Enquête
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Une enquête menée dans l’ouest de la France a révélé une séroprévalence de 36,5 %, sans influence du mode de vie de l’animal. Certaines données de l’étude suggèrent un lien possible entre les habitudes alimentaires du foyer et la contamination du chat.
En tant qu’hôte définitif, le chat est central pour le cycle de Toxoplasma gondii. En zone rurale, les chats de fermes, en s’infestant à partir de petites proies, assurent la dissémination du protozoaire par l’excrétion d’oocystes dans l’environnement. Cela permet la contamination indirecte des animaux de production, et in fine des humains via la consommation de viande contaminée insuffisamment cuite (kystes à bradyzoïtes). Qu’en est-il du risque lié au chat de compagnie ? Une étude récente menée en France donne des éléments de réponse. Les résultats ont été présentés lors de la séance de l’Académie vétérinaire de France le 24 février 2021, par Patrick Bourdeau, professeur honoraire de parasitologie à Oniris. Trois cent cinquante chats, reçus en consultation dans les cliniques de l’école pour différents motifs médicaux ou chirurgicaux (chats sains aussi), ont été inclus dans l’étude. Ces chats sont originaires de neuf départements de l’ouest de la France, avec un âge moyen de 8,8 ans (5 mois à 20 ans). Tous ont fait l’objet d’un titrage en anticorps (immunofluorescence). En parallèle, une enquête téléphonique secondaire a été réalisée afin de récolter des données sur le mode de vie de l’animal et la cellule familiale. Cent cinquante-neuf questionnaires ont pu être analysés.
36,5 % des chats se sont révélés séropositifs pour Toxoplasma gondii, dont une majorité (77 %) ayant des titres faibles. En croisant les données de séroprévalence avec l’âge des animaux testés, il est ressorti que l’infection concernait les animaux de tout âge sans surrisque chez les plus jeunes, ce qui est en faveur d’une acquisition progressive et régulière de l’infection. Ni la présence d’autres animaux dans le foyer, ni le sexe de l’animal n’ont influencé la positivité. En combinant les données récoltées dans les questionnaires, les sorties en extérieur (quelle que soit leur fréquence) et la prédation (quels que soient le nombre, le type et la diversité des proies chassées) n’ont pas été statistiquement associées à une augmentation du risque. À noter qu’il n’a pas été montré de lien entre le statut de l’animal et son état clinique motivant la consultation, suggérant que le portage de Toxoplasma n’aggrave pas une situation clinique.
S’il apparaît que la positivité n’est pas associée au mode de vie du chat de compagnie, des éléments peuvent-ils alors suggérer un rôle éventuel de l’alimentation comme source de contamination ? Ainsi, la question de savoir si les habitudes alimentaires des propriétaires pouvaient être en relation avec la séropositivité des chats a été étudiée. Il en est ressorti un surrisque pour les chats consommant des restes de viande, avec 66 % des chats qui consommaient des restes (45 sur 68) qui étaient positifs. De plus, au sein de l’enquête, ont été répertoriés 23 cas de grossesses au sein de la cellule familiale au moment de la prise de sang du chat, à raison de 13 femmes séropositives (positivité dépistée avant la grossesse) et 10 négatives. Dans les foyers des premières, il était plus fréquent de donner des restes de viandes au chat que dans les foyers avec les femmes séronégatives (7 sur 13 et 5 chats positifs parmi les chats recevant la viande vs 2 sur 10 et 1 chat positif). Il se trouve, de plus, que parmi les viandes consommées par ces familles, la viande de mouton, dont on sait qu’elle est plus à risque pour la toxoplasmose, était plus fréquemment citée (10 sur 13) que dans les foyers avec les femmes séronégatives (2 sur 10).
Face à ces résultats, qu’en est-il du risque de contamination humaine ? Selon Patrick Bourdeau, compte tenu des résultats de l’étude, un vétérinaire devrait « consulter environ 200 chats par jour pour être exposé à un chat excréteur ». Sachant, de plus, qu’un chat positif n’excrète que peu de temps sur toute sa vie, à savoir une excrétion durant la primo-infection1, puis à la faveur d’une réinfection mais, dans ce cas, seuls 10 à 20 % des chats seront à nouveau excréteurs (2 jours en moyenne). Le conférencier a cité aussi les résultats de deux autres études, dont une publication canadienne2 de 2003 qui s’est intéressée au portage chez les vétérinaires, en comparaison avec la population générale. Cent soixante et un vétérinaires et auxiliaires ont été prélevés à l’occasion d’un congrès, dont 74,6 % de femmes chez les vétérinaires et 100 % chez les auxiliaires. Bien que plus de la moitié des participants s’imaginaient être séropositifs, en réalité la séroprévalence n’était que de 14,2 %, contre 20,5 % dans la population générale, sachant que 46 % des vétérinaires et 38 % des assistantes possédaient un chat sortant à l’extérieur et qu’ils s’acquittaient du nettoyage des cages et de la réalisation d’examens coprologiques. L’enquête confirma des lavages des mains pratiqués quasi systématiquement. « La bonne hygiène des mains pourrait expliquer ce résultat. Ainsi les conditions de fonctionnement normal d’une clinique vétérinaire réduisent la réalité de l’infection par rapport à la population générale », a-t-il souligné. La bibliographie montre au global que le risque pour la grossesse liée à une contamination directe via le contact avec son chat de compagnie apparaît minime. Les trois principaux facteurs de risque sont par ordre d’importance la consommation de viande insuffisamment cuite, une mauvaise hygiène des mains et la consommation de végétaux souillés par des oocystes.
Le conférencier a conclu en rappelant, à partir de divers exemples, que « les cycles parasitaires sont souvent utilisés de façon incorrecte et simpliste pour illustrer les risques car ils ne traduisent que partiellement ou même assez mal les réalités des cycles et risques épidémiologiques ». C’est apparemment le cas du chat de compagnie avec le toxoplasme.
Des oocystes résistants
La survie des occystes, et de leur potentiel infectieux, dans le milieu extérieur (sol, eau) est grande, plusieurs mois à plusieurs années suivant les conditions environnementales. Ils résistent à la chaleur (jusqu’à 60 °C), à la surgélation (-21 °C), aux UV, à l’ozone,… ainsi qu’aux désinfectants chimiques usuels tels que l’eau de javel ou le dioxyde de chlore.
Cycle épidémiologique de la taxoplasmose
En rouge : Kystes de Toxoplasma gondii (muscles et autres tissus) chez les hôtes intermédiaires ; En vert : Ookystes de Toxoplasma gondii dans l’environnement ; En violet : Toxoplasmose congénitale (existe dans les 3 cycles).
Cycle sauvage
- S1 : Ookystes libérés par les Félidés hôtes définitifs chat et potentiellement Chat sauvage (Felis silvestris ; Est de la France et Pyrénées) et Lynx (quelques individus dans l’Est) ;
- S2 : Ingestion des ookystes par les hôtes intermédiaires mammifères (herbivores, omnivores…) et oiseaux (granivores) ;
- S3 : hôtes paraténiques (rôle suspecté, mal connu, variable selon les écosystèmes) ;
- S4 : Cycle lié à la prédation (petits carnassiers et oiseaux de proie) ; S5 : Infestation des chats par prédation sur de petits mammifères et oiseaux.
Cycle rural
- R1 : Les chats s’infestent à partir de petites proies et libèrent des ookystes de longue résistance auprès des animaux d’élevage (importance des pratiques d’élevage, chats de ferme), à distance (ruissellement) ;
- R2 Contamination des micromammifères et oiseaux ;
- R3 : Contamination de la terre et des légumes (maraîchage, potagers).
Cycle domestique et « chats de compagnie »
- C1 : Les humains s’infestent essentiellement par consommation de viandes infectées de kystes et insuffisamment cuites ;
- C2 : … par des ookystes présents sur des légumes (etc.) mal lavés, des mains souillées par la terre et exceptionnellement par l’eau de boisson ;
- C3 : Les chats de compagnie s’infestent par la prédation (cf S5) cette modalité paraît très mineure ;
- C4 : Rôle suspecté des habitudes alimentaires des propriétaires donnant des viandes insuffisamment cuites au chat ?
- C5 : Au cours de la primo-infection les chats pourront déposer (notamment litière) des matières fécales contenant (1 à 3 semaines) des ookystes qui ne seront alors infectants qu’après 1 à 5 jours.