aider ses commerciaux à identifier des points d’amélioration dans leur conduite d’élevage.

Développés en 2018 et disponibles en open source 1, VRs Dog et VR Cow sont des outils de révision de l’anatomie du chien et de la vache. Équipé d’un casque HTC Vive, l’étudiant peut pivoter l’animal et ôter différentes couches afin d’observer en situation os et organes. VR Dog et VR Cow vont être intégrés à l’enseignement de l’anatomie à l’université de Guelph (Canada) ce semestre. De nombreux autres logiciels existent sur le marché, comme JetsonVR, VR Anatomy ou Illinois Cow App.

Cysart est une application d’assistance à la chirurgie en réalité mixte, actuellement disponible pour l’ostéotomie fémorale distale et les déformations du radius. Le vétérinaire, équipé d’un casque HoloLens, peut manipuler l’implant virtuel et s’assurer qu’il réalise les bons gestes pour poser la prothèse réelle (voir l’interview de Thomas Cézard).

ImmersiveTouch a développé des outils qui convertissent différentes images numériques (de scanners, angiographie 3D et IRM) en un « jumeau numérique » de l’animal. Le vétérinaire peut alors préparer un plan d’intervention spécifique à l’animal opéré.

À l’université du Colorado, les étudiants vétérinaires peuvent s’entraîner sur une unité d’anesthésie virtuelle, que ce soit pour la paramétrer correctement ou pour l’utiliser lors d’interventions simulées2.

Depuis 2020, un simulateur en réalité virtuelle est utilisé à l’Université d’Adelaïde (Australie) pour l’apprentissage de la contention et de la manipulation de grands animaux.

RoVR, de la société Orthomed, est un nouveau programme d’entraînement à la technique de Maquet modifiée dans la chirurgie du ligament croisé. Il est possible de solliciter un instructeur spécialisé, qui va alors intégrer la salle de chirurgie virtuelle et répondre aux questions.

La réalité virtuelle : quel apport ?

Il faut l’avoir testé pour comprendre l’impact de l’immersion : la sensation de vertige éprouvée devant un précipice virtuel est bien… réelle ! L’interactivité et l’immersion de la réalité virtuelle vont ainsi donner l’impression à l’étudiant d’avoir vécu la chirurgie ou la consultation (dans la peau du vétérinaire ou du client). Or l’apprentissage par la pratique (le« learning by doing ») offre une mémorisation bien supérieure à la simple visualisation3. De plus, les émotions ressenties pendant l’expérience participent à l’ancrage mémoriel. Et difficile d’être distrait par son smartphone ou l’environnement avec un casque, ce qui améliore l’attention. Un autre avantage est la répétition à volonté, permettant, en chirurgie par exemple, l’acquisition du bon geste. À la clé, une « mémoire musculaire », l’absence de risques pour l’animal et le droit à l’erreur. La fameuse recommandation de la Haute autorité de santé (HAS) (« Jamais la première fois sur le patient ») gagne ainsi le secteur de la santé animale, tout comme les simulations sur mannequins et modèles inertes d’ailleurs.

On peut également jouer sur les conditions entourant la formation : en évacuant toute forme de stress, ou à l’inverse en durcissant certains paramètres. Dans une consultation virtuelle, on pourra par exemple rendre irascible un propriétaire lors d’une euthanasie, juxtaposer plusieurs complications possibles dans l’appareil anesthésique virtuel, ou encore provoquer un début d’incendie en salle de chirurgie pendant une opération, une situation difficile à reproduire avec un simulateur traditionnel. Toutes ces conditions pourront tenir compte du profil de l’apprenant et de son niveau, afin de personnaliser au maximum la formation, et donc de la rendre plus efficace.

La réalité virtuelle permet aussi de se rendre dans des lieux difficiles d’accès, ou ponctuellement inaccessibles, comme des abattoirs ou des élevages en période de pandémie. Elle ouvre également le champ des possibles concernant une collaboration à distance en 3D. Elle devrait également faciliter une analyse automatisée a posteriori. « Lefeedback est une notion clé en pédagogie », indique Anne Gogny, responsable de la plateforme de simulation médicale vétérinaire Virtual Vet (Oniris). « Et dans ce domaine, la réalité virtuelle, croisée à de l’intelligence artificielle, pourrait proposer une valeur ajoutée intéressante en remontant immédiatement à l’apprenant ce qui a bien fonctionné et les axes de progrès pour les fois suivantes ».

On n’oubliera pas non plus les aspects éthiques : l’utilisation de la réalité virtuelle s’inscrit parfaitement dans l’amélioration du bien-être animal.

Quant à l’investissement, il est limité à l’achat (ou à la location) des casques si le logiciel est en open source, comme VR Dog (voir plus haut). On trouvera également dans les stores dédiés (comme Oculus Store, SideQuest, Vive Port, SteamVR) des logiciels à l’achat ou en location. « Le coût d’un projet sur mesure, basé sur de la vidéo 360° interactive, est compatible avec les investissements marketings des fabricants et distributeurs de médicaments », indique Grégory Casseleux (voir interview). Enfin, un simulateur en réalité virtuelle est moins cher qu’un simulateur physique, tout en étant plus facilement déployable sur d’autres sites.

Plusieurs études ont tenté de mesurer l’impact de l’utilisation de la réalité virtuelle dans le cursus d’apprentissage vétérinaire, et ce dès 20134 5 6. L’apport de la réalité étendue (virtuelle ou augmentée) est globalement positif, avec une amélioration de la compétence technique, une plus forte implication, une augmentation de la rétention des informations et un meilleur raisonnement clinique. Une étude n’a montré aucune différence notable, mais la formation du groupe « réalité virtuelle » consistait à consulter passivement la vidéo de l’opération, certes en vue stéréoscopique, mais sans interactivité, ce qui n’offre pas du tout la même expérience sur un plan pédagogique. On reste cependant en attente d’études sur un nombre plus significatif d’étudiants.

La réalité virtuelle serait-elle alors l’outil de formation idéal ?

Des limites bien… réelles

Visuelle, utilisant un son spatialisé, la réalité virtuelle doit encore s’améliorer dans le domaine du toucher, la prochaine grande étape de la réalité virtuelle. Il est actuellement difficile de sentir des textures variées (os, muscle…) et des différences de température, malgré les progrès en haptique et pseudo-haptique. Marc Gogny, directeur honoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, pointe un autre biais : « Les rares modèles actuels fondés sur des retours haptiques se limitent à un doigt. Or, dans une fouille rectale bovine par exemple, si le retour haptique ne concerne que le bout d’un doigt, les sensations proprioceptives sont très différentes du geste réel. Par exemple le mouvement du coude reste libre, ce qui fausse l’apprentissage sensori-moteur ».

Un autre problème, spécifique à la réalité virtuelle, est la cinétose, un mal des transports résultant de la différence entre ce qui est vu et ce que le système vestibulaire perçoit. « Selon les casques, jusqu’à 60 % des apprenants sont concernés », affirme Marc Gogny. L’amélioration technique des casques devrait diminuer le phénomène, mais il freine la navigation prolongée en réalité virtuelle, contrairement à la réalité augmentée.

Quel avenir ?

Au-delà de l’apprentissage ou de la révision des gestes et procédures techniques, la réalité virtuelle, expérientielle et sensorielle, devrait devenir l’outil de référence pour le travail des soft skills (les compétences comportementales). La procédure d’embauche d’un nouveau vétérinaire comportera peut-être à l’avenir une consultation virtuelle avec plusieurs typologies de clients !

La réalité virtuelle et la réalité mixte sont promises à un beau développement dans la formation initiale et la formation continue des vétérinaires. Elles devraient s’inscrire aux côtés et en parfaite complémentarité des autres méthodes, traditionnelles ou de simulation. Leur réel potentiel, avec l’intégration de l’intelligence artificielle, est probablement encore à découvrir.

Maxime Delsart

Vétérinaire, maître de conférences associé, pathologie des animaux de production à l’ENVA

 MAXIMEdelsart-NB.jpg

Se familiariser et réfléchir

La visite virtuelle, réalisée par groupes d’étudiants le lundi ou le mardi, permet aux étudiants de se familiariser avec les règles de biosécurité et de réfléchir à une approche multifactorielle avant la visite physique d’une exploitation (le mercredi). On joue aussi sur la composante ludique, avec un « game over » en cas de faute grossière lors de la marche en avant. Cela reste complémentaire bien sûr des visites classiques : rien ne remplace le contact direct avec les animaux, et on n’a pas l’odeur sous le casque ! Mais la visite virtuelle pourrait être une alternative de choix si les visitesin situ devaient être stoppées, en cas de foyers locaux de peste porcine africaine par exemple.

Gregory Casseleux

Vétérinaire, directeur de Wolf Learning Consulting

Gregory Casseleux.jpg

Apprentissage ou révision de procédures

La réalité virtuelle est très intéressante pour donner accès à des lieux difficiles d’accès (élevage, laboratoire…) et pour l’apprentissage ou la révision de procédures, comme la manipulation d’une gazeuse par exemple. Cela permet la répétition à volonté, élément crucial des stratégies de formation. Mais apprendre ainsi la chirurgie exclusivement avec de la VR, c’est pour moi à l’heure actuelle de la science-fiction, en raison des limites concernant l’aspect tactile. En revanche, je crois beaucoup à la réalité virtuelle en ce qui concerne le relationnel, par exemple l’abord de l’acte d’euthanasie, ou la gestion des clients compliqués, entre autres grâce à la possibilité de prendre la place de l’autre en fin d’exercice.

Actuellement, nos équipes travaillent sur des expériences intégrant de la reconnaissance vocale afin de fluidifier les échanges entre la personne et l’avatar virtuel (et d’éviter à l’apprenant de choisir dans une liste de réponses ou questions possibles).

Thomas Cézard

Chirurgien ostéo-articulaire à la clinique vétérinaire AniCura St Roch (la Rochelle) et consultant pour Abys Medical

Thomas Cézard.jpg

De multiples intérêts

L’ensemble des modules du programme Abys Medical permet la préparation chirurgicale, la génération des guides de coupe, l’impression de l’implant en titane et l’aide à la chirurgie en réalité mixte. Pendant la chirurgie, outre les traits de coupe et la manipulation de l’implant virtuel, on peut avoir également accès aux données qu’on aura injectées en amont dans l’outil, par exemple un scanner en 3D qu’on pourra pivoter, ou une radio qu’on pourra consulter. Le temps au bloc opératoire est divisé par deux grâce à la préparation en amont et à la réalité augmentée. On gagne également de la précision dans la génération de l’implant.

Casques et logiciels, quel coût ?

Il est possible de découvrir l’aspect immersif de la réalité virtuelle pour quelques dizaines d’euros à peine. Ces casques appelés « VR mobile », comme le Google CardBoard ou le Samsung Gear VR, utilisent le smartphone comme écran. On pourra trouver de nombreuses vidéos à 360° sur Youtube, de la visite virtuelle d’une clinique vétérinaire au trajet du syndrome dysgénésique et respiratoire porcin (virus SDRP) dans le poumon du porc en passant par l’autopsie d’un rhinocéros. Ces casques offrent souvent peu d’interactivité.

Le Meta Quest 2, à 350 € TTC, offre un très bon compromis pour une réelle expérience. On citera également le HTC Vive (599 € TTC).

Côté réalité augmentée, il suffit d’utiliser un simple smartphone en installant des apps depuis le Play Store ou l’App Store, comme EasyAnatomy (anatomie du chien). Les lunettes de réalité augmentée sont principalement réservées au monde de l’entreprise, avec un prix élevé (3 849 € TTC pour les Hololens 2 par exemple).

Le Lynx R-1, véritable casque de réalité mixte (il capture l’environnement réel et le fusionne avec un environnement virtuel), annoncé en juin 2022 au prix de 600 € TTC, pourrait reproduire le succès du Meta Quest.

Des vaches équipées de casques virtuels ?

Une vidéo de vaches équipées de casques virtuels a fait le buzz en janvier 2022. L’objectif visé par l’éleveur turc était d’apaiser les animaux enfermés dans l’étable en hiver en leur affichant des images de pâturages verts grâce à la réalité virtuelle. La production laitière aurait ainsi augmenté de 20 % chez les vaches équipées. Il est pourtant difficile d’imaginer un effet autre que nauséeux avec une image stéréoscopique devant chaque œil (l’éleveur installe deux casques sur la tête). Un examen attentif de la vidéo originale semble aussi montrer que les yeux de la vache ne sont pas vraiment couverts par les casques…

  • * Notre confrère Fabrice Jaffré (Kena conseil) est titulaire du certificat de spécialisation de délégué à la protection des données du Conservatoire national des arts et métiers de Paris et du certificat « Expert en cybersécurité », et réalise des formations en mise en conformité de la Règlement général sur la protection des données (RGPD) et en cybersécurité.
  • 4 - Lee S, Lee J, Lee A, Park N, Lee S, Song S, Seo A, Lee H, Kim JI, Eom K. Augmented reality intravenous injection simulator based 3D medical imaging for veterinary medicine. Vet J. 2013 May ; 196 (2) : 197-202. doi : 10.1016/j.tvjl.2012.09.015. Epub 2012 Oct 25. PMID : 23103217.
  • 5 - Hunt JA, Heydenburg M, Anderson SL, Thompson RR. Does virtual reality training improve veterinary students’first canine surgical performance ? Vet Rec. 2020 May 30 ; 186 (17) : 562. doi : 10.1136/vr.105749. Epub 2020 Mar 18. PMID : 32188768
  • 6 - McCaw K, West A, Duncan C, Frey D, Duerr F. Exploration of Immersive Virtual Reality in Teaching Veterinary Orthopedics. J Vet Med Educ. 2021 Jun 8 : e20210009. doi : 10.3138/jvme-2021-0009. Epub ahead of print. PMID : 34102095
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr